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Armée et politique en Guinée : la démission comme condition juridique d’entrée du militaire dans la compétition électorale

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Soutra

La question de l’éligibilité d’un militaire en activité, notamment lorsqu’il exerce les fonctions de Chef de l’État dans un contexte transitoire, soulève des enjeux juridiques et institutionnels majeurs.

En Guinée, le débat prend une portée particulière à la lumière de l’article 45 de la nouvelle Constitution, qui consacre le droit pour tout citoyen remplissant certaines conditions d’être candidat à la Présidence de la République. Toutefois, ce principe d’ouverture rencontre une limite fondamentale posée par l’article 10 de la Loi L/2019/0041/AN portant Statut général des militaires, qui interdit à tout militaire en activité de mener des activités politiques sans avoir préalablement démissionné.

Dès lors, se pose une tension entre le principe constitutionnel d’universalité du droit de candidature et le principe législatif de neutralité militaire, deux exigences également républicaines mais d’inspiration différente : l’une découle de la démocratie pluraliste, l’autre de la stabilité institutionnelle. L’enjeu consiste à déterminer si, en droit guinéen, un militaire en fonction, même chef de la transition, peut se porter candidat avec son statut.

L’analyse qui suit démontre que, malgré la portée générale de l’article 45 de la Constitution, l’article 10 du Statut général des militaires s’impose comme une garantie républicaine essentielle, consacrant la neutralité de l’armée et conditionnant l’entrée du militaire dans la sphère politique.

I. Le principe constitutionnel d’universalité du droit de candidature

L’article 45 de la nouvelle Constitution guinéenne pose un principe général : tout Guinéen remplissant les conditions légales peut se porter candidat à la Présidence de la République.

Les critères sont objectifs : nationalité, résidence, jouissance des droits civils et politiques, âge, santé, déclaration de patrimoine, et présentation par un parti ou à titre indépendant.

Ainsi, la Constitution consacre un droit d’éligibilité universel, expression du pluralisme démocratique et du principe d’égalité des citoyens devant la loi.

Toutefois, ce droit n’est pas absolu : il s’exerce dans le respect des autres normes législatives qui organisent la vie institutionnelle et encadrent certaines fonctions à responsabilité, notamment celles de la défense nationale.

Autrement dit, la Constitution reconnaît à chaque citoyen le droit d’être candidat, sous réserve de remplir l’ensemble des conditions prévues par les lois de la République, dont fait partie la Loi L/2019/0041/AN portant Statut général des militaires.

II. La contrainte juridique découlant du statut militaire : la neutralité fonctionnelle

L’article 10 de cette loi introduit une limitation fonctionnelle propre aux militaires :

« Il est interdit au militaire en activité d’adhérer à des groupements ou associations à caractère politique, syndical, ethnique, religieux ou régionaliste. Le militaire demeure électeur. Toutefois, pour mener des activités politiques, il est tenu de présenter sa démission. »

Cette disposition distingue clairement le droit de participation passive (le vote) et le droit de participation active (l’engagement politique, la candidature ou la campagne électorale). Le militaire, en tant que garant de la stabilité républicaine, conserve son droit politique, mais ne peut en exercer les attributs actifs tant qu’il demeure sous statut militaire.

Il s’agit d’une règle de neutralité fonctionnelle, non d’une privation de droits. Le militaire n’est pas exclu de la citoyenneté politique : il doit simplement se défaire de sa fonction militaire avant d’en assumer une autre, politique. Cette exigence fonde l’équilibre entre la loyauté de l’armée envers l’État, la liberté politique du citoyen, mais surtout la loyauté du militaire envers son institution.

III. L’incompatibilité juridique entre statut militaire et exercice politique actif

La logique de l’article 10 du Statut général des militaires est celle de la préservation de la neutralité de l’armée et de la prévention des dérives politico-militaires. Elle vise à éviter que la puissance de l’institution militaire ne soit instrumentalisée au profit d’une ambition personnelle ou d’un courant partisan.
Ainsi, le militaire en activité ne remplit pas toutes les conditions légales de l’article 45 de la Constitution, car il ne jouit pas pleinement de ses droits civils et politiques au sens actif tant qu’il demeure au service de l’armée. Son statut spécial suspend l’exercice de ces droits politiques tant qu’il n’a pas présenté sa démission.

