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Cidinha da Silva, écrivaine afro-brésilienne : « L’Afrique est tout pour moi, c’est de là que je viens. Je suis née au Brésil par hasard…»

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Tierno Monénembo : Vous êtes écrivaine brésilienne née à Belo Horizonte dans le Minas Gerais. Votre ville natale est-elle le personnage principal de vos livres comme Salvador de Bahia l’est pour ceux de Jorge Amado ? 

Cidinha da Silva : Non. J’écris des chroniques et des nouvelles (fictions courtes), de la littérature pour enfants et adolescents et des essais. L’espace géo-politico-affectif de ma création est assez diffus et spiralé.

T.M. : L’Etat du Minas Gerais a des liens historiques très forts, je veux dire très douloureux avec l’Afrique (je pense à Xica da Silva à Diamantina et à Chico-Rey à Ouro-Preto). Qu’est-ce que le mot Afrique veut dire pour une écrivaine belo-horizontaise d’aujourd’hui ?

C. da S. : L’Afrique c’est tout pour moi, c’est de là que je viens. Je suis née au Brésil par hasard, j’aurais pu naître n’importe où ailleurs dans la diaspora africaine. Je suis plutôt une Africaine de la diaspora. Les Africains amenés de force au Brésil ont inventé ce pays, défini ce que nous sommes, tout cela évidemment sous la violence du racisme qui a toujours cherché à nous inférioriser, à faire de nous des êtres subalternes, racisme contre lequel nous luttons et existons dans une résistance permanente.

T.M.: Vos livres sont-ils traduits en français ou en anglais ?

C. da S.: Jusqu’à présent, je n’ai pas fait traduire et publier mes romans en dehors du Brésil. En revanche, j’ai des chroniques, des nouvelles et des essais traduits dans les langues mentionnées et publiés dans certains pays. Il s’agit de diverses chroniques et nouvelles, principalement des textes issus des livres suivants : “#Parem de nos matar!” (Arrêtez de nous touer), “Sobre-viventes” (Sur-vivants)et “Um Exu em Nova York” (Un Exu à New York). Dans ces textes, les thèmes prédominants sont : le fonctionnement du racisme et de la discrimination raciale dans la vie quotidienne brésilienne. La grande question de l’ascendance africaine , la grande question des traditions traditions (africaine, afro-brésilienne, afro-indigène et afro- panaméricaine) en tension et en dialogue avec la contemporanéité !

T.M.: Vous intéressez-vous à la littérature africaine ? Si oui , quels sont vos auteurs préférés ?

C. da S. : Oui, je m’intéresse à la littérature africaine, je la lis beaucoup. J’aime particulièrement Paulina Chiziane et Lilia Momplé (Mozambique),aScholastique Mukasonga (Rwanda), des autrices de référence pour moi. Mon autrice préférée actuellement est Léonora Miano (Cameroun). J’aime le jeune écrivain Ishmahel Beah (Sierra Leone), Amélia Dalomba, Ana Paula Tavares, José Luandino Vieira et Pepetela (Angola), Uwem Akpan, Wole Soyinka, Buchi Emecheta (Nigéria), Amadou Hampâté Bâ (Mali) , Djibril Tamsir Niane (Guinée), Tayeb Salih (Soudan), Sobonfu Somé (Burkina Faso) et Futhi Ntshingila (Afrique du Sud).

T.M. : Avez-vous déjà visité l’Afrique ?

 C. da S : Seulement l’Afrique du Sud (Durban) en 2001, pour participer à la IIIe Conférence mondiale contre le racisme (ONU). En mars 2023 je ferai une résidence littéraire d’une semaine à Luanda (Angola).

 T.M. : L’Afrique et le Brésil sont très proches aussi bien sur le plan géographique que sur le plan humain (la diaspora afro-brésilienne est la plus importante de toutes). Et pourtant, leurs échanges économiques et culturels sont faibles pour ne pas dire inexistants. Que faudrait-il faire pour relier ces deux mondes qui ont tant de choses à se dire et tant de choses à faire ensemble ?

 C. da S. : Nos connexions primordiales sont données par l’ascendance africaine qui nous soutient et par les références culturelles et technologiques (usage économique des technologies apportées par les Africains asservis du 17ème au 19ème siècles, celles de la métallurgie, du tissage et de la riziculture notamment ). Dans les échanges économiques (le Brésil a eu une position impérialiste par rapport aux pays africains à l’économie plus fragile), intellectuels et politiques, l’orientation brésilienne a toujours été marquée par une perspective raciste, avec quelques modifications durant les gouvernements de Lula et Dilma (2003-2016) . Pour que nous puissions dialoguer dans des conditions d’égalité et d’échange équitable, il est nécessaire de poursuivre la lutte contre le racisme qui structure le Brésil et ses perspectives par rapport au continent africain.

 T.M. : La belle notion de négritude a longtemps servi de point de ralliement pour les intellectuels noirs. Seulement beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis Chants d’Ombre de Senghor et Cahier d’un retour au pays natal de Césaire. Ce mot a-t-il encore un sens aujourd’hui ?

C. da S. : Oui, les termes peuvent changer, néanmoins, l’idée d’une centralité négro-africaine pour l’interprétation du monde et pour une position politique face au monde demeurent inchangées.

 T.M. : On dit que la relation est poétique entre l’Afrique et les Antilles, idéologique avec les Noirs-Américains et charnelle avec les Brésiliens. Qu’en pensez-vous ?

C. da S. : Je ne sais pas, je n’ai jamais entendu cela. Nous, Brésiliens noirs, sommes peu internationalisés, nous voyageons peu à travers la diaspora africaine et l’Afrique, nous ne nous connaissons pas, nous ne dialoguons pas, nous ne vivons pas ensemble. C’est dommage. Je ne me sens pas en mesure de me prononcer sur cette question qui semble être née de débats intellectuels que je ne connais pas. Désolée.

 T.M. : On vante beaucoup le brassage inter-racial du Brésil ; le fameux « misturo » et pourtant la marginalisation politique et économique du Noir y est manifeste. Comment vit-on sa triple condition de femme, de Noire rt d’écrivaine dans le Brésil d’aujourd’hui ?

C. da S. : Le métissage, s’il a apporté un quelconque bénéfice, c’était pour les Blancs, pas pour nous, les Noirs.

La condition professionnelle des femmes brésiliennes noires est déterminée par le racisme, nous sommes la base de la pyramide socio-économique : nous gagnons les pires salaires, même lorsque nous sommes très éduquées et encore plus éduquées que nos concurrents, les blancs et les hommes noirs. Tout est très similaire à ce qui se passe dans la diaspora et en Afrique, c’est-à-dire, les discriminations de genre agissent pour nous subordonner économiquement et politiquement.

Dans le domaine de la littérature, en particulier, nous vivons un moment où quelques écrivaines noires ont acquis une certaine notoriété et cela est lié, principalement, aux politiques de diversité que les grands conglomérats éditoriaux ont été contraints d’adopter. D’autre part, il y a la contribution des petits et moyens éditeurs qui publient des auteurs noirs dans le but de promouvoir la biblio-diversité. Les mouvements de représentation politique ont également ouvert un espace aux récits d’auteures noires.

Le plus grand défi du moment c’est que les écrivaines noires parviennent à être lues dans leur singularité et non comme un bloc monolithique « écrivaine noire ». Nous sommes multiples, polyphoniques, et cela est une condition évidente de la production littéraire.

Source : Le Point

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