[dropcap]L[/dropcap]e 21 décembre 2010, le Professeur Alpha Condé prêtait serment comme Président de la République de Guinée. Considérée unanimement comme le premier processus électoral ouvert et compétitif depuis l’indépendance du pays (en 1958), son élection a été, pourrait-on dire, un véritable accouchement pour la Guinée et les Guinéens. Par exemple, le 2eme tour de la présidentielle a été organisé pas moins de quatre mois après le 1er au lieu des 2 semaines prescrites par la loi.
Entre temps, il a fallu, entre autres, amender le cadre légal des élections, procéder à la nomination exceptionnelle d’un administrateur électoral malien comme Président de la Commission électorale, réviser le fichier électoral et vivre des scènes de violences désastreuses.
La proclamation des résultats définitifs des élections législatives par la Cour Suprême, le 15 novembre 2013, a été accueillie par les Guinéens et ceux qui se préoccupent de la situation en Guinée avec un certain soulagement. En effet, ici également, le processus électoral et politique qui venait ainsi d’aboutir a été si pénible qu’il a laissé des plaies que les Guinéens n’ont pas fini de panser. Après plusieurs reports, environ trois ans de tensions politiques et sociales, des dizaines de morts et des pertes probablement inestimables de biens publics et privés, les législatives censées se tenir durant le premier semestre de l’année 2011 ont finalement eu lieu le 28 septembre 2013. Une fois encore, on a dû restructurer la Commission électorale après avoir changé à nouveau son président, signer un Accord politique, réviser la liste électorale, amender la législation électorale etc.
Conformément à la Constitution, les Guinéens devront retourner aux urnes en octobre 2015, soit d’ici un an, pour une nouvelle élection présidentielle. Entre temps, les élections locales et communales devraient être organisées. Naturellement, tout le monde, à commencer par les Guinéens eux-mêmes, se demande s’il y aura deux sans trois, en d’autres termes, si cette fois-ci les élections seront transparentes, crédibles, pacifiques et organisées dans les délais légaux.
L’identification des défis auxquels la présidentielle de 2015 est confrontée et la formulation de recommandations judicieuses pour en atténuer les impacts contribueraient certainement à répondre à cette question, et par là-même calmer les appréhensions légitimes des uns et des autres.
C’est à cette tâche que s’attèle le présent papier. Il est réparti en 3 sections : le contexte spécifique des élections en Guinée (1), les obstacles majeurs à l’organisation de la présidentielle de 2015 (2) et des recommandations à l’endroit des différentes parties prenantes (3) pour une présidentielle crédible, pacifique et organisée dans les délais légaux.
Contexte électoral guinéen
Plusieurs facteurs caractérisent le contexte électoral guinéen et contribuent à en déterminer la dynamique. Ces facteurs, tantôt communs aux jeunes démocraties de la sous-région, tantôt spécifiques à la Guinée forment le décor de l’environnement électoral du pays. Seuls quelques-uns, en raison de leur importance et de leur pertinence pour le sujet abordé, seront évoqués ici.
Premier facteur caractéristique, la Guinée, à l’instar des autres pays en transition démocratique de l’Afrique de l’Ouest, s’est vite rendue compte qu’organiser des élections ouvertes et compétitives dans un environnement aussi imparfait et complexe que celui des pays de la sous-région n’est pas chose aisée. L’état-civil (identification administrative de ceux qui peuvent jouir des droits politiques) est peu développé et les ressources nationales sont, en général, loin de couvrir les dépenses liées à l’organisation des élections. Les acteurs politiques, quasi obsédés par la victoire à tout prix, ont souvent recours à la mauvaise foi et aux tentatives d’instrumentalisation des institutions impliquées dans la gestion des élections.
L’opérationnalisation des Organes en charge de la gestion des élections ainsi que la gestion du contentieux électoral se révèlent extrêmement difficiles. Pour ne citer que ces quelques exemples.
En conséquence, à l’image de la plupart des pays engagés dans la transition vers la démocratie de la région, les premières élections démocratiques de la Guinée ont été très difficiles. La constitution du fichier électoral a été et demeure l’objet de désaccords entre les différents groupes politiques. Le recours nécessaire aux partenaires techniques et financiers (PTF), qui parfois ne s’accordent pas entre eux sur la conduite à tenir face aux difficultés du processus, peut rendre le financement des élections problématique. Les comportements ‘’stratégiques’’/partisans des membres de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) et la tendance des acteurs politiques à tout instrumentaliser – y compris les moindres faiblesses dans la gestion du processus électoral – ont fini par créer un climat de méfiance de tous vis-à-vis de tous.
