Abdoulaye Bah de l’UFDG sur le couplage des scrutins : ‘’Techniquement, organiser trois élections ensemble est possible’’
Alors que le gouvernement déclare vouloir organiser simultanément la présidentielle et les législatives fin 2025, des acteurs politiques s’inquiètent des nombreux écueils qui pourraient transformer cette initiative en crise. Dans une interview accordée à VisionGuinee, ce mardi 6 mai 2025, Abdoulaye Bah, coordinateur des fédérations de l’intérieur de l’UFDG et politologue, estime que ‘’si le gouvernement veut, il est même possible d’organiser les trois élections en une seule journée’’.
VisionGuinee : Quelle est la position de l’UFDG concernant l’annonce du couplage des élections présidentielle et législatives fin 2025 ?
Abdoulaye Bah : l’UFDG échange encore au sein du conseil politique. Donc, ce que je dirais ici, n’est qu’une opinion personnelle. Disons que je constate une contradiction entre ce que le général Mamadi Doumbouya avait dit en 2022, où il avait annoncé qu’ils allaient commencer naturellement par les élections municipales, à la base, pour consulter les citoyens afin qu’ils puissent se prononcer sur le choix de leur gouvernement local, c’est-à-dire de bons maires et de bons conseillers pour les mairies de Guinée, les communes rurales et les communes urbaines. Donc, ça, c’est une première contradiction. Ensuite, il avait dit qu’après les communales, les élections législatives allaient suivre pour doter la Guinée d’une Assemblée nationale légitime, représentative de la volonté populaire avec des députés compétents, capables, instruits, intègres, qui vont voter des lois sérieuses. Il avait aussi précisé que cette Assemblée nationale contrôlerait les actions du gouvernement, parce que c’est sa mission. Ce n’est pas une quête de résonance où tout ce qui vient passe comme de l’eau sous un pont. Enfin, il avait affirmé que tout allait être conclu par l’élection présidentielle. Donc, si M. Bah Oury annonce maintenant que les élections présidentielle et législatives vont être couplées, je constate une grosse contradiction, une sérieuse contradiction, entre ce que M. Doumbouya avait dit aux guinéens et ce que son Premier ministre dit aujourd’hui.
Certains acteurs politiques craignent que ce couplage ne brouille les enjeux et n’avantage le pouvoir en place. Partagez-vous cette crainte ? Et comment garantir que ce scrutin conservera sa légitimité sans influence mutuelle ?
Oui, en sciences politiques, le poids d’un parti politique se mesure à la base. C’est-à-dire que si vous voulez connaître la popularité d’un parti ou son assise nationale, organisez des élections locales. C’est là qu’on peut vraiment savoir si un parti politique est ancré. Cette fameuse expression en Guinée…Donc, ce sont les citoyens qui vont départager, dans les communes, les partis politiques à travers leurs candidats. Ça permet de donner une certaine représentativité au parti au niveau national. Dans le monde entier, c’est ce que les États sérieux font. On prépare les citoyens à se prononcer sur les candidats lors des communales. Elles sont très déterminantes pour l’avis de la nation, mais aussi pour évaluer les partis appelés à compéter pour meubler les institutions locales. C’est la base en sciences politiques. La vitalité d’un parti se mesure par sa capacité à remporter un nombre important de mairies. D’ailleurs, partant de cela, lors des présidentielles, en général, les partis politiques qui ont remporté le plus de mairies localement sans fraude, parce qu’en Guinée, on est habitués à ce sport national d’élections truquées, naturellement, ils remportent aussi l’Assemblée et la présidentielle. Parce que c’est le baromètre politique dans un pays. Ça aurait été mieux si la transition, cette refondation qu’on nous vend, dotait vraiment la Guinée d’institutions reflétant la volonté populaire, souveraine, de faire comme partout dans le monde : commencer par les élections locales, comme Doumbouya l’avait dit, c’était très bien, puis les législatives, et enfin la présidentielle.
Maintenant, si c’est pour d’autres intentions inavouées, tout le monde sera témoin. Mais on ne peut pas tricher avec la démocratie. Soit vous gagnez légalement et tout le monde le sait, soit vous trichez et tout le monde sait que vous avez volé la victoire. Alpha Condé a eu ça pendant 12 ans, et ça nous a menés là où nous sommes aujourd’hui. Les gens disaient : ‘Attention, ne niez pas le pouvoir populaire. Laissez le peuple s’exprimer’. On n’a pas écouté. Beaucoup de ces acteurs sont morts, d’autres sont âgés, et la Guinée est dans les problèmes. Il faut faire le bien, partir, et laisser ce bien produire ses effets pour la nation. Ne pas laisser des malheurs derrière soi. Beaucoup d’acteurs de 2010 ne sont plus là, mais la Guinée subit encore les conséquences de leurs actes. Donc, laissons le peuple s’exprimer à travers des urnes, une élection inclusive, transparente, crédible. Le peuple est intelligent : il choisira ceux qu’il veut à la tête des mairies, de l’Assemblée, et de la présidence. Au Sénégal, aux États-Unis, au Ghana, au Libéria et ailleurs, ça marche. Mais on ne peut pas tricher en démocratie et espérer le calme. En politique, c’est 50%+1, majorité absolue, qui donne le pouvoir. Si vous trichez pour vous attribuer 90%, les gens vous diront, On ne vous a pas choisi.
Pensez-vous que le gouvernement a les moyens financiers pour organiser ces élections ?
Tout gouvernement sérieux dans un pays souverain doit se donner le devoir de financer les élections. Le secteur politique est celui de la souveraineté nationale. Quand on a demandé aux colons de partir, c’était pour que les nationaux décident de leur avenir à travers leurs fils et filles, via des élections. C’est la raison de la décolonisation. Si vous êtes indépendants, vous devez démontrer votre capacité à vous gérer et à financer vos choix démocratiques. C’est la première souveraineté politique. Un État indépendant finance ses élections via son budget. Le Canada, le Sénégal, le Libéria, le Brésil, la Belgique, le Maroc, la Tunisie…tous le font. Ce n’est même pas souhaitable qu’un euro ou un dollar finance l’élection des dirigeants d’une nation indépendante. C’est contradictoire de vouloir l’indépendance, mais dépendre de l’étranger pour choisir ses leaders. La Guinée, même pendant la Révolution, finançait ses élections. Si vous n’êtes pas capables de financer une élection, ne réclamez pas l’indépendance. C’est logique.
Mais ce couplage annoncé pourrait-il être un objet de dialogue entre l’opposition et le pouvoir ?
Si les gouvernants respectent les textes qui sont clairs et impartiaux, les élus seront légitimes. Mais si on écarte les lois pour imposer des désirs personnels, vous créez l’anarchie. La loi a pour objectif : l’ordre public. Une élection propre maintient cet ordre. Une élection truquée place le pays sur un volcan. On l’a vu depuis 15 ans. Il faut du courage moral : l’homme passe, la nation demeure. Ceux qui ont fait le mal hier, nous en subissons les conséquences aujourd’hui. Promouvons le respect des lois et des urnes. Si on punissait les fraudeurs, personne n’oserait plus tricher.
Techniquement, organiser trois élections ensemble est possible, comme en Indonésie qui a 200 millions d’électeurs ou en Inde 1 milliard. Mais trois conditions sont absolues pour éviter un fiasco en Guinée : une CENI crédible et renforcée ; un consensus politique préalable et un calendrier réaliste.
Réalisée par Salimatou BALDE, pour VisionGuinee.Info
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