Le coup d’envoi de la troisième édition du Festival sur le Milo a été donné ce mercredi 13 novembre à Kankan. L’évènement qui se tiendra jusqu’au 17 du mois, a débuté par un forum consacré au développement local. En qualité de conférencier principal, Dr Mamadou Barry, directeur général adjoint du budget a prononcé un discours dont nous vous livrons la teneur.
Monsieur le Premier Ministre Kabinet Komara
Monsieur le Premier Ministre Louceny Fall
Monsieur le Ministre Mamadi Kaba
Monsieur le Préfet de Kankan
Monsieur le Sötikèmö de Kankan, le très respecté le doyen Elhadj Madifing Kaba
Monsieur l’Inspecteur des affaires religieuses, le très respecté Imam Elhadj Bangaly Kaba
Monsieur l’Evêque de Kankan Monseigneur Alexis Aly Tamba Togbino
Monsieur l’inspecteur régional de la santé,
Messieurs les Présidents des délégations spéciales des communes de la préfecture de Kankan
Mesdames et Messieurs les membres des délégations spéciales
Monsieur le Représentant des Dogons et toute sa suite
Mesdames et Messieurs les directeurs préfectoraux
Messieurs les Présidents des Chambres du Commerce et de l’Agriculture
Mesdames et Messieurs les représentants des Organisations de la Société Civile
Mesdames et Messieurs les représentants des médias
Cher(e)s festivalier(e)s,
Mesdames et Messieurs,
Je voudrais pour commencer préciser que mes propos seront ceux d’un économiste, d’un amoureux de nos territoires et d’un passionné des questions de développement. Ce n’est donc pas le DGAB qui vous parle mais plutôt un festivalier très concerné par les activités qui vont se tenir ici à partir d’aujourd’hui et pour quelques jours.
Mesdames et Messieurs,
J’ai le cœur rempli de joie et de reconnaissance. Je veux le dire ici, être l’invité d’honneur du Festival sur le Milo, dans la Ville millénaire de Kankan, est pour moi, un immense honneur et un grand privilège.
J’aimerais donc d’entrée, exprimer toute ma gratitude aux organisateurs de ce formidable Festival et particulièrement à votre fils, mon frère bien aimé Sansy Kaba DIAKITE dont l’engagement constant pour le rayonnement de la Guinée et son attachement viscéral à Kankan font de lui un modèle inspirant pour les jeunes générations.
Sa démarche est à coup sûr celle que nous devrions tous imiter avec force, constance et ouverture. Car elle consiste en un don de soi à travers notre génie, nos ressources et nos contacts pour le développement des communautés à la base et pour l’émergence de notre pays dans sa globalité.
Mesdames et Messieurs,
Distingués invités,
Le Festival sur le Milo a tracé son sillon dans le paysage culturel et intellectuel de notre pays. Par la force de son contenu et la pertinence des thématiques qui y sont abordées, ce Festival est devenu un rendez-vous annuel incontournable pour les Kankanais, les Guinéens en Général et osons bien le dire, tous les amoureux de Kankan à travers le monde.
Si l’aspect culturel constitue l’ADN profondément ancré de ce Festival, les réflexions sur le développement, la cohésion des territoires et des peuples, la préservation de l’environnement, la conservation du patrimoine, constituent des mutations intéressantes du festival et même nécessaires au regard des défis qui se posent dans notre pays.
Mesdames et Messieurs,
Distingués invités,
Tous ici, nous partageons les préoccupations légitimes de la préservation de la mémoire. Kankan est en effet une ville cosmopolite foisonnante. Sa longue tradition de centre commercial de la sous-région et de foyer d’érudition à travers ses Grands Imams et Hommes de Dieu, traverse les âges et nous enseigne sur la richesse et la profondeur de la culture manding dans sa globalité, celle-ci, dans ce qu’elle a de plus beau et de plus enviable. Nous devons donc absolument et jalousement œuvrer à préserver ses ressorts.
Mesdames et Messieurs,
Distingués invités,
Nous partageons également les préoccupations liées à la sauvegarde de notre environnement et à la lutte contre la pauvreté. Ces deux sujets de plus en plus liés, s’imposent avec urgence et nécessitent de notre part des réponses précises.