Deuxième facteur, la Guinée, contrairement aux pays d’Afrique de l’Ouest qui ont commencé l’expérience de démocratisation depuis la fin des années 1980, s’est retrouvée en 2010 sans aucune expérience antérieure en matière d’organisation d’élections ouvertes et compétitives. En effet, de son indépendance en octobre 1958 à avril 1984, ce pays a connu un régime autoritaire à parti unique avec des modalités non compétitives de sélection des gouvernants. Après une parenthèse militaire entre avril 1984 et décembre 1990, la Guinée a renoué avec un régime relativement ouvert mais sans volonté réelle des gouvernants de créer les conditions requises pour l’organisation d’élections véritablement compétitives et transparentes, telles que la mise en place d’institutions indépendantes. La présidentielle de 2010 est, en fait, la toute première élection compétitive depuis l’indépendance de la Guinée.
Le troisième facteur essentiel qui détermine l’environnement électoral guinéen est lié à l’hyper présence, voire la prépondérance quasi systématique de l’ethnie dans tout (l’ethnicisation à outrance, y compris des élections). Même si la plupart des pays en transition de la sous-région vivent, à des degrés divers, l’instrumentalisation par les politiciens des clivages de la société, la situation est particulièrement exacerbée en Guinée. Tous les régimes qui se sont succédés, notamment de 1958 jusqu’à la mort du Président Conté, ont contribué à renforcer la prééminence de l’ethnie chez les Guinéens. En conséquence, tout est perçu et analysé à travers le prisme de l’ethnicité et du communautarisme: relations entre les communautés, fonctionnement de l’Etat, affiliation politique, engagement social etc.
Les conséquences de cette situation sur le processus de démocratisation en Guinée sont faciles à imaginer. Les réformes structurelles dans la Fonction publique, l’Armée, le secteur économique… sont perçues comme des sanctions contre les membres d’une communauté. Les activités des partis politiques et celles des acteurs de la société civile sont lues à travers le prisme de l’ethnicité. Ceci rend difficile et décrédibilise les contributions de ces acteurs à la recherche de solutions aux problèmes du pays, surtout sur des questions sensibles comme l’élection.
Une fois ce décor planté, il est important d’identifier les obstacles majeurs auxquels sera confrontée la présidentielle de 2015. Obstacles majeurs à la présidentielle de 2015
Après environ trois ans de péripéties sur fond de tensions politiques et sociales, de pertes en vies humaines et de saccages de biens publics et privés, la Guinée a connu une période d’accalmie relative depuis la proclamation en novembre 2013 des résultats définitifs des élections législatives de 2013. Malheureusement, les Guinéens et leurs partenaires ne peuvent pas se permettre de dormir sur leurs lauriers s’ils souhaitent que, contrairement aux élections de 2010 et de 2013, la présidentielle de 2015 soit crédible et surtout pacifique et organisée dans les délais constitutionnels. Et qu’ainsi soit démenti l’adage selon lequel il n’y a jamais deux sans trois.
Pour être à même de relever ce défi, il s’avère indispensable et impératif de s’attaquer à un certain nombre d’obstacles, sans délai. La plupart desdits obstacles, dont certains sont évoqués ici, datent de la présidentielle de 2010, ce qui indique qu’il s’agit de problèmes fort délicats soit par leur complexité intrinsèque, soit du fait de la difficulté pour les acteurs politiques de s’entendre sur la manière de les résoudre. Ces difficultés sont liées à la Commission électorale, au fichier électoral, au cadre légal des élections, au contentieux électoral et à la gestion qui en est faite, aux comportements des acteurs politiques et à la désorganisation de la société civile etc.
La Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI)
Deux maux majeurs minent la CENI. D’une part, elle n’inspire confiance ni aux acteurs politiques, notamment ceux de l’opposition, ni aux Guinéens en général. D’autre part, elle a un déficit sérieux de capacité tant en matière d’organisation interne que de gestion du processus électoral.
