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Demain, les élections en Guinée…

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[dropcap]L[/dropcap]e 21 décembre  2010, le Professeur Alpha Condé prêtait serment comme Président de la  République de Guinée. Considérée unanimement comme le premier processus électoral ouvert et  compétitif  depuis l’indépendance du pays (en 1958), son élection a été, pourrait-on dire, un véritable accouchement pour la Guinée  et  les  Guinéens. Par exemple, le 2eme tour de la  présidentielle  a été organisé pas moins de  quatre mois après le 1er au lieu des 2 semaines  prescrites par la loi.

voteEntre temps, il a fallu, entre autres, amender le cadre légal des élections,  procéder à la nomination exceptionnelle d’un administrateur électoral malien comme Président  de la Commission électorale,  réviser le fichier électoral et  vivre des scènes de violences désastreuses.

La proclamation des résultats définitifs des élections législatives par la Cour Suprême, le 15 novembre 2013, a été accueillie par les Guinéens et ceux qui se préoccupent de la situation en  Guinée avec un certain soulagement. En effet, ici également, le processus électoral et politique  qui venait ainsi d’aboutir a été si pénible qu’il a laissé des plaies que les Guinéens n’ont pas fini  de panser.  Après plusieurs reports, environ trois ans de tensions politiques et sociales, des dizaines de morts et  des pertes  probablement inestimables de biens publics et privés, les  législatives censées se tenir durant le premier semestre de l’année 2011 ont finalement eu lieu le  28 septembre 2013. Une fois encore, on a dû restructurer la Commission électorale après avoir changé à nouveau son président, signer un Accord politique, réviser la liste électorale, amender  la législation électorale etc.

Conformément à la Constitution, les Guinéens devront retourner aux urnes en octobre 2015, soit  d’ici  un  an, pour une  nouvelle élection présidentielle. Entre temps, les élections locales et  communales  devraient être organisées.  Naturellement, tout le monde,  à commencer par les  Guinéens eux-mêmes, se demande s’il y aura deux sans trois, en d’autres termes, si cette fois-ci  les élections seront transparentes, crédibles,  pacifiques et organisées dans les délais légaux.

L’identification des défis auxquels la présidentielle de 2015 est confrontée et la formulation de  recommandations judicieuses pour  en atténuer les impacts contribueraient certainement à  répondre à cette question, et par là-même calmer les appréhensions légitimes des uns et des  autres.

C’est à cette tâche que s’attèle  le présent papier.  Il  est  réparti en 3 sections : le contexte  spécifique des élections en Guinée (1), les obstacles majeurs à l’organisation de la présidentielle  de 2015 (2) et  des recommandations à l’endroit des différentes parties prenantes (3) pour une  présidentielle crédible, pacifique et organisée dans les délais légaux.

Contexte électoral guinéen

Plusieurs facteurs caractérisent le contexte électoral guinéen et contribuent à en déterminer la  dynamique. Ces facteurs,  tantôt  communs  aux  jeunes démocraties de la sous-région, tantôt  spécifiques à la Guinée forment le décor de l’environnement électoral du pays. Seuls quelques-uns, en raison de leur importance et de leur pertinence pour le sujet abordé, seront évoqués ici.

Premier facteur caractéristique, la Guinée, à l’instar des autres pays en transition démocratique de l’Afrique de l’Ouest,  s’est vite rendue compte qu’organiser des élections  ouvertes et compétitives dans un environnement aussi imparfait et complexe que celui des pays de la sous-région n’est pas chose aisée. L’état-civil (identification administrative de ceux qui peuvent jouir  des droits politiques) est  peu développé et les ressources nationales sont, en général, loin de couvrir les dépenses liées à l’organisation des élections. Les acteurs politiques, quasi obsédés par la victoire à tout prix, ont souvent recours à la mauvaise foi et aux tentatives  d’instrumentalisation des institutions impliquées dans la gestion des élections.

L’opérationnalisation des Organes en charge de la gestion des élections ainsi que la gestion du  contentieux électoral se révèlent extrêmement difficiles. Pour ne citer que ces quelques  exemples.

