[dropcap]E[/dropcap]n décembre 2010, lorsqu’il arrive à la tête de l’Etat guinéen, Alpha Condé fait face à des attentes aussi pressantes que contradictoires. Après plus de 50 ans de règne des divers régimes précédents, ayant essentiellement consacré leur temporalité à la consolidation de leur pouvoir et à déliter l’appareil étatique, sa tâche était certes ardue.

Les populations martyres de Guinée s’attendaient à ce que le Pr Alpha inverse les priorités en s’attaquant en premier, aux inégalités sociales du pays. Plus de 2/3 des guinéens vivent alors en situation de pauvreté, tandis que 10% de la population concentrent dans leurs mains 90% des richesses. Nourris de promesses électorales, les espoirs d’un gouvernement « pour les pauvres » sont également chargés d’une forte dimension symbolique en raison de la trajectoire personnelle d’opposant historique d’Alpha Condé. Son élection supposait alors dans l’imaginaire collectif, une irruption inédite des couches populaires à la tête de l’Etat ? Non! Et c’est là où le bas blesse, car on a vu plutôt les caciques des anciens régimes battre tous les records de représentativité au sommet.

Pour se faire élire, Alpha Condé s’est aussi engagé à maintenir les équilibres macro-économiques et tenir les engagements financiers internationaux, bien qu’hérités de ses successifs prédécesseurs à la tête de l’Etat, quatre en tout pour lesquels la valeur intrinsèque n’était qu’un mot très confus. Si « l’espoir a vaincu la peur », les milieux d’affaires sont méfiants vis-à-vis du nouveau Président, autrefois très virulent contre la corruption, aujourd’hui la promouvant quasiment. Une confrontation directe n’était pas souhaitable dans ce contexte avec les élites politiques et économiques qui ont les moyens de le faire plier, parce que pris dans une structure politique pesante. Il n’a pas les cartes en main pour réformer, le souhaitait-il effectivement vu le déroulé déplorable de ses stratégies ? La conquête de la présidence ne signifie pas un réel contrôle du pouvoir, beaucoup d’ingrédients et de paramètres, notamment le Manding s’imposent fortement à lui. C’est donc dans le compromis politique qu’Alpha Condé doit trouver l’équilibre entre les pressions politico-économiques et les attentes sociales. Fort de ses anciennes réflexions au moment où il était dans l’opposition, il aura dû faire du pragmatisme politique le principal pilier de ses actions gouvernementales, voilà que le contraire fait qu’il déçoit bon nombre de citoyens voire de militants, et ce réformisme de conciliation ne surprend guère les observateurs avertis.

Alpha Condé a été arrogant et n’a pas érigé dans l’énonciation du discours, « apprendre aux guinéens la patience ». Face à l’urgence sociale, l’heure du changement n’est pas aux réformes de fond, mais à l’assise de sa légitimité. Plutôt que d’opérer une rupture dans l’action sociale, le gouvernement réorganise et réoriente sans harmoniser plusieurs programmes, engloutissant des sommes faramineuses en pure perte. Le hic, c’est d’avoir surestimé la forte corrélation entre la distribution d’eau et d’électricité. C’est à mourir de honte.

A l’heure des législatives, aucune avancée n’a pu être créditée. Devait-il pavoiser en campagne dans ce cas, du genre la Guinée is back ; la Guinée avance ? Il ne semble pas avoir réussi son pari, du moins si l’on considère les indicateurs de pauvreté (soit les ¾ de la population). Aucun programme de transferts sociaux ; création d’emplois minimaliste sinon inexistante car tant que l’Etat existe, la fonction publique sera pourvue ; aucun effet politique de la redistribution des revenus ; les minimas sociaux sont inexistants, boostant le taux de pauvreté en augmentation exponentielle. La classe moyenne est quasi inexistante à cause des pertes d’emplois multiples et diverses. Les inerties inégalitaires sont récurrentes et une incapacité à engager rapidement des réformes est notoire.