La CENI, depuis qu’elle est devenue le gestionnaire principal des élections, n’a jamais réellement inspiré confiance ni aux acteurs politiques, ni aux citoyens. Pour régler la question de la confiance, l’on a dû, entre les deux tours de la présidentielle de 2010, confier le poste de président de la CENI au Général malien, M. Siaka T. Sangaré. Le nouveau président, choisi après la présidentielle, a dû démissionner parce que contesté par une partie de la classe politique tandis que le code électoral a été amendé vers la fin de 2012 pour autoriser une restructuration de la CENI. Une étude commanditée par la CEA révèle qu’environ 55% de l’échantillon consulté considèrent que la CENI est, au mieux, inféodée au Gouvernement (donc au parti au pouvoir).
Plusieurs raisons expliquent ce déficit chronique de confiance qui existe entre la CENI et tout ou partie de la classe politique d’une part, entre elle et les citoyens de l’autre. La composition de la CENI, qui la fait percevoir comme étant toujours majoritairement constituée de membres proches du pouvoir, est la première source de méfiance.
Une deuxième source de méfiance vient des dispositions de la loi organique qui crée la CENI, notamment l’article 2 selon lequel la CENI est techniquement aidée par des départements ministériels, surtout celui en charge de l’Administration territoriale. Ceci est perçu, surtout par les partis de l’opposition, comme une porte ouverte à l’immixtion du Gouvernement dans la gestion des élections.
La troisième source de méfiance vis-à-vis de la CENI vient de ses faiblesses propres. Il s’agit, par exemple, des difficultés de communication que ce soit au sein de la Commission, ou entre elle et les parties prenantes des élections sur des aspects essentiels du processus électoral. Il s’agit, entre autres, également du manque de transparence dans l’exécution de tâches sensibles comme sur le fichier électoral, le manque d’articulation efficace entre la CENI et ses démembrements, l’insuffisance de formation du personnel électoral.
Le fichier électoral
Le fichier électoral est effectivement une source potentielle de conflits parce qu’objet majeur de désaccords entre les acteurs politiques. A l’instar de la CENI, les problèmes autour de la liste électorale remontent à avant la présidentielle de 2010. Non seulement ils n’ont jamais été complètement résolus, mais encore se sont complexifiés et restent l’objet de dissensions au sein de la classe politique.
Il était admis de tous, et d’abord des acteurs politiques eux-mêmes, que la liste électorale utilisée en 2010 avait beaucoup d’imperfections. Commencé en 2008 (avant le décès du Président Conté), le recensement des électeurs n’a pu être complètement achevé pour diverses raisons, y compris les évènements de septembre 2009. Une entente entre les acteurs politiques avait permis, dans un premier temps, d’aller à l’élection présidentielle de 2010 avec la liste telle qu’elle était.
Une nouvelle entente intervenue entre les deux tours du scrutin, a autorisé que soient pris en compte plus de 400.000 électeurs qui, à cause des imperfections techniques, n’avaient pas pu voter au 1e tour. Il a été recommandé que la liste électorale soit corrigée avant les législatives qui devaient suivre.
Malheureusement, en dépit des trois ans environ écoulés depuis la présidentielle, les élections législatives de 2013 ont dû se tenir avec une liste provisoire. En effet, la liste électorale a fait à nouveau l’objet de désaccords entre les acteurs politiques parce que toute la classe politique n’a pas été associée aux processus d’acquisition des équipements nécessaires pour la correction du fichier électoral et de sélection de l’opérateur technique. Dans le cadre de l’Accord sur la préparation et l’organisation des élections législatives de juillet 2013, les acteurs politiques se sont une fois de plus promis d’apporter des corrections nécessaires à la liste électorale après les législatives de 2013 et en tout cas avant la présidentielle de 2015.
Au jour d’aujourd’hui, soit à environ un an de la présidentielle de 2015, l’opération de correction de la liste n’est toujours pas achevée et le processus de sélection d’un nouvel opérateur technique est pour le moment conduit de manière non inclusive. En d’autres termes, les mêmes causes produisant les mêmes effets, la liste électorale risque fort d’être à nouveau l’objet de désaccords profonds entre les acteurs politiques lors de la prochaine présidentielle.
La société civile
Pour diverses raisons, la société civile guinéenne occupe une position mitigée quant à sa contribution à la recherche de solutions aux défis des élections en Guinée. Sa contribution à l’amélioration de la qualité de la participation au processus électoral est unanimement reconnue par tous. Elle se fait notamment à travers des activités d’éducation civique et électorale avec une attention particulière en direction des jeunes et des femmes. Elle a également aidé à la transparence des élections à travers le déploiement de plusieurs missions domestiques d’observation électorale.
