Dans cet entretien, Son Excellence Mme Aminata Koita, ambassadrice de Guinée en Chine, évoque les relations diplomatiques et économiques entre les deux pays, soulignant les projets de coopération dans divers secteurs stratégiques. Elle met en lumière les priorités de son mandat et la richesse des échanges culturels et éducatifs qui façonnent les liens bilatéraux. De l’impact des investissements chinois aux échanges académiques, la diplomate guinéenne offre un aperçu des opportunités qu’un partenariat renforcé pourrait apporter à la Guinée.
VisionGuinee : Pour commencer, Mme l’ambassadrice, merci de nous recevoir dans les locaux de l’ambassade de Guinée en Chine…
SEMme Aminata Koita : Je vous remercie de m’avoir donné cette opportunité au nom de la mission guinéenne à Beijing pour éclairer la lanterne des guinéens sur l’état de la coopération de la République de Guinée avec ce grand pays qui est la Chine. A l’instar de votre confrère journaliste N’Faly Condé de la Radio nationale qui, de passage à Beijing, a fait un bon travail, j’encourage et invite tout journaliste guinéen en séjour à Beijing, de passer nous voir pour s’enquérir de ce que nous sommes en train de faire pour la Guinée, notre cher pays.
Comment décrivez-vous l’état actuel des relations entre la Guinée et la Chine
Les relations entre la Guinée et la Chine sont au beau fixe. Nos deux pays ont établi des relations diplomatiques en 1959 et ont développé un partenariat stratégique global de coopération. La Chine n’a pas un partenariat global de coopération avec tous les pays du monde. La Guinée est l’un des pays africains à avoir ce partenariat stratégique avec la Chine.
Dans ce partenariat stratégique global, nous avons des éléments clés, depuis 2018, dans le cadre de l’initiative « La Ceinture et la Route ». Ce qui élargit et approfondit la coopération dans divers domaines.
En premier lieu, nous avons les investissements. De plus en plus d’entreprises chinoises investissent en Guinée dans les domaines de l’hydroélectricité, des transports, des mines et les télécommunications.
Dans ce partenariat, nous avons reçu de la Chine une aide sans condition. C’est une aide qui est dédiée aux infrastructures, à l’éducation et à la santé. L’éducation et la santé, c’est le capital humain qu’il faut développer.
Dans le domaine commercial, les échanges commerciaux entre la Chine et la Guinée ont connu une croissance.
Il faut aussi souligner que les deux pays se supportent mutuellement dans les instances internationales. La Guinée soutient la seule et unique Chine. Une position appréciée par la Chine qui est un grand pays. On ne doit pas diviser la Chine. On doit chercher à consolider cette Chine qui apporte beaucoup au monde.
En termes de coopération, quelles sont aujourd’hui les grandes priorités de la Guinée dans ses liens avec la Chine ?
Comme on aime à le dire chez nous, tout est prioritaire. On met un accent particulier sur le développement économique. Ce qui fait que Guinée et la Chine mènent une coopération pragmatique dans divers domaines dont l’énergie, les mines, les transports, les télécommunications. Nous accordons une priorité aux ressources naturelles. La Guinée est très riche en ressources naturelles qui font partie des premiers besoins de la Chine. C’est donc un partenaire naturel dans l’exploitation de ces ressources.
Dans le domaine des infrastructures, nous avons signé un accord de coopération. La Chine investit dans des infrastructures en Guinée en contrepartie de nos minerais. Des projets ont été lancés dans les transports, énergie et télécommunication.
La Guinée est un pays agricole, offre ses conditions naturelles exceptionnelles pour l’agriculture. La Chine avec ses technologies et ses équipements, apporte son expertise aux agriculteurs guinéens.
La Guinée et la Chine coopèrent dans les domaines de la santé et de l’éducation qui sont des secteurs clés.
Les deux pays sont engagés à promouvoir le développement durable et à protéger l’environnement. D’ailleurs, la Chine a proposé son expertise pour aider la Guinée à atteindre les objectifs du développement durable de l’ONU.
