[dropcap]L[/dropcap]a constitution de 2010 fait l’objet des débats politico-juridiques sur les médias nationaux et internationaux, mais aussi à travers des manifestations très récurrentes ces derniers temps sur une grande partie du territoire national, organisées par le Front National pour la défense de la constitution dénommé FNDC.
Cette situation conduit à se poser des questions sur l’essence même des tels débats et contestations par des manifestations, dès lors qu’il est permis de penser que cela n’aurait de sens que si le contenu du projet de la nouvelle constitution était connu du grand public.
D’où la nécessité d’évoquer la légitimité de la démarche du FNDC(A), alors que le président de la République tente de convaincre du bien-fondé de doter la Guinée d’une nouvelle constitution (B), quand bien même que l’article 51 de la constitution sur lequel se focalise une grande partie du débat manque de clarté(C).
A. De la légitimité de la démarche du FNDC pour la défense de la constitution de mai 2010
Le FNDC est une association de circonstance qui a été crée dans le but de défendre l’actuelle constitution et s’opposer à son abrogation totale et son remplacement par une nouvelle constitution souhaitée par le régime en place. Il réunit en son sein des acteurs politiques et des membres de la société civile et appelle à des manifestations pacifiques pour faire fléchir le régime actuel sur son projet de nouvelle constitution.
Fondamentalement, la question de la légitimité de la constitution actuelle n’est pas à priori contestable, dès lors qu’elle a été élaborée par une assemblée constituante représentative de la société civile d’alors dans toutes ses composantes (plus de précision in visionguinee.info du 9 juin 2019). A supposer même que cette légitimité ne soit pas suffisamment fondée, il n’y aurait-il pas d’autres mécanismes permettant de la légitimer à posteriori ?
Pour la résolution de cette question, il sera tout simplement loisible de proposer un projet de loi pour soumettre l’actuelle constitution à un referendum afin de lui doter de sa légitimité, en adéquation avec les dispositions de la constitution. La responsabilité de l’Etat voudrait évidemment que lorsqu’une telle question se pose, que sa résolution ne puisse pas remettre en cause la stabilité des acquis démocratiques chèrement obtenus par les guinéens.
Par ailleurs et à titre de rappel, la constitution de 1990 n’avait-elle pas été soumise à référendum, élaborée à l’époque par un conseil transitoire national non élu et promulgué par un président de la République qui était arrivé par un coup d’Etat militaire en 1984, et qui n’avait aucune légitimité. Devrions-nous systématiquement remettre en cause les lois fondamentales de la République à chaque fois qu’elles ne nous soient pas favorables ? Il est donc permis de dire que la démarche du FNDC pour consolider les acquis démocratiques est légitime, dans la mesure où elle s’inscrit à l’aspiration d’une république responsable.
B. De la position du président de doter la Guinée d’une nouvelle constitution
Pour le locataire de Sekoutouréya, la constitution actuelle n’est pas conforme aux attentes du peuple et n’est pas adaptée aux situations actuelles. Au surplus, elle n’a aucune légitimité dès lors qu’elle n’a été soumise à référendum et qu’elle a été promulguée par un président qui n’avait aucune légitimité. Pour lui, une nouvelle constitution permettrait à la Guinée de relever les défis actuels tels que la protection des femmes et l’accompagnement des jeunes.
Abstraction faite de tout commentaire sur sa position, il me semble à cet égard que l’adaptation des lois de la République aux nouveaux défis ne relèvent pas forcement de l’adoption d’une nouvelle constitution par voie référendaire, certes, s’il est vrai que la constitution de 2010 comporte des insuffisances, toujours est-il que ces insuffisances peuvent être corrigées par une procédure de révision de la constitution et apporter les amendements nécessaires en cohérence avec les défis actuels. Cette procédure étant prévue par l’article 51, elle pourra ainsi avoir toute sa légitimité.
Au surplus, la Guinée a souscrit à des engagements internationaux qui résolvent la question de l’amélioration des conditions des femmes et des jeunes, il sera tout simplement loisible pour le pouvoir exécutif de mettre en application ses engagements pour répondre à ses attentes. D’ailleurs la Constitution de 2010 apporte une innovation en n’intégrant à son préambule l’adhésion de la Guinée à la charte africaine des droits et de l’homme et des peuples avec son protocole additionnel sur les droits de la femme. De même, l’article 19 de la constitution parle du rôle de l’Etat pour la protection de la jeunesse. Compte tenu de ce qui précède il n’y a pas lieu d’exiger une nouvelle constitution dès lors qu’il ya une possibilité d’adapter la constitution actuelle aux nouveaux défis par une révision de la constitution actuelle.
C. De la clarté de l’article 51 sur la révision de la constitution par voie référendaire
La formulation de l’article 51 de la constitution du 7 mai 2010 encadre la limitation de la révision de la constitution par voie référendaire. Cette faculté donnée au président de la République montre le souci du constituant de limiter le pouvoir de révision de la constitution pour éviter éventuellement son abrogation totale par celui-ci. Le rôle de la Cour constitutionnelle qui est compétente pour opérer un contrôle de constitutionnalité sur le projet de loi avant sa soumission à référendum montre le rôle protecteur que doit jouer cette dernière, sans oublier le rôle déterminant de l’assemblée nationale, conformément aux dispositions combinées des articles 51 et 152 de la constitution.
Même si l’article 51 manque de clarté dans sa rédaction issue de la constitution de 2010, les travaux préparatoires et les débats des constituants peuvent fournir des indications de nature à éclairer le sens de la rédaction de l’article en cause. D’où la nécessité pour la Cour constitutionnelle de jouer son rôle régalien de gardienne de la constitution lorsqu’elle aura été saisie, en décidant par une interprétation téléologique le véritable sens de l’application de l’article 51, pour autant qu’elle soit impartiale dans ses avis ou décisions, dès lors que sa légitimité est contestée par une partie de l’opinion publique.
In fine, une nouvelle constitution sur fond de crise n’est pas de nature à maintenir une cohésion sociale apaisée, ni celle de nature à consolider les institutions démocratiques. Il est souhaitable en pareille circonstance de surseoir à ce projet d’adoption d’une nouvelle constitution par voie référendaire.
Mamadou Dian Diallo
Juriste-fiscaliste
Doctorant en droit fiscal international
Paris,France