Observons juste l’assèchement du Milo, les inondations qui nous ont affligés à travers le pays ou encore les chaleurs caniculaires des mois de mars et avril. Ces phénomènes n’ont jamais été aussi intenses. En conséquence, aujourd’hui plus que jamais, nous devons nous adapter, repenser les rapports entre humains et les rapports entre l’humain et le vivant que sont la faune et la flore. En somme, nous devons changer le rapport que nous entretenons avec notre environnement. Avec la même acuité, le combat pour réduire la pauvreté s’impose comme le défi de notre génération.
Mesdames et Messieurs,
Distingués invités,
Pendant longtemps, nous avons attendu le développement de « l’Etat central ». La majorité de nos concitoyens continuent à attendre de l’Etat Central la résolution des grands défis socioéconomiques de notre pays.
Cette attente est liée à des croyances qu’il faille plus que jamais repenser. Je voudrais revenir sur deux de ces croyances qu’il me parait utile d’évoquer aujourd’hui.
La première croyance considère que la taille des problèmes, l’ampleur des défis est telle, qu’il faut un acteur de taille et capable de mobiliser des moyens extrêmement importants. Je pense aux défis liés à la pauvreté, à l’accès à des soins de santé efficaces ou à une éducation de qualité.
La deuxième croyance, non décorrélée de la première, postule que la capacité de résolution des problèmes socioéconomiques du pays est liée à la position hiérarchique. L’idée est que plus une personne occupe le haut de la hiérarchie, plus elle peut résoudre les problèmes.
Ces deux croyances, fausses, ont des conséquences néfastes mais souvent ignorées.
– La première conséquence est l’attentisme des citoyens et des acteurs intermédiaires qui se disent qu’il faut attendre l’action de l’Etat en raison de l’importance des problèmes.
– La seconde conséquence est le penchant des citoyens pour la dépense publique, même non efficace.
– La troisième conséquence est que l’Etat, lui aussi, a fini par croire qu’il est responsable unique du développement. Cette troisième conséquence se ressent dans notre propension à élaborer de grands plans pour résoudre tous les grands problèmes du pays, laissant ainsi peu de place aux initiatives venant de la base ou des acteurs intermédiaires.
Mesdames et Messieurs,
Distingués invités,
L’histoire des Etats et des faits socioéconomiques nous montrent tous qu’une autorité centrale, je veux dire un Président de la République ou un Ministre, peut décider de l’ouverture ou de la fermeture d’un établissement de soins ou d’éducation. Mais, les hautes autorités, prises isolément, ne peuvent pas garantir la qualité des services de soins ou d’éducation administrés. Cette qualité dépend de plusieurs dizaines d’acteurs intermédiaires et du comportement des citoyens cibles de la politique publique.
Nous pouvons tous également être d’accord pour dire que les grands plans et autres politiques publiques n’ont pas conduit aux résultats que nous avons souhaité, soit en tant que citoyens ou soit en tant que responsables publics.
Mesdames et Messieurs,
Distingués invités,
Le forum pour le développement local de Kankan, organisé dans la foulée de ce festival sur le Milo, participe à la déconstruction des croyances que je viens de citer. Il offre la possibilité aux citoyens de Kankan, aux OSC de Kankan, aux opérateurs économiques de Kankan et aux autorités locales d’échanger sur les défis de la préfecture de Kankan et de s’entendre sur des priorités d’action.
Le succès serait que des actions puissent être identifiées et menées grâce à une mobilisation locale des ressources, bien que des plaidoyers pourraient être faits à l’endroit de l’Etat central ou les bailleurs pour des actions complémentaires.
A ce stade, le message que je souhaiterais faire passer est que nous devons apprendre à être responsables de nos problèmes socioéconomiques à la base, à bâtir des solutions à portée de mains en agissant de manière complémentaire à l’Etat, voire à l’action internationale des PTF.
Mesdames et Messieurs,
Distingués invités,
L’inefficacité des politiques de développement dans les pays africains est de plus en plus expliquée par la désarticulation des dynamiques internationales (mondiales), des politiques nationales, et des réalités socioéconomiques de nos territoires.
Les socio-économistes de développement parlent de discordance des temps à différents niveaux à savoir : mondial, politique, et socioéconomique local ou endogène.
En effet, la conception et la mise en œuvre des politiques publiques de développement dans des pays comme celui de la Guinée pèchent souvent par la désarticulation entre les dynamiques sociales, les logiques politiques et les agendas internationaux. Pour moi, chers compatriotes, il sera difficile de conduire nos sociétés à la prospérité si nous ne travaillons pas à réduire les distorsions entre les temps (mondial, politique et socioéconomique locale).
