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Constitution, supra-constitutionnalité et intangibilité

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[dropcap]D[/dropcap]ans un système politique pluraliste, comme c’est le cas actuellement en Guinée, le débat contradictoire est le principe, surtout lorsqu’il s’agit de l’établissement, de l’interprétation ou de la révision de la Constitution, véritable contrat de soumission ou Pacte politique.

En effet, un conflit d’interprétation fragilise le système et empêche son institutionnalisation. Le droit, à lui seul, ne peut trancher cette question sans une dose de philosophie. Génie du peuple, devenue texte dogmatique au fil des ans, la Constitution est un esprit, des institutions et une pratique (G. De Gaulle, Discours, 1964).

Primo, la Constitution écrite est le génie ou l’esprit du peuple, parce qu’elle est non seulement conçue et rédigée par les doctes et sages de la Cité, mais aussi, elle n’est adoptée librement  par le peuple que lorsqu’elle correspond à sa vision en tant que pouvoir souverain primaire. Expression ultime de cette volonté populaire, elle fait du peuple un corps socio-politique et un gouvernement suprême.

Secundo, la Constitution est un ensemble d’institutions, parce que la souveraineté peut être exercée par la représentation : pouvoir souverain secondaire. Le pouvoir, la légitimité et la confiance du pouvoir souverain secondaire viennent, en principe, du pouvoir souverain primaire qui est son supérieur hiérarchique. Celui-ci est protégé par la Constitution contre ceux-là. Et quand les composantes du pouvoir souverain secondaire sont opposées sur un projet d’ordre sociétal ou institutionnel, ledit projet devrait être soumis au titulaire primaire de la souveraineté, à condition que la volonté du peuple ne soit pas instrumentalisée ou détournée par un mandataire corrompu. Détourner la volonté du peuple serait un crime de lèse-majesté, une véritable atteinte à la souveraineté du peuple.

Tertio, en tant qu’instrument dynamique, la Constitution est une pratique adaptable aux besoins de la société ; besoins qui peuvent être ressentis et exprimés soit par le peuple lui-même ou par ses mandataires. Il en est ainsi des projets ou propositions de révision constitutionnelle voire même de l’adoption d’une nouvelle constitution, qui demeurent possible tant qu’on a le peuple avec soi. Selon N. Machiavel, le Prince peut mécontenter les grands, mais il doit gouverner avec son peuple. Il doit avoir l’aide de son peuple qui est son meilleur rempart. Le bien commun reste cependant la condition sine qua non de l’intérêt du Prince, qui ne sait mieux faire ses affaires qu’en faisant celles de la communauté qu’il dirige. Il a intérêt à ne pas être un tyran, il a même intérêt à pratiquer réellement la sagesse (N. Machiavel, Le Prince, p. 13 et s.).

A contrario, si, avec l’approbation du peuple, il est possible de réviser une constitution ou d’en établir une autre, ne serait-il pas loisible de prévoir des clauses de stabilité et de sécurité juridico-politique? Le cas échéant, ces normes supra-constitutionnelles sont-elles intangibles ?

I. Des limites matérielles de la révision constitutionnelle : la supra-constitutionnalité

La Constitution sociale est, pratiquement, l’acte fondateur du corps social, alors que la Constitution politique est une convention entre gouvernant(s) et gouvernés en rapport avec l’exercice du pouvoir et la gestion de la res publica (chose publique). Dans l’un et l’autre cas, il s’agit de normes anthropiques se distinguant des Saintes-Écritures insusceptibles de révision. Une norme anthropique ou lex humana est faite par les humains.

Or, les humains, contrairement à Dieu ou à la nature, ne produisent rien d’éternelle ou d’intangible, tout peut changer d’un instant à l’autre. Un décret peut abroger un autre, une loi peut abroger une autre, une constitution peut abroger une autre : c’est ce qu’on appelle, en droit, le parallélisme des formes. Les institutions naissent, vivent et meurent juridiquement ; elles naissent par les opérations de fondation qui leur fournissent leur fondement juridique ; elles vivent d’une vie à la fois subjective et objective, grâce à des opérations juridiques de gouvernance et d’administrations répétées, et d’ailleurs liées par des procédures ; elles meurent par des opérations juridiques d’abrogation et de dissolution (Maurice Hauriou, cité par D. Dulong, 2012, p. 12).