Malheureusement, la société civile, pourtant réputée l’une des plus fortes et des pl lus dynamiques dans la sous-région, n’a pas été en mesure de contribuer à la résolution des défis majeurs posés par la gestion du processus électoral depuis 2010. Au titre des raisons qui expliquent cette incapacité, voire cette impuissance des organisations de la société civile (OSC) devant ces difficultés réelles, l’on peut citer la transition qui a suivi le décès du Président Conté. En effet, la société civile guinéenne a été littéralement « décapitée » parce que la plupart de ses leaders ont été cooptés pour aider à la gestion de la transition (en tant que ministre, animateurs des institutions de la transition etc.).
Une deuxième raison tient à ce qu’à l’instar de la plupart des pays en transition démocratique de la sous-région, la société civile guinéenne n’a pas tenu le choc de l’ouverture de l’espace politique et de la pratique de la démocratie pluraliste. Alors que jusqu’en 2009, elle avait affaire à un adversaire unique, le pouvoir étatique autoritaire, elle s’est brutalement retrouvée dans un environnement de multipartisme. Elle n’a pas su se mettre au-dessus de la fragmentation de l’espace politique partisan (essentiellement suivant les lignes ethniques) au point où aujourd’hui, tout acteur, toute organisation de la société civile est perçu à tort ou à raison comme affilié à un groupe politique et/ou défendant les intérêts d’un groupe ethnique. Du coup, elle est privée de la crédibilité et de la légitimité nécessaire pour aider à la recherche de solutions aux difficultés liées à la gestion des élections, surtout lorsqu’elles opposent les acteurs politiques.
La jeunesse
Il nous a paru plus judicieux d’isoler la question de la jeunesse dans une section à part, distincte de celle de la société civile, par exemple, afin de mieux appréhender certains aspects majeurs de sa participation au processus électoral depuis 2010.
La perception de la participation de la jeunesse guinéenne au processus électoral est, à l’instar de ce qui se passe dans les nouvelles démocraties de la sous-région, mitigée. D’une part, elle est source d’espoir, notamment parce que le corps électoral est majoritairement composé de jeunes. Mais elle est également source d’appréhensions à l’approche des élections parce qu’elle est l’un des instruments et des canaux majeurs auxquels ont recours les politiciens pour perpétrer la violence électorale. Voilà pourquoi, en Guinée comme ailleurs en Afrique, à l’approche des élections, la jeunesse est systématiquement ciblée à travers une série d’activités de sensibilisation et d’éveil de conscience. Il s’agit, en général, d’activités visant à améliorer la qualité de la participation des jeunes : inscription sur les listes électorales, retrait de cartes d’électeurs, comment voter, pourquoi voter etc. Il s’agit aussi de prévenir la violence électorale en incitant les jeunes à éviter toutes formes de comportements susceptibles d’y conduire.
Au-delà de cette double caractéristique commune aux nouvelles démocraties ouest africaines, la jeunesse guinéenne présente des spécificités propres. A cause des péripéties qui ont jalonné l’évolution du pays et des difficultés économiques qui en découlent, elle est davantage pénalisée par le chômage que la plupart de ses homologues de la sous-région. Le communautarisme et l’ethnocentrisme exacerbés tantôt évoqués influencent sa perception des difficultés de la vie quotidienne et sa promptitude à recourir à la violence pour manifester son mécontentement. Ce n’est donc pas par hasard qu’en Guinée, particulièrement à Conakry, plus qu’ailleurs dans la sous-région, des jeunes sortent dans les rues, et souvent recourent à la violence pour protester contre les coupures d’électricité, d’eau etc. De même, périodiquement, des évènements, qui ailleurs passeraient inaperçus, servent ici de prétextes pour enflammer certaines régions où cohabitent plusieurs communautés, telle que la Guinée forestière.
Comme il fallait s’y attendre, cette spécificité de la jeunesse guinéenne la prédispose à son instrumentalisation par les politiciens pendant les périodes électorales. Ce n’est donc, une fois encore, pas une surprise si la Guinée fait partie du peloton de tête des pays de la sous-région où les protestations inhérentes aux élections occasionnent plus de victimes et de dégâts matériels.
Autres problèmes
Au-delà des difficultés citées ci-dessus, il y en a d’autres auxquelles il faut faire attention si l’on veut accroître les chances que la présidentielle de 2015 soit transparente et pacifique. Des mesures sont nécessaires pour corriger les insuffisances du cadre légal des élections révélées par la présidentielle de 2010 et les législatives de 2013. Ces mesures pourraient aider à clarifier la nature de la collaboration entre la CENI et les départements ministériels impliqués dans la gestion des élections, à harmoniser le code électoral avec la loi relative aux collectivités territoriales (au cas où les locales seraient organisées avant la présidentielle de 2015).