La mise sur orbite des pays d’Afrique subsaharienne dans un temps mondial aliénant remonte au moins à 1492. Après cette fameuse date qui a conduit à l’esclavage et à la colonisation, plusieurs autres dates ont inséré davantage notre continent dans le circuit de la mondialisation.
Notre histoire moderne nous révèle en effet que les politiques de développement des pays africains ont été fortement influencées par le temps mondial ou l’agenda international. Pour s’en convaincre, il suffit de penser aux « politiques de rattrapage » des premières années après les indépendances, des programmes d’ajustement structurels des années 1980-1990, les programmes de réduction de la pauvreté et les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD).
La manière dont nos pays ont été propulsés dans la mondialisation a pour corollaire l’éviction des dynamiques socioéconomiques endogènes, que j’ai appelé ici temps socioéconomiques, dans les arbitrages conduisant aux politiques publiques de développements. Cette éviction n’est bien sûr pas totale. Mais la réalité est que nous donnons peu de place aux considérations locales lors de la conception des politiques publiques nationales et internationales.
Le temps politique, contrôlé par l’Etat au niveau central, est le lieu de conversation et conversion des différents temps. Nous convenons tous que ce temps politique est encore plus ouvert au temps mondial qu’au temps social. Cet état de fait se manifeste par la faible maitrise par les populations de leurs environnements. Ce paradigme doit être inversé.
Ainsi, les forums pour le développement local, comme celui que nous tenons ce matin à Kankan, participe à réduire la discordance entre les différents temps.
Mesdames et Messieurs,
Distingués invités,
L’idée que je souhaite que l’on retienne de cette longue parenthèse est que :
– La Guinée progresse lentement car les dynamiques sociales d’en bas ne s’accordent pas toujours harmonieusement à la logique d’en haut, même si les possibilités existent ;
– Ce forum, s’il est institutionalisé, pourrait constituer un instrument pour réduire la discordance entre temps social et temps politique, laquelle disons-le ne devrait pas exister puisque la politique tire sa légitimité de la société ;
– L’appropriation des sujets de développement par les acteurs locaux et la mise en confiance de ces acteurs à travers le partage des outils adaptés constituent le chemin pour le développement.
C’est pourquoi, je formule le vœu que les résolutions issues de ce forum soient le début d’une histoire qui fera que les préférences des populations de nos territoires bousculent l’agenda national et celui international.
J’espère donc que Kankan va être à l’instar de Labé, il y a quelques mois, un point d’ancrage de ce dialogue multi acteurs en faveur du développement.
Mesdames et Messieurs,
Distingués invités,
Je voudrais vous partager un rêve personnel, un rêve ancien, qui ne me quitte pas depuis plusieurs décennies. A force d’en parler, mes amis qui sont ici, devinent bien la suite et se disent qu’il y revient encore et encore.
Chers frères et sœurs de Kankan, je rêve d’une Guinée apaisée et prospère contribuant à l’universel avec confiance, laquelle confiance reposant sur le fait que notre nation roule sur ses quatre roues.
En plus de ce rêve et sans sortir du contrat national qui recommande que tous les Guinéens sans exception cultivent une amitié fraternelle, je voudrais formuler le vœu d’une fraternité particulière, d’une relation singulière, entre les fils de Kankan et Labé. Cher Sansy, travaillons-y avec l’aide de nos ainés ici présents. Cela pourrait être un autre bel exemple à reproduire à l’échelle nationale.
Mesdames et Messieurs,
Distingués invités,
Je ne peux terminer ce discours sans remercier son Excellence le Président de la République, le Général d’Armées, Mamadi Doumbouya, pour l’opportunité qui m’est offerte de servir mon pays et de partager au sein de l’administration guinéenne des idées aux côtés des Hauts Cadres comme M. Facinet Sylla, Ministre du Budget et M. Ahmed Karifa Diawara, Directeur Général du Budget.
Je salue enfin le choix qui a été fait d’inviter le peuple Konia, j’ai hâte d’apprendre de la longue histoire de ce vaillant peuple qui constitue une grande composante de notre nation.
J’ai été peut-être un peu long, je tiens tout de même à vous rassurer que le sérieux de ces travaux n’occultera pas le caractère festif de cet évènement.
Nous veillerons à ce que les solutions qui en sortent, rajoutent un petit peu plus d’éclat à nos basins clinquant, à la virtuosité de nos danseurs et au tonnerre de nos djembés.
Je vous souhaite à toutes et à tous un excellent festival.
Je vous remercie !