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Chine-Afrique : entre mythes et réalités

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Pékin est désormais le premier partenaire commercial du continent et son principal bailleur de fonds. Malgré les innombrables rumeurs sur ses méthodes et ses intentions, la réalité est plus contrastée qu’on ne veut bien le voir.

Si la présence chinoise sur le continent n’est pas nouvelle, elle a pris une ampleur colossale au cours de la dernière décennie. Les échanges avec l’empire du Milieu ont été multipliés par douze en dix ans. Après être devenu le premier partenaire commercial de l’Afrique en 2009, Pékin a gagné le titre de premier bailleur de fonds, annonçant, lors du cinquième sommet Chine-Afrique, qui s’est tenu dans la capitale chinoise les 19 et 20 juillet, qu’il allait porter le montant des prêts au continent à 20 milliards de dollars (16,3 milliards d’euros) pour les trois années à venir.

L’émergence du géant asiatique suscite d’ailleurs des réactions contrastées, allant de l’accusation de pillage à l’espoir. Ainsi la Chine a-t-elle été soupçonnée d’acheter massivement des terres en Afrique ; en fait, l’appétit de cet « ogre » n’excède pas 4 % des accaparements fonciers au sud du Sahara. Ainsi chacun a-t-il entendu ces histoires de « prisonniers » chinois envoyés bâtir des routes en Afrique ; histoires qui n’ont été étayées d’aucune preuve, mais qui ont encore de beaux jours devant elles. Cette profusion d’informations sur la « Chinafrique », souvent imprécises, parfois erronées, souligne un fait majeur : les motivations des investisseurs chinois, leurs modalités d’action et l’impact de leur présence sont encore mal compris.

Main tendue

La présence de la Chine en Afrique a tout d’abord été politique. Elle s’enracine dès les années 1960 avec le soutien de Mao aux indépendances africaines. Ce n’est qu’en épousant la libéralisation de l’économie chinoise, initiée par Deng Xiaoping dans les années 1990, qu’elle prend un visage plus économique. Vingt ans après, la montée en puissance de Pékin dans l’économie africaine a bouleversé les équilibres, pour le meilleur et pour le pire. Car, comme le confie un conseiller du ministre béninois de l’Industrie, « personne en Afrique ne refusera la main tendue de la Chine, quels que soient les intérêts qu’elle sert et les conditions imposées… Il y a bien trop d’argent en jeu et les investisseurs sont encore rares ». Un constat d’autant plus pertinent qu’Européens et Américains, touchés par la crise, se replient.

Dans certains pans de l’économie, la Chine s’est rendue incontournable, remportant notamment une grande part des contrats de construction (routes, ponts, aéroports, lotissements…). En la matière, elle oeuvre dans des délais et à des coûts imbattables. En échange des prêts à taux concessionnels qu’il octroie à ses partenaires pour financer les projets, l’empire du Milieu signe de juteux contrats d’approvisionnement en matières premières. C’est ce qu’il nomme une stratégie « gagnant-gagnant ». De fait, la carte des investissements chinois en Afrique épouse, dans une large mesure, celle des ressources naturelles les plus précieuses. Le Soudan, l’Angola et le Nigeria (pétrole), l’Afrique du Sud (charbon, platine), la RD Congo et la Zambie (cuivre et cobalt) sont devenus les partenaires privilégiés du géant asiatique.

La Chine n’hésite pas à mettre les moyens de ses ambitions sur la table, au mépris du risque de réendettement des pays concernés. Les 6 milliards de dollars de prêt accordés par Pékin à Kinshasa en 2007 ont ainsi fait grincer des dents au Fonds monétaire international (FMI) et à la Banque mondiale, alors qu’un allègement de 80 % de la dette extérieure de ce pays fragile – soit 12 milliards de dollars – était en préparation. Côté africain, la Chine est souvent plébiscitée, car son offensive brise le monopole des firmes européennes, créant une profitable concurrence.