En tant qu’ambassadrice, parlez-nous de vos priorités pour approfondir la coopération entre la Guinée et la Chine ?
En tant que cheffe de la représentation diplomatique de la Guinée en Chine, mes priorités rentrent dans le cadre du renouveau de mon pays après 65 ans de coopération entre nos deux pays. J’œuvre au renforcement des principes d’amitié, de sincérité, de réciprocité et d’inclusivité ainsi qu’un juste concept de justice et de bénéfices. Avec un partenaire comme la Chine qui a ses principes fondamentaux de coopération, nous adhérons à ces principes et allons continuer à travailler avec la Chine faire avancer le partenariat stratégique global et faire profiter les opportunités offertes à la Guinée par l’initiative « La Ceinture et la Route ».
Vous êtes en Chine depuis quelques années. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans votre expérience ?
Je retiens de la Chine qu’elle a une économie en pleine croissance pour devenir une des principales puissances économiques de monde. Cela m’a beaucoup marquée. Sa politique de réformes et d’ouverture pour passer d’une économie de planification centrale à une économie de marché m’a impressionnée.
La Chine est devenue le plus grand manufacturier, commerçant de biens, de réserves de change au monde. Elle a fait des progrès dans le domaine de l’innovation avec des succès.
Les technologies développées en Chine permettent aujourd’hui aux gens d’aller au travail en vélo en libre-service, de payer en scannant un code QR, de faire des courses sur les smartphones. Ce sont des avancées qui impressionnent dans un pays ayant une population de 1,4 milliard d’habitants.
La Chine est un investisseur majeur en Afrique. Comment cela se concrétise-t-il en Guinée ?
La Chine et la Guinée ont signé un accord de financement d’un montant de 20 milliards de dollars américains pour les 20 prochaines années, destiné à la réalisation d’infrastructures prioritaires dans notre pays. En échange, la Guinée accordera des concessions minières à des entreprises chinoises pour rembourser ce prêt. Nous sommes un pays fier. Nous ne voulons de simples aides. Nous voulons un partenariat gagnant-gagnant. Ce qui nous permet de développer notre pays, de construire des infrastructures notamment des routes, des ports, des aéroports.
La Chine construit des routes dans la capitale Conakry, y compris l’extension du port, la reconstruction de la route nationale, la ligne de transmission électrique entre les localités de Linsan et Fomi et la réhabilitation et l’extension des universités régionales.
Quels secteurs intéressent le plus les investisseurs chinois en Guinée ?
Les investisseurs chinois sont intéressés par l’extraction minière : la bauxite et fer, avec le projet Simandou. Ils sont attirés par les marchés de construction des routes, des ponts, des ports ainsi que les barrages.
Ils sont intéressés par le secteur énergétique. On a vu les barrages Souapiti, Kaleta. Lors du séjour en septembre 2024 du président de la République, le général Mamadi Doumbouya, nous avons signé un accord pour le projet du barrage hydroélectrique de Amaria.
Quels autres secteurs ?
Nous avons l’agriculture, les télécommunications, les transports, la logistique. Ces domaines intéressent beaucoup la Chine en Guinée.
Existe-t-il des programmes pour renforcer les échanges culturels entre la Guinée et la Chine ?
Il existe plusieurs programmes et initiatives visant à renforcer les échanges culturels entre la Guinée et la Chine. Nous avons des étudiants guinéens dans des universités chinoises. Nous avons beaucoup de programmes d’échanges avec la Chine. Parce que la Guinée a beaucoup à apprendre de la Chine. Ces programmes incluent des échanges universitaires, des bourses d’études, des festivals culturels, ainsi que des partenariats entre institutions culturelles et artistiques des deux pays. La Chine a ouvert l’Institut Confucius à l’université Gamal Abdel Nasser de Conakry pour enseigner la langue chinoise. A l’hôpital de l’amitié sino-guinéenne de Kipé a ouvert des classes pour que les médecins guinéens apprennent le chinois et que les médecins chinois aussi y apprennent le français pour une meilleure compréhension entre les deux partie. Nous avons aussi des activités de coopération bilatérale dans les domaines de la musique, de la danse, du théâtre et de l’arts visuels.