La grande marque eut été un retour en force de l’interventionnisme étatique comme au temps de la Révolution multiforme, avec une réorientation des politiques gouvernementales vers les populations déshéritées mais cela est révolu de nos jours. Paradoxalement, l’absence de politique économique, nonobstant le point d’achèvement PPTE, conforte la pléthore de fonctionnaires dont le recrutement fantaisiste accentue le trafic d’influence et donne libre cours aux inégalités sociales.

J’espère que la presque déculottée des législatives donnera au Pr Alpha et ses adeptes, la volonté d’œuvrer enfin à l’avènement d’un véritable changement pour permettre en premier, la pacification du pays car désormais ne légifèreront que les seuls élus du peuple. Bien qu’en avant-goût le CNT avait continué à jouer la caisse de résonnance en lieu et place de nos députés pourtant reconnus comme tels, depuis la proclamation définitive des résultats par la Cour Suprême. G. Bernamos a dit, citation : une civilisation se meurt quand la fin y justifie les moyens… fin de citation. Qu’est-ce à dire ? Les députés de la mouvance présidentielle trainés dans la même boue aussi bien que leurs collègues de l’opposition, ne lèveront pas le petit doigt pour protester, évitant ainsi de se confondre à l’ennemi, acte qui aurait certainement attiré à ces représentants du peuple le courroux du pouvoir.

Notre constitution est issue de la double peine : Assemblée constituante et non référendaire, elle est issue de surcroît d’un décret signé par un Président de transition deuxième homme fort d’une junte militaire, l’incarnation même de l’illégitimité. Toutes choses qui mettent la construction sociale dans une spirale funeste, fragilisant l’équilibre. Il faut éviter de transformer les moyens d’exigence en fin d’existence où l’humanité est assassinée. Aurais-je quelqu’un qui comprendrait mon charabia, c’est la moindre des choses d’autant que c’est son application qui va toujours poser problème.

Il ne faut pas surestimer les risques de surchauffes sociales, ou les facteurs exogènes de déstabilisation. Il faut s’attaquer aux racines des déséquilibres sociaux : Absence d’eau et d’électricité, les dénis de justice et la production des normes de protection des biens et des personnes. Faute de mieux, l’histoire sera ‘’bis repetita’’ en Guinée. Les militaires gorgés à la téquila seront l’alternative.

En résumé, la liberté ne signifie pas pouvoir ce qu’on veut, mais vouloir ce qu’on peut. Cette terrible fièvre hémorragique Ebola qui nous est venue de Guéckédou depuis Janvier 2014, mais que les autorités ont tu l’existence à cause du passage de sa Majesté Mohamed VI Roi du Maroc, va sûrement avoir des répercussions innommables sur le futur proche du guinéen. La première serait la non tenue des communales alors que ces consultations sont un préalable indispensable à la crédibilisation de la présidentielle de 2015.

Il est évident que nous ressentons aujourd’hui les affres de la dangerosité de cette rétention d’informations, seule responsable à mon sens, de l’hécatombe à laquelle nous assistons stupéfaits et impuissants. En matière d’épidémie, l’isolement des contaminés est la mesure responsable, la toute première recommandée même par l’Islam, que le scientifique ne dément pas, le consolide plutôt. La mort ne peut être une chose à plaisanterie, ni même politicienne, elle est effrayante mettant un terme à tout et comme elle est incontournable, nous souhaitons mourir d’une mort propre, presque belle. Un corps dont on n’aura peur, qu’on ne pourra embrasser pour une dernière fois et surtout accompagner dans la dignité à sa dernière demeure, celui d’une mère, d’un père, d’un fils, d’une épouse, d’un époux… est la pire des désastres qu’un être humain puisse subir ici-bas. Puisse Dieu, par sa grâce et sa miséricorde nous en garder. Amen !

C’est heureux et dommage en même temps, qu’on ne puisse créer in vitro des guinéens nouveaux coupés de leur histoire. N’y essayez donc pas. A bon entendeur, salut !

Par Thierno Seydou Bayo