[dropcap]L[/dropcap]e phénomène d’insalubrité se passe de commentaire à Conakry. La capitale guinéenne qui forçait admiration et attention de la part de tout visiteur qui s’y rendait, n’est aujourd’hui assimilable qu’à un dépotoir où ordures, eaux usées et pollutions se côtoient et se tutoient à souhait.
Une réalité qui met le secrétaire général de l’Union pour le progrès de la Guinée (UPG) dans tous ses états. Dans cette entrevue, Ahmed Kourouma ne manque pas non plus de dire ce qui devrait être la démarche des autorités actuelles en vue de relever le défi qui tend à s’éterniser en Guinée.
VisionGuinee.info : Nous entamons la période hivernale à un moment où Conakry est plus que jamais insalubre. Quelle perception avez-vous de cette situation ?
Ahmed Kourouma : Je vois que malheureusement nos enfants continuent depuis 20 ans à jouer sur des tas d’ordures. Vous rajoutez à cela l’incivilité, la pollution et les eaux usées. L’insalubrité qui donne encore l’air de maladie, alors qu’on doit lutter contre Ebola, le choléra ou le palu. Je ne sais pas comment on va faire pendant qu’une ville comme Conakry est classée 19e ville la plus sale du monde, avec un taux de production des centaines de tonnes de déchets par jour. Je ne comprends pas comment on peut vivre dans une telle insalubrité. C’est insupportable.
Nos mères sont à Madina, les pieds dans l’eau. Elles essaient de gagner leurs vies. Et les autorités, l’Etat, les collectivités, les municipalités ne font rien. Tout le monde se complait dans cette saleté inacceptable. Vous rajoutez à cela la pollution avec les bouchons ou les embouteillages qu’il y a sans cesse. On se pose des questions. On a envie de tout se dire, mais ce n’est pas possible qu’on en soit arrivé là.
Vous êtes un acteur qui a son mot à dire dans le développement sociopolitique et économique de ce pays. A ce titre, quelle recommandation pourriez-vous faire aux autorités au cas où celles-ci demandaient votre idée dans le combat contre l’insalubrité à Conakry ?
J’aimerais que les autorités de ce pays aillent faire un stage poussé de formation au Rwanda ou en Suisse, pour comprendre comment ça se passe là-bas. C’est une question de volonté politique aujourd’hui. Mais également une question de civisme. On ne peut pas continuer à vivre dans un pays aussi sale. C’est une question de santé publique. Moi, je pose des questions, mais j’essaie aussi d’apporter quelques solutions. Si nous citoyens, on ne se réveille pas, on ne pousse pas les autorités à agir au XXIe siècle, ce n’est plus possible. Si on ne les pousse pas à agir, rien ne sera fait.
Aujourd’hui, il y a des gens qui blessent ce pays, qui blessent Conakry qui était pourtant l’une des capitales les plus propres au monde. On avait l’une des corniches les plus propres au monde. Si vous regardez cette corniche aujourd’hui, par incivisme de nos concitoyens et par manque volonté politique, elle est jonchée de sacs plastiques. La mer est sale. Le sable fin qui était là est maintenant jonché d’ordures. C’est tout ça qui me parait assez insupportable pour mon pays. Ça me révolte.
A vous entendre, on a comme l’impression que vous incitez à l’insurrection. C’est ça ?
Non, pas du tout ! Je voudrais que chaque citoyen photographie un coin de la capitale et le mette sur le Net. On va voir le pouvoir de l’Internet à obliger nos dirigeants à réagir. Moi, je ne suis pas pour l’insurrection. Je suis un légaliste absolu. Par contre, je crois qu’il y a des moyens de les faire réagir. Il faudrait lancer quelque chose qu’on pourra par exemple appeler Photographie de Conakry. Et que chaque citoyen de ce pays photographie son quartier, les routes défoncées, les ordures pour les mettre sur le Net. Qu’on porte enfin les réalités de notre pays à la face du monde.
Le Premier ministre vient de faire un discours à l’Assemblée nationale pour présenter la politique générale de son gouvernement. Je dis que c’est un très beau discours, très bien rédigé, mais qui est malheureusement hors des réalités de notre pays. Les priorités de notre pays sont effectivement la santé. Je suis ravi qu’il consacre 10% du budget national à ça. Mais je pense aussi que la santé passe par la salubrité d’une ville, la propreté d’une ville. Et c’est un devoir citoyen que de prendre conscience de ça. Donc, j’invite nos concitoyens à poster sur le Net les ordures qu’il y dans Conakry. Prenez les photos et envoyez-les sur le site du gouvernement.
Mais le gouverneur Mathurin Bangoura vient de lancer une opération d’assainissement qu’il compte pérenniser. Qu’est ce que cela vous inspire ?
C’est une très bonne chose, mais Monsieur le gouverneur devrait aller beaucoup plus loin. Il devrait instaurer avec le ministre de la Défense une action civique. C’est-à-dire, moi je suis pour le rétablissement dans notre pays de ce qu’on appelle le service militaire ou le service civique. Il faut pousser, parce que cela permet à la jeunesse de prendre conscience, d’avoir un esprit de patriote. Et il faut pousser nos jeunes qui trainent dans les rues à faire preuve d’œuvres utiles pour la nation.
Donc, ce serait une bonne chose que de rétablir dans notre pays le service militaire ou le service civique. Et puis de consacrer effectivement à ce service une journée par mois ou par semaine où on nettoie de fond en comble la capitale. C’est un devoir républicain et citoyen que de le faire. C’est une des solutions que je pourrai préconiser à Monsieur le gouverneur.
Réalisée par Mady Bangoura, pour VisionGuinee.Info
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