Réviser une constitution consiste à supprimer ou à ajouter quelques choses (mots, phrases, dispositions) dans la Constitution déjà en vigueur. La Constitution coutumière est révisée par des pratiques coutumières nouvelles, alors que la Constitution écrite est, en principe, révisée selon la procédure qu’elle-même a prévue à cet effet. Elle peut exceptionnellement être modifiée de facto par la pratique des acteurs politiques (convention de la Constitution) ou par des coutumes constitutionnelles, c’est-à-dire par une suite de précédents concordants admis par les pouvoirs constitutionnels et qui pallie au silence des textes (Coutume praeter legem) (H. Portelli, Droit constitutionnel, 2015, 27).

La doctrine française qualifie les organes habilités à réviser la Constitution de pouvoir constituant dérivé. Celui-ci est institué par le pouvoir constituant originaire, auteur initial de la Constitution. La Constitution française de 1958, par exemple, a été révisée plus de vingt fois, celle des États-Unis a été l’objet d’une trentaine d’amendements. En Guinée, selon l’article 152 de la Constitution de 2010, « l’’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République et aux Députés ». Adoptés par l’Assemblée Nationale à la majorité simple, le projet ou la proposition de révision ne deviennent définitifs qu’après avoir été approuvés par référendum. Refuser ce droit à un président élu et avant la fin de son mandat, c’est violer soi-même les dispositions constitutionnelles qui lui reconnaissent ce droit. Cependant, toutes les dispositions constitutionnelles sont-elles révisables?

En effet, la Constitution peut prévoir que certaines dispositions ne peuvent faire l’objet de révision : ainsi en Allemagne, la Loi fondamentale de 1949 interdit la remise en cause de la forme fédérale de l’État tout comme la Constitution des États-Unis interdit de porter atteinte à l’égale représentation des États membres de l’Union au Sénat. En France, depuis 1884, et en Italie, la forme républicaine de l’État ne peut faire l’objet d’une révision. Depuis 2010, la Constitution guinéenne prévoit, dans la même lancée, que « [l]a forme républicaine de l’Etat, le principe de la laïcité, le principe de l’unicité de l’Etat, le principe de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs, le pluralisme politique et syndical, le nombre et la durée des mandats du Président de la République ne peuvent faire l’objet d’une révision » (Art. 154 de la Constitution guinéenne du 7 mai 2010).

L’effet juridico-politique lié à ce genre de dispositions constitutionnelles résiderait dans le fait qu’elles sont insusceptibles de révision, et donc, opposables au pouvoir constituant dérivé, et ce, pendant toute la durée de vie de la Constitution qui les incorpore. Des États ayant connu  trop de péripéties constitutionnelles pourraient prévoir des garanties de ce type ; car, selon Napoléon Bonaparte, « on ne gouverne pas avec la métaphysique, mais avec le résultat de l’expérience des siècles ». Dans ce cas, ces garanties de sécurité et de stabilité juridico-politique deviennent des normes supra-constitutionnelles. Celles-ci sont des acquis. Pour R. Badinter, « la supra-constitutionnalité réside dans la proclamation par le constituant ou  le juge constitutionnel, qu’il existe dans la hiérarchie des normes, des valeurs supérieures à l’ordre constitutionnel existant ».

Selon Serge Arné, la supra-constitutionnalité est définie comme « la supériorité de certaines règles ou principes qualifiés de normes sur le contenu de la Constitution. Cette supériorité peut être expresse ou implicite ». Il existe deux catégories de normes supra-constitutionnelles : interne et externe. La supra-constitutionnalité interne signifie qu’il existe un corps de normes juridiques de droit interne supérieures à la Constitution (G. Vedel, 1993, p. 79). Quant à la supra-constitutionnalité externe, elle concerne la primauté du droit international sur le droit interne, y compris la Constitution elle-même. Pour Michel Virally, la supériorité du droit international est inhérente à la définition même de ce droit, car le droit international est inconcevable autrement que supérieur aux États, ses sujets.

Beaucoup de juristes et politologues confondent « supra-constitutionnalité », « clauses de stabilité et de sécurité juridico-politique » et « intangibilités » constitutionnelles. Cette équivoque mérite d’être levée. La supra-constitutionnalité, selon le doyen Vedel, est dangereuse pour l’ordre juridique démocratique. Selon lui, il n’existe pas, dans l’ordre juridique, des normes supérieures à la Constitution.