La candidature du militaire en activité violerait donc à la fois :

• la lettre de la loi (article 10 du Statut général) ; et l’institution elle-même.
• et l’esprit de la Constitution (article 45), qui exige la jouissance effective des droits civils et politiques.

La démission devient dès lors une condition obligatoire et préalable de recevabilité de la candidature.

IV. Une exigence de stabilité républicaine et de loyauté institutionnelle

Cette exigence n’est pas une entrave arbitraire, mais une garantie républicaine majeure. Elle sert à :

• maintenir la loyauté de l’armée envers la Nation, non envers des partis ou ambitions personnelles ;
• prévenir les fractures identitaires et les conflits d’intérêt entre devoir de commandement et jeu politique ;
• préserver la légitimité du processus électoral, en évitant toute confusion entre autorité militaire et autorité politique.

En d’autres termes, cette disposition fait du militaire un gardien de la République, non un acteur partisan. Elle consacre une véritable « séparation des sphères » entre le champ régalien (défense, sécurité, ordre) et le champ politique (compétition électorale, idéologie, pouvoir civil).

V. La transition et la tentation du cumul : un enjeu de cohérence institutionnelle

Même si, en contexte transitoire, un militaire peut occuper provisoirement la fonction de chef de l’État pour rétablir l’ordre constitutionnel, cela ne modifie pas la nature de son statut juridique. Il reste soumis aux obligations de neutralité et de réserve imposées par le Statut général.

Ainsi, le Président de la transition, chef de l’État, chef suprême de l’armée, Président de la République, ne peut invoquer sa position institutionnelle pour échapper à la contrainte légale de démission : en droit, la fonction transitoire ne transforme pas le militaire en civil, d’ailleurs, il reste encore général, donc le chef de la transition reste un agent public sous statut militaire, cependant tenu à la neutralité politique.

En définitive, si l’article 45 de la Constitution ouvre le droit de candidature à tout citoyen guinéen remplissant les conditions requises, l’article 10 du Statut général des militaires en restreint légitimement, juridiquement, l’exercice pour les militaires en activité. Cette articulation juridique consacre un principe fondamental de la République : Nul ne peut être à la fois militaire de la République et acteur de la lutte politique.

Dès lors, un militaire, fût-il président de la transition, ne peut se porter candidat à la magistrature suprême qu’après avoir quitté l’armée, afin de redevenir un citoyen ordinaire et de respecter les exigences de neutralité, de légitimité et de cohérence institutionnelle. C’est le prix du respect de l’État de droit et de la fidélité à l’esprit républicain.

Abdoulaye Bademba DIALLO
Juriste publiciste

Soutra
1 commentaire
  1. Ousmane Mohamed CAMARA dit

    Un militaire en activité peut-il être candidat à la Présidence de la République en Guinée sans démissionner ?

    L’analyse selon laquelle un militaire en activité, même Chef de l’État en transition, ne pourrait se porter candidat à la magistrature suprême sans démissionner repose sur une lecture rigide du droit guinéen. Si elle s’appuie sur le principe de neutralité militaire inscrit à l’article 10 de la Loi L/2019/0041/AN, elle néglige plusieurs éléments fondamentaux du droit constitutionnel, de la hiérarchie des normes et du contexte transitoire. Une lecture plus nuancée permet de démontrer que cette interdiction n’est ni absolue, ni juridiquement incontestable.

    I. La primauté de la Constitution sur les lois ordinaires

    L’article 45 de la Constitution guinéenne consacre un droit fondamental : « Tout citoyen guinéen jouissant de ses droits civils et politiques peut être candidat à la Présidence de la République. » Ce droit est de valeur constitutionnelle, donc supérieure à toute loi ordinaire, y compris le Statut général des militaires.

