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De Condé à Doumbouya : la Guinée et le culte du sauveur

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En 2020, on nous répétait incessamment qu’il n’existait aucune alternative crédible à Alpha Condé. Il fallait donc, nous disait-on, sacrifier l’alternance et mettre la démocratie entre parenthèses jusqu’à ce que nous ayons une alternative crédible. Et puis en 2021, Dieu nous a montré que l’alternative pouvait surgir de n’importe où, car sans que nous ne l’attendions, Mamadi Doumbouya est sorti presque de nulle part pour mettre fin au régime d’Alpha Condé.

Mais à bien y réfléchir, qu’est-ce qui, honnêtement, avait préparé Mamadi Doumbouya à la magistrature suprême ? Il en rêvait sans doute, mais au-delà de ce rêve, avait-il vraiment les prédispositions politiques, intellectuelles ou morales pour assumer une telle fonction ? C’est sûr que beaucoup s’en doutaient, mais avaient accepté de faire avec dans l’espoir que ce serait pour un redressement rapide comme il l’avait promis. Ce coup d’État qui a mis fin au rêve d’un pouvoir à vie d’Alpha Condé aurait donc dû renforcer la conviction que “nul n’est vraiment indispensable”.

Malheureusement aujourd’hui encore, au lieu de s’en rappeler, le même refrain que celui de 2020 est en train d’être servi à nouveau. On tente de nous faire croire qu’il n’y aurait personne d’autre que Doumbouya. Il faudrait donc le laisser continuer, comme si la Guinée ne regorgeait pas d’hommes et de femmes compétents, prêts à relever le défi et à remettre le pays sur les rails.

Aujourd’hui, pour se justifier, certains pensent, et à juste titre que des pays comme le nôtre ont besoin de régimes forts avec à son sommet un homme fort. Cependant, il faut savoir que ce qui fait la force d’un État, ce ne sont pas les armes et les muscles. C’est plutôt une justice forte, redoutée et totalement indépendante, que même les plus puissants craignent et ne peuvent manipuler. Ce qui rend un État fort, ce sont aussi des institutions solides, des médias libres, et une gestion publique transparente.

Par contre, lorsque dans un pays la justice est caporalisée, les institutions piétinées, les journalistes bâillonnés et les marchés publics attribués par copinage, ce n’est pas la force qu’on cultive, mais la faiblesse et la déchéance. Rien n’affaiblit un État autant que la corruption et l’injustice.

Ce n’est donc pas d’un homme armé à la tête de l’État dont nous avons besoin, ni de cortèges militaires pour asseoir l’autorité et prouver que l’État est fort. Ce qu’il faut, c’est une justice affranchie, des institutions fortes, et un espace politique ouvert à ceux qui portent une vision pour le pays.

Malheureusement, le vrai drame, c’est que tout semble conçu ici pour éloigner les personnes compétentes et intègres de la gestion du pays. Le système est devenu si nauséabond que beaucoup préfèrent s’en tenir à l’écart plutôt que de s’y salir. Par conséquent, le sommet se retrouve souvent entouré d’hommes au caractère douteux qui ternissent l’image du pouvoir et sapent ce qu’il reste de confiance en la politique.

Mamadi Doumbouya devrait donc se méfier de cette foule qui danse autour de lui, chantant jour et nuit ses louanges tout en lui murmurant qu’il est indispensable et qu’il est l’homme providentiel. Ceux qui le font ne poursuivent qu’un seul objectif : leurs propres intérêts. Et lui-même devrait le savoir.

C’est d’ailleurs sans doute pour cela qu’il distribue à tour de bras, véhicules, argent et maisons, pour entretenir leur loyauté de circonstance vu que ces gens ne sont que des opportunistes, des ventres affamés, des clients d’un système dont ils ne sont fidèles que tant que le robinet coule. Le jour où la source se tarira, ils iront brouter ailleurs, là où l’herbe sera plus verte.

Mamadi Doumbouya qui, le 5 septembre 2021, dénonçait la personnalisation du pouvoir, l’instrumentalisation de la justice et la politisation de l’administration, a aujourd’hui ses portraits accrochés partout. L’administration est devenue la courroie de transmission d’un parti unique qui ne dit pas son nom, et la justice, déjà fragile, a sombré encore plus bas.

Heureusement qu’il n’est toujours pas tard pour lui de revenir à la raison et à ses engagements. Il n’a jamais été question d’exclure Doumbouya et ses compagnons de la vie nationale. Mais l’armée n’a pas vocation à gouverner. Son rôle n’est pas de s’accaparer du pouvoir, mais de garantir que le processus de retour à l’ordre constitutionnel se fasse dans les normes. L’armée peut aussi assurer la veille afin que le pouvoir civil respecte la Loi.

Cette transition a déjà trop duré et comme l’avait si bien dit Bah Oury, l’actuel Premier ministre : « Une transition qui dure devient un danger pour elle-même. » Et j’ajouterais : un danger pour la nation tout entière.

Abdoulaye Barry
ajbarry@live.com
Conakry, Guinée

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