L’emprise de Pékin dépasse cependant largement les infrastructures et les ressources naturelles. Elle concerne tout le tissu économique. Il suffit de remonter les allées du Centenaire, à Dakar, pour se convaincre que la présence des petits commerçants chinois n’est pas anecdotique. S’y égrènent plusieurs centaines d’échoppes vendant des produits de pacotille, des chaussures strassées qui séduiront les belles Sénégalaises, des savons qui approvisionneront les mères de famille. Liu, un jeune Chinois résidant à Dakar, comprend assez mal l’animosité suscitée par la présence des commerçants asiatiques : « Après tout, rien n’empêche les clients d’aller chez nos voisins sénégalais. » Rien, en effet, sinon le désir de pouvoir consommer, qui gagne les couches populaires africaines. Nombreux sont les petits consommateurs qui se réjouissent d’avoir accès à bon prix à des produits autrefois réservés à une élite.

Dans certains secteurs comme le textile, l’arrivée des Chinois a cependant quasiment réduit à néant l’effort d’industrialisation. Ainsi, en Afrique du Sud, au Lesotho ou au Nigeria, les ateliers de confection se heurtent désormais à la concurrence frontale des métiers à tisser de Shanghai. En une décennie à peine, le déficit commercial de l’Afrique avec la Chine dans le domaine du textile est passé de 200 millions à 1,35 milliard de dollars. En dépit des coûts de transport, les produits chinois demeurent en effet plus compétitifs. Impossible ou presque, aujourd’hui, de trouver du wax non chinois sur un petit marché de Cotonou !

Le succès commercial de Pékin a fait couler beaucoup d’encre sur la « stratégie chinoise en Afrique ». Or il existe sur le continent autant de stratégies que d’acteurs chinois. Beaucoup de décideurs locaux n’ont aucune idée de la nature de leurs interlocuteurs chinois, à l’instar de ce cadre du ministère sénégalais de l’Agriculture, incapable d’indiquer avec qui – entrepreneur privé, firme d’État chinoise, département de la coopération de l’ambassade ? – il négocie un accord portant sur 50 000 ha de terres arables.

De fait, derrière le masque des « Chinois d’Afrique » se dévoilent des visages contrastés. Petits exploitants agricoles quittant des régions en déprise, ouvriers qualifiés recrutés par des cabinets spécialisés, hommes d’affaires intrépides en quête de fortune, fonctionnaires des grandes firmes d’État… Beaucoup échappent d’ailleurs aux recensements, qui évaluent leur nombre à 1 million sur le continent. Certains resteront de longues années en Afrique, naviguant de pays en pays, comme cet ingénieur rencontré au Ghana qui se targue d’avoir « vécu dans sept pays d’Afrique en dix ans ». D’autres n’y feront qu’un passage éclair. Plus rares sont ceux, en revanche, qui décident de s’y installer de façon définitive.

Le temps de la Chine en Afrique est venu, ouvrant des perspectives ambiguës. L’activité chinoise présente des avantages évidents pour ses partenaires africains : des possibilités de financement accrues, une diversification des débouchés pour les pays producteurs et un apport important en infrastructures de base, qui font tant défaut. A contrario, elle génère une hausse des prix des matières premières. La vente de biens manufacturés bon marché offre des opportunités aux consommateurs, mais au prix de la destruction de certains tissus industriels locaux. Hubert Dibgolongo, directeur général de Burkina Moto, à Bobo-Dioulasso, se désole ainsi que le commerce de cyclomoteurs importés de Chine, bien souvent au mépris des normes douanières, engendre peu à peu l’effondrement des filières locales de montage. En outre, les retombées en termes d’emploi et de transfert de technologie restent insuffisantes pour que la présence chinoise ait un impact notable sur le développement.

Il serait cependant réducteur de croire que les pays africains jouent aveuglément le jeu de Pékin, suivant ses directives tels des élèves trop dociles. Les ressources naturelles colossales de l’Afrique, dont la Chine a plus que jamais besoin pour maintenir son essor, constituent une véritable arme de négociation. C’est aux dirigeants africains, à qui Pékin déroulait le tapis rouge lors du sommet de juillet, qu’il incombe aujourd’hui d’envisager une meilleure affectation des moyens exceptionnels apportés par les investissements chinois.

Source: JA

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