Comment se déroulent les échanges éducatifs entre la Guinée et la chine, en particulier pour les étudiants Guinéens en Chine ?
Les échanges éducatifs entre la Guinée et la Chine se déroulent principalement à travers des bourses d’études offertes par le gouvernement chinois, permettant à des étudiants guinéens de poursuivre leurs études en Chine. Ces bourses couvrent les frais de scolarité, le logement et une allocation mensuelle. Les boursiers guinéens peuvent faire des études dans divers domaines, notamment les sciences, les technologies, l’ingénierie, et la médecine. En retour, la Guinée accueille des initiatives de coopération éducative, comme des formations en langue chinoise et des programmes d’échanges universitaires. Ces échanges favorisent le renforcement des liens bilatéraux et le partage de connaissances.
A vos yeux, quels aspects de la culture chinoise vous semblent les plus enrichissants pour la société guinéenne ?
La culture chinoise est riche et diversifiée. Elle offre de nombreux aspects positifs qui pourraient être enrichissants pour la société guinéenne. Ces aspects ne concernent pas seulement les échanges académiques et professionnels, mais aussi les valeurs culturelles et les pratiques sociales qui peuvent influencer positivement le développement de la Guinée.
Parmi ces aspect, dans la culture chinoise, nous avons le respect des aînés et de la famille. En Chine, la famille est une institution clé et le respect des aînés fait partie intégrante de la culture. Cet aspect pourrait contribuer à renforcer les liens familiaux et communautaires en Guinée, où la solidarité intergénérationnelle et la transmission du savoir entre générations est essentielle.
Les chinois ont un profond respect des traditions et la préservation du patrimoine. La Chine a su préserver ses traditions, tout en s’adaptant à la modernité, grâce à une forte conscience de l’importance du patrimoine culturel. En Guinée, il existe une riche diversité culturelle et de traditions qui méritent d’être préservées et valorisées. La Chine pourrait offrir des exemples de gestion efficace des patrimoines culturels immatériels et matériels, comme les arts traditionnels, les festivals ou l’architecture historique, afin d’inspirer des initiatives similaires en Guinée.
En Chine, un autre aspect très important, c’est le respect des lois et des règles. Cela est essentiel pour maintenir l’ordre social avec une population de 1,4 milliards d’habitants. Bien que chaque pays ait ses propres défis, la promotion d’une culture du respect des lois et de l’ordre public en Guinée pourrait favoriser un environnement plus stable et propice à l’investissement et au développement durable.
Quels sont, selon vous, les principaux défis des relations entre la Guinée la Chine aujourd’hui ?
La Guinée est riche en ressources naturelles on ne cessera jamais de le dire, notamment en bauxite, en minerai de fer et en diamant. La Chine a des intérêts considérables dans l’extraction et la transformation de ces ressources, ce qui peut créer des tensions si les conditions d’extraction ne sont pas respectées ou si les revenus ne sont pas partagés en matière équitable.
Les accords commerciaux et les investissements chinois ont souvent été critiqués pour être déséquilibrés, favorisant les intérêts chinois au détriment de la population guinéenne dans les profits et la répartition des coûts.
La transparence et la légalité des transactions économiques. La Guinée est située dans la zone où les puissances régionales ont des intérêts économiques et stratégiques importants. La Chine doit prendre en compte cette réalité pour protéger ses intérêts et maintenir sa présence en Guinée.
Nous avons des projets d’investissements chinois en Guinée notamment dans l’extraction minière et l’énergie, qui peuvent avoir des impacts environnementaux négatifs si les normes de sécurité et d’écologie ne sont pas respectées.