La législation électorale ne prévoit pas de possibilité de candidatures indépendantes et n’est pas complète en ce qui concerne le vote des Guinéens de la diaspora. Elle est, par exemple, silencieuse sur ‘’les modalités et le traitement des contestations portées par les candidats ou leurs représentants sur les procès-verbaux et l’organisation du vote des Guinéens de l’étranger’’. La législation électorale, présente également des ambiguïtés en ce qui concerne les pouvoirs des Cours et tribunaux en charge de la gestion du contentieux électoral. Ainsi, en ce qui concerne par exemple la régulation de l’accès aux médias pendant la campagne électorale, plusieurs institutions interviennent, notamment la Cour Constitutionnelle ou la Cour Suprême, le Conseil National de la Communication, le Ministère de l’Intérieur. Mais, en réalité, ni les rapports entre ces différentes institutions ni non plus les voies de recours pour les candidats le cas échéant ne sont clairs ou encore suffisamment réglés ou précisés.
L’espace politique guinéen est également caractérisé par un manque criant de confiance entre les différents acteurs du processus électoral. Au-delà de la correction des insuffisances évoquées jusqu’ici, des actions spécifiques sont nécessaires pour réduire le déficit de confiance des parties prenantes du processus électoral en Guinée. La Constitution de 2010 prévoit des institutions supposées aider à garantir la sincérité et la régularité du processus électoral. Il s’agit, par exemple, de la Cour Constitutionnelle chargée de la gestion du contentieux de l’élection présidentielle, et de la Haute Autorité de la Communication, en charge de la régulation des médias. Il faut mettre en place et renforcer ces institutions de façon à leur donner plus d’indépendance, de compétence et de crédibilité.
Recommandations pour une présidentielle crédible, pacifique et à bonne date en 2015
Devant la série de défis auxquels la présidentielle de 2015 risque d’être confrontée, et en guise de première recommandation, il revient aux protagonistes du processus électoral, à commencer par le Parlement et le Gouvernement, de décider de la nature et de la profondeur des réformes électorales pas seulement nécessaires mais surtout indispensables. Autrement dit, elles doivent répondre à plusieurs questions : qu’est qui est nécessaire et pertinent au regard des défis à relever, notamment des urgences de l’heure? Que peut-on faire, que faut-il faire et que doit-on faire impérativement étant donné le temps disponible et l’environnement politique ?
En guise de 2e recommandation, toutes les parties concernées par les élections en Guinée ont un rôle à jouer dans la mise en œuvre des mesures souhaitées et suggérées dans ce papier si elles souhaitent une présidentielle crédible et apaisée en 2015. Même si cette responsabilité revient en premier lieu au Président de la République, au Gouvernement et aux parlementaires, les organisations de la société civile, les partis politiques, les citoyens ordinaires ainsi que les partenaires au développement peuvent et doivent y contribuer.
En ce qui concerne la CENI, étant donné que le type partisan choisi n’a pas permis de régler le problème de confiance des acteurs, une troisième recommandation est qu’il est urgent de décider, par exemple, si l’on veut un nouveau type de CENI (Exemple, une CENI purement technique) ou si l’on préfère réorganiser la CENI actuelle de l’intérieur et/ou prévoir un mécanisme externe dont la composition et les attributions seront de nature à rassurer les acteurs du processus électoral. La logique devrait rester la même si l’on considère les insuffisances de la législation électorale. Ce qui doit présider aux choix des réformes, c’est la nécessité impérieuse d’éviter que les débats politiciens prennent le pas sur la résolution concrète et pratique de ces questions et éloignent de ce qui est et reste l’essentiel.
En ce qui concerne les réformes institutionnelles susceptibles d’aider à ramener la confiance des acteurs du processus électoral, et c’est la 4eme recommandation, il faudrait rapidement adopter et/ou promulguer les lois organiques réglant ces institutions (exemples : la Cour Constitutionnelle et la Haute Autorité de la Communication). Etant donné la composition actuelle du Parlement, ceci nécessitera la majorité des 2/3 de l’Assemblée nationale, et par conséquent, le soutien de l’opposition de même que la prise en compte du caractère quasiment équilibré de l’Assemblée nationale dans la composition desdites institutions.
