Directeur de la compagnie Laborato’Arts, le metteur guinéen Souleymane Bah, alias Soulay Thiâ’nguel, a la réputation d’un metteur en scène exigeant, qui crée dans la douleur.
Accoudé à l’estrade de circonstance érigée dans la concession des Nombré et Zaré, Souleymane Bah suit avec une attention faussement distraite la première de sa pièce, Sur la pelouse, qui évoque avec dérision les événements tragiques survenus le 28 septembre 2009 au stade de Conakry, lors de laquelle des manifestants avaient trouvé la mort et des femmes avaient été violées par les forces de l’ordre. Coiffé d’un chapeau, le metteur en scène enchaîne fébrilement les aller-retours entre la cour et l’arrière-cour de la concession. « On a travaillé dur sur cette pièce et c’est notre première représentation. J’observe le jeu d’acteur et la réaction du public. J’attends le meilleur de mes comédiens. »
Le « meilleur ». C’est sans doute le mot de prédilection de Soulay Thiâ’nguel, adepte de l’excellence. Lui-même assume son approche sans le moindre complexe, se revendiquant ouvertement de cette famille de metteurs en scène qui « bousculent » les comédiens lors de création d’un spectacle. « Il m’arrive de me mettre en colère et je ne le cache pas à mes comédiens. Je le fais pour la réussite du projet théâtral. » Une méthode qui lui a plutôt réussi jusque-là, si l’on en juge par le succès rencontré par ses créations. En avril 2012, sa pièce Les Châteaux de la ruelle a recueilli des critiques positives lors du Festival International de Théâtre du Bénin (FITEB). Les réactions positives des professionnels du théâtre après la représentation de Sur la pelouse, lors des 7e Récréâtrales, à Ouagadougou, le confirment également. Pour Israël Tshipamba, directeur du Tarmac des auteurs, « c’est un travail remarquable de mettre en scène un événement aussi douloureux sans choquer ni attrister le spectateur. »
« On n’a d’autres limites que celles qu’on s’impose »
Rigoureux et méthodique : tous les comédiens qui jouent dans la pièce Sur la pelouse s’accordent à attribuer ces qualificatifs à Soulay Thiâ’nguel. « Nous l’avons surnommé ‘le tortionnaire’, précise en souriant Hadja Djariou Bah, qui tient le rôle de la brigadière. Ce n’est pas méchant, c’est juste qu’on a parfois l’impression qu’il nous en demande trop. Vous savez, nous, les comédiens, on n’aime pas forcément être bousculés. » Fatoumata Kouyaté, musicienne dans le spectacle, s’en accommode : « Ce n’est pas une méthode qui nous déplaît, car le résultat est là. »
Israël Tshipamba considère lui aussi que la rigueur est nécessaire pour la réussite d’une mise en scène : « Il arrive souvent que l’on se trouve face à des comédiens qui ont besoin de savoir que le metteur en scène sait clairement où il va. Et quand on sait où l’on va, il n’y a pas de place pour la légèreté. » C’est ce que confirme Souleymane Bah, qui explique que seule la rigueur lui permet de réussir dans ses différentes activités, qu’il s’agisse de son travail de metteur en scène ou de sa carrière parallèle en tant que journaliste et consultant en communication, notamment pour les agences de l’ONU en Guinée. « C’est cette rigueur que j’essaie de transmettre à mes comédiens pendant la création d’un spectacle. En définitive, on n’a d’autres limites que celles qu’on s’impose », reconnaît-il.
« Soulay Thiâ’nguel est l’un des meilleurs metteurs en scène en Guinée, conclut Hadja Djariou Bah. La plupart des étudiants en art dramatique rêvent que de travailler avec lui, justement en raison de sa méthode et de cette exigence. Personnellement, je viens de réaliser mon rêve. »