Les relations entre la Chine et la Guinée sont marquées par une coopération économique et stratégique importante, mais également par les défis et tensions. Elles sont également influencées par les préoccupations de sécurité nationale. La Chine considère que la Guinée est un pays clé pour sa sécurité régionale, tandis que la Guinée cherche à protéger ses intérêts nationaux et à préserver son indépendance.
Parlons des jeunes. Quel impact les relations sino-guinéennes ont-elles sur la jeunesse guinéenne ?
Les relations sino-guinéennes ont des impacts complexes et multifacettes sur la jeunesse guinéenne allant de l’accès à l’éducation, aux opportunités économiques en passant par l’influence culturelle. Les bourses d’études en Chine et les programmes d’échanges ont augmenté la mobilité guinéenne vers la Chine. Cela a permis à de jeunes guinéens de bénéficier d’une éducation de qualité et de développement des compétences linguistiques et professionnelles en chinois.
Les investissements chinois en Guinée notamment dans les secteurs de l’extraction minière et de l’énergie ont créé des opportunités d’emploi pour les jeunes guinéens. Les projets de coopération sino-guinéenne dans les domaines de la technologie et de l’innovation ont permis aux jeunes guinéens de développer des compétences en matière de programmation et d’autres technologies de pointe.
Les relations sino-guinéennes ont modifié la perception que les jeunes guinéens avaient de la Chine et de la culture chinoise. Ils considèrent la Chine comme un partenaire économique et culturel important.
Quid de programmes pour encourager les jeunes entrepreneurs guinéens à collaborer avec les investisseurs chinois ?
En Chine, les programmes sont variés de l’immobilier, des services financiers, de l’industrie, des médias, de la technologie, des technologies vertes, de l’agriculture et même de la mode. Mais en Guinée, les porteurs de projet sont souvent confrontés aux difficultés d’accès au financement pour réaliser leurs différents projets. Ce problème de financement est devenu aujourd’hui un véritable frein pour l’émancipation des jeunes entrepreneurs qui ont du mal à trouver des financements.
Un conseil à donner aux guinéens intéressés par la Chine et ses opportunités ?
Je donnerai beaucoup de conseils. En tant que pays en développement, la Guinée peut tirer parti des relations avec la Chine pour promouvoir son développement économique et social. Les guinéens pourraient bénéficier de formations et de transferts de technologies pour améliorer leur compétitivité dans le secteur des ressources naturelles.
La Guinée pourrait aussi bénéficier de l’amélioration des conditions de vie des guinéens par des investissements accélérateurs du développement économiques. Les guinéens bénéficieront des accords signés avec Chine pour développer les entreprises et exporter leurs produits.
Ils pourront ainsi profiter des programmes de formation et d’éducation pour l’acquisition des compétences et des connaissances en s’inspirant du modèle chinois.
J’invite les acteurs du tourisme à s’intéresser à la Chine qui a fait des progrès dans le tourisme. Aux jeunes guinéens qui veulent venir en Chine, je leur conseille d’apprendre le mandarin qui est la langue officielle de la Chine pour faciliter non seulement les échanges commerciaux et culturels, mais aussi comprendre la culture chinoise qui est riche et complexe pour se familiariser avec les traditions, les valeurs et les coutumes chinoises pour mieux comprendre les partenaires commerciaux.
Un dernier mot ?
Je voudrais sincèrement vous remercier et vous féliciter. Lors de la cérémonie de remise de diplômes de fin de formation, le directeur du Centre international de presse et de communication de Chine (CIPCC) m’a parlé des résultats de votre travail. Cela est encourageant. J’étais fière d’être là à vos côtés. Il est important de donner la chance aux jeunes guinéens de venir apprendre et partager leurs expériences en Chine. Je souhaite que ce partenariat aille en se développant à travers une augmentation du quota alloué à la Guinée en tenant compte des relations d’amitié et de la coopération existant entre nos deux pays depuis le 4 octobre 1959.
Ciré BALDE, pour VisionGuinee.Info
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