    Or, l’analyse initiale accorde à l’article 10 du Statut militaire une valeur contraignante équivalente à celle de la Constitution, ce qui constitue une erreur de hiérarchie des normes. En cas de conflit, seule la Constitution prévaut. Le Conseil constitutionnel, garant de cette hiérarchie, pourrait être saisi pour trancher une éventuelle contradiction.

    Exemple : En droit sénégalais, le Conseil constitutionnel a déjà rappelé que toute restriction au droit de candidature doit être expressément prévue par la Constitution ou justifiée par un impératif supérieur d’ordre public.

    II. Le statut hybride du Chef de l’État en transition

    L’analyse ne distingue pas le statut d’un militaire ordinaire de celui d’un militaire investi d’une fonction civile suprême dans un contexte transitoire. Or, le Chef de l’État en transition, bien qu’issu de l’armée, exerce une fonction civile, investie par un acte de souveraineté (charte de transition, décret ou consensus national).

    Cette fonction suspend de facto certaines obligations militaires, notamment l’obligation de réserve. Il ne s’agit plus d’un militaire en activité au sens strict, mais d’un agent public exerçant une charge politique transitoire.

    Exemple : Le capitaine Amadou Toumani Touré, au Mali, a dirigé la transition de 1991 à 1992 en tant que militaire, puis s’est présenté à l’élection présidentielle de 2002 sans que sa candidature ne soit invalidée pour défaut de démission militaire. Il avait entre-temps quitté l’armée, mais son statut transitoire n’avait pas été un obstacle juridique.

    III. La jouissance des droits civils et politiques : une interprétation excessive

    L’analyse affirme que le militaire en activité ne jouirait pas pleinement de ses droits civils et politiques. Or, cette affirmation repose sur une confusion entre l’exercice des droits politiques et leur existence juridique.

    Le droit d’éligibilité est un droit fondamental, et sa restriction doit être interprétée strictement. Le fait qu’un militaire soit soumis à un devoir de réserve ne signifie pas qu’il est privé de ses droits civiques. Il peut être électeur, et sous certaines conditions, candidat.

    Cependant, la jouissance des droits civils et politiques ne signifie pas leur exercice immédiat, mais leur reconnaissance. Le militaire peut jouir de ses droits tout en étant temporairement empêché de les exercer, sauf disposition constitutionnelle expresse.

    IV. L’absence de mécanisme intermédiaire : une lacune juridique

    L’analyse ne propose aucune alternative entre la démission pure et simple et l’inéligibilité. Pourtant, le droit administratif guinéen connaît des mécanismes comme la mise en disponibilité ou la suspension temporaire, qui permettent à un agent public de se retirer de ses fonctions sans rompre définitivement le lien statutaire.

    Proposition : Le militaire chef de la transition pourrait être mis en disponibilité ou suspendu de ses fonctions militaires pour se conformer à l’article 10, sans démissionner formellement. Cela préserverait à la fois la neutralité de l’armée et le droit de candidature.

    V. Le contexte transitoire appelle une lecture finaliste du droit

    Enfin, l’analyse ignore le contexte exceptionnel de la transition. Or, le droit constitutionnel reconnaît que les périodes transitoires appellent des ajustements normatifs. La finalité de la transition est le retour à l’ordre constitutionnel, non l’exclusion de certains citoyens du jeu démocratique.

    Exemple : En Afrique du Sud post-apartheid, des militaires ont intégré le processus politique de transition sans être exclus du champ électoral, dans un souci de réconciliation et de stabilité.

    Conclusion

    L’interdiction faite à un militaire en activité de se porter candidat à la Présidence, bien que fondée sur un principe de neutralité légitime, ne saurait être absolue ni supérieure à la Constitution. Le droit guinéen gagnerait à clarifier cette articulation par voie réglementaire ou constitutionnelle.

    En l’état, une interprétation souple, respectueuse de la hiérarchie des normes et du contexte transitoire, permettrait à un militaire chef de la transition de se porter candidat, à condition de se soumettre à un mécanisme de mise en disponibilité ou de suspension, garantissant la neutralité de l’armée sans priver le citoyen de ses droits fondamentaux.

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