II. Des « clauses de stabilité et de sécurité juridico-politique » et normes intangibles

Les clauses de stabilité et de sécurité juridico-politique sont des normes supérieures aux autres normes de l’ordre juridique. Elles stabilisent l’ordre politique, sécurisent l’ordre juridique et favorisent l’institutionnalisation de tout le système. De ce fait, elles relèvent de la supra-constitutionnalité. Les normes intangibles quant à elles, sont des normes immuables et intemporelles qui transcendent toutes les frontières et surplombent toutes les sociétés. Elles appartiennent au champ normatif du jus cosmopliticum qui existe indépendamment de sa reconnaissance par le droit positif interne ou international.

La première différence entre supra-constitutionnalité et intangibilité est que toute intangibilité est supra-constitutionnelle, alors que toute supra-constitutionnalité n’est pas intangible. La forme républicaine du gouvernement, la durée et le nombre du mandat présidentiel ne sont pas du tout de normes intangibles. D’abord, la forme du gouvernement varie d’un État à l’autre : république, monarchie, communisme, etc. La durée du mandat des tenants de l’exécutif varie d’un État à l’autre : 4 ans aux USA ; 7, puis 5 ans en France ; 6 ans en Russie ; etc. D’ailleurs, le nombre de mandat ne se pose pas dans les monarchies. La Reine de l’Angleterre, le Roi du Maroc, le Roi de l’Arabie Saoudite, par exemple, règnent à vie. Mais, pour George Vedel, il n’y a pas d’inconvénient à nommer supra-constitutionnelle des normes à caractère éthique ou des principes faisant partie d’un credo politique. Par conséquent, le fait que le Constituant utilise le mot « intangible » pour qualifier l’importance ou l’interdiction de réviser certaines dispositions ne fait d’elles de normes intangibles, parce qu’elles varient d’une république à l’autre, d’un État à l’autre. La deuxième distinction entre ces deux catégories de normes s’explique par le fait que la longévité des normes supra-constitutionnelles dépend de celle de la Constitution qui les incorpore. Or, si le souverain a la compétence de sa compétence, on ne peut le lier sans sa volonté. En vertu de sa souveraineté, il peut changer à tout moment la norme qui interdit de changer. Donc, le peuple souverain a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Car, une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures (sans leur consentement). Ainsi, la thèse selon laquelle le pouvoir constituant ne saurait abroger ni réviser une norme supra-constitutionnelle est erronée quand il s’agit de la lex humana (loi humaine).

La troisième distinction réside dans le fait que les clauses de stabilité et de sécurité juridique sont dues à l’histoire constitutionnelle propre à chaque État, alors que les intangibilités sont en rapport avec l’humanité elle-même dont chaque société humaine en est une partie. De lege ferenda, les intangibilités résistent et survivent aux temps. En ce sens, elles pourraient être synonymes des clauses d’éternité, qui relèvent soit de la lex aeterna (droit divin) soit du jusnaturalisme (loi de la nature). C’est dans cette optique que Stéphane Rials affirmait que « les droit fondamentaux sont supérieurs à la volonté du constituant » parce qu’ils sont supérieurs et antérieurs aux États.

Les jusnaturalistes soutiennent que certaines normes fondamentales et intangibles s’imposent à toutes les autres règles grâce à leur supériorité. Cependant, cette théorie ne convient pas aux positivistes qui fondent le droit interne sur le principe de la supériorité de la Constitution. Les intangibilités devraient être fondées au tour d’un nombre restreint de règles juridiques relatives au noyau dur des libertés fondamentales et aux indérogeables droits humains et au droit humanitaire. Une conception élastique des intangibilités risquerait de les anéantir avec les règles juridiques qualifiées comme telles alors qu’elles ne le sont pas.

L’introduction de la protection des droits de l’homme dans l’ordre juridique international se présente désormais comme le droit de la société humaine (globale), comprenant deux parties essentielles : d’une part, le statut fondamental de l’homme à l’intérieur des différentes unités politiques qu’il a constitué historiquement et qui se gouvernent de façon indépendante et, d’autre part, le droit des relations entre ces différentes unités politiques. Le principe de l’intangibilité est la caractéristique essentielle des droits de l’homme (O. De Frouville, 2001).  Or, « [t]oute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution » (art. 16 DDHC, 1789). Donc, les droits naturels de l’homme constituent, restrictivement, de normes intangibles dans tout ordre constitutionnel. Ils y occupent une position particulière: ni le constituant a fortiori le législateur ne peuvent y porter atteinte car ils sont intangibles. Les assimiler à d’autres normes de nature et de finalité différentes est un abusus  linguae (abus de langage).

Abdoulaye SYLLA
Doctorant en droit public
Attaché temporaire d’enseignement et de recherche à l’Université Paris Nanterre (ATER)
E-mail : syllajuriste@gmail.com

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