Les organisations de la société civile, en guise de 5eme recommandation, peuvent aider à éclairer l’opinion et les décideurs sur la nature et la profondeur des réformes électorales nécessaires (Code électoral, Constitution et Commission électorale) afin d’éviter que les acteurs politiques, trop préoccupés en Guinée comme ailleurs par leurs intérêts partisans, ne conduisent à l’enlisement du processus. Les partenaires au développement, au-delà des appuis techniques et financiers classiques, doivent pour leur part contribuer à la recherche de solutions aux questions essentielles mentionnées ci-dessus et à l’application complète de l’Accord sur la préparation des élections législatives de juillet 2013 dont les dispositions demeurent valides même après les législatives.
Il est essentiel, ceci étant la 6eme recommandation, qu’une attention particulière soit accordée à la jeunesse lors des activités de préparation des élections. Cela devrait se faire à travers des activités qui visent à les inciter à participer au vote (inscriptions, retrait des cartes d’électeurs et vote le jour du scrutin) et à travers des initiatives qui les aident à opérer des choix conscients, en toute connaissance de cause, le jour du vote et à éviter de recourir ou de participer à la violence pendant la période électorale. Les organisations de la société civile, les partis politiques, la Commission électorale ainsi que tous les autres acteurs préoccupés par la qualité des élections en Guinée devraient considérer cela comme une priorité.
En guise de conclusion, l’on peut dire que de tout ce qui précède pourrait dépendre la consolidation de la paix et de la stabilité à long terme en Guinée ainsi que, faut-il le répéter, de la volonté personnelle de chaque Guinéenne et de chaque Guinéen de choisir en toutes circonstances, y compris face à ses intérêts personnels, supposés ethniques ou autres la Guinée d’abord. Ceci est d’autant plus fondé qu’il y a deux autres facteurs qui peuvent contribuer à accroître les difficultés d’organisation de la présidentielle de 2015.
L’épidémie d’Ebola est le premier facteur, complètement inattendu, qui devrait rendre certaines des étapes du processus électoral plus difficiles. C’est le cas, par exemple, de l’actualisation de la liste électorale, des campagnes électorales, de l’observation électorale etc. Ebola a déjà contraint le Libéria à reporter les élections sénatoriales qui devraient se tenir en octobre 2014. En ce qui concerne la Guinée, il est difficile de dire aujourd’hui si l’évolution de l’épidémie d’Ebola pourrait justifier un report de la présidentielle de 2015. En effet, si comme le disent la plupart des grandes organisations intervenant dans le secteur de la santé (comme OMS, MSF), l’épidémie pourrait être maîtrisée dans une période de 6 mois, c’est-à-dire d’ici au mois d’avril 2015, il serait bien possible de tenir la présidentielle en octobre 2015.
Dans un tel scénario, c’est-à-dire le contrôle de l’épidémie d’Ebola vers le mois d’avril 2015, des ajustements (y compris la tolérance vis-à-vis de certaines faiblesses du processus électoral que le temps ne permettrait plus de corriger) seraient nécessaires pour la tenue des élections conformément au délai constitutionnel. Les guinéens, à l’instar de leurs homologues libériens pourraient être amenés, dans les semaines et mois à venir, à prendre une décision par rapport à la tenue ou non des élections selon la manière dont évoluera l’épidémie d’Ebola. Ici également le pragmatisme et la recherche du consensus au sein de la classe politique (et au-delà au sein des forces vives de la Nation) devraient être de mise.
Le deuxième facteur est, quant à lui, lié au fait que les résultats des élections de 2010 et de 2013 sont restés trop serrés: 52.5% (Alpha Condé) et 47.5% (Cellou Dalein Diallo) au second tour de la présidentielle de 2010. Au sein de la nouvelle Assemblée nationale, les scores sont de 52% (pour la majorité présidentielle) et 48% (pour la coalition de l’opposition). En dépit de l’avantage du pouvoir pour la coalition présidentielle, l’étroitesse des scores laisse présager que la compétition sera intense et âpre et les négociations en vue de trouver des solutions aux insuffisances relevées aussi difficiles que complexes. Au fond, chacun des adversaires est convaincu qu’il peut gagner la prochaine élection et que toute concession à l’autre camp peut lui être fatale. C’est là une attitude qui, pour le moins, présente de forts risques d’être préjudiciable à la Guinée et aux Guinéens.
Par Mathias Hounkpe
Administrateur du Programme gouvernance politique
OSIWA (Open Society Initiative for West Africa)