En conséquence, à l’image de la plupart des pays engagés dans la transition vers la démocratie de  la région, les premières élections  démocratiques  de la Guinée ont été très difficiles. La constitution du fichier électoral a été et demeure l’objet de désaccords entre les différents  groupes politiques. Le recours  nécessaire  aux partenaires techniques et financiers (PTF), qui  parfois ne s’accordent  pas entre eux sur la conduite à tenir face aux difficultés du processus,  peut rendre  le financement des élections problématique.  Les comportements ‘’stratégiques’’/partisans des membres de la Commission Electorale Nationale Indépendante  (CENI) et la tendance des acteurs politiques à tout instrumentaliser  – y  compris les moindres  faiblesses dans la gestion du processus électoral  – ont fini par créer un climat de méfiance de tous vis-à-vis de tous.

Deuxième facteur, la Guinée, contrairement aux pays d’Afrique de l’Ouest qui ont commencé  l’expérience de démocratisation depuis la fin des années 1980,  s’est retrouvée en 2010 sans  aucune expérience antérieure en matière d’organisation d’élections ouvertes et compétitives. En  effet, de son indépendance en octobre 1958 à avril 1984, ce pays a connu un régime autoritaire à parti unique avec des modalités non compétitives de sélection des gouvernants. Après une  parenthèse militaire entre avril 1984 et décembre 1990, la Guinée a renoué avec un régime  relativement ouvert  mais sans volonté réelle des gouvernants de créer  les conditions requises pour l’organisation d’élections véritablement compétitives et transparentes, telles que la mise en  place d’institutions indépendantes. La  présidentielle de 2010 est, en fait, la toute  première  élection compétitive depuis l’indépendance de la Guinée.

Le troisième facteur essentiel qui détermine l’environnement électoral guinéen est lié à l’hyper  présence, voire la prépondérance quasi systématique de l’ethnie  dans tout  (l’ethnicisation à outrance, y compris des élections). Même si la plupart des pays en transition de la sous-région  vivent, à des degrés divers, l’instrumentalisation par les politiciens des clivages de la société, la  situation est  particulièrement  exacerbée en Guinée.  Tous les régimes  qui se sont succédés,  notamment de 1958 jusqu’à la mort du Président Conté, ont contribué à renforcer la prééminence  de l’ethnie chez les Guinéens. En conséquence, tout est perçu et analysé à travers le prisme de  l’ethnicité et du communautarisme: relations entre les communautés, fonctionnement de l’Etat,  affiliation politique, engagement social etc.

Les conséquences de cette situation sur le processus de démocratisation en Guinée sont faciles à  imaginer. Les réformes structurelles dans la Fonction publique, l’Armée, le secteur économique… sont perçues comme des sanctions contre les membres d’une communauté. Les activités des  partis politiques  et  celles des acteurs de la société civile sont lues à travers le prisme de  l’ethnicité. Ceci rend difficile et décrédibilise les contributions de ces acteurs à la recherche de  solutions aux problèmes du pays, surtout sur des questions sensibles comme l’élection.

Une fois ce décor planté,  il  est important d’identifier les  obstacles majeurs auxquels sera  confrontée la présidentielle de 2015. Obstacles majeurs à la présidentielle de 2015

Après environ trois ans de péripéties sur fond de tensions politiques et sociales, de pertes en vies  humaines et de saccages de biens publics et privés, la Guinée a connu une période d’accalmie  relative depuis la  proclamation en novembre 2013 des résultats définitifs des élections  législatives de 2013.  Malheureusement, les  Guinéens et leurs partenaires ne peuvent pas se  permettre de dormir sur leurs lauriers s’ils souhaitent que, contrairement aux élections de 2010 et  de 2013, la présidentielle de 2015 soit crédible et surtout pacifique et organisée dans les délais  constitutionnels. Et qu’ainsi soit démenti l’adage selon lequel il n’y a jamais deux sans trois.

Pour être à même de relever ce défi, il s’avère indispensable et  impératif de s’attaquer à un  certain nombre d’obstacles, sans délai. La plupart desdits obstacles, dont certains sont évoqués  ici, datent de la présidentielle de 2010, ce qui indique qu’il s’agit de problèmes fort délicats soit  par leur complexité intrinsèque, soit du fait de la difficulté  pour les acteurs politiques de  s’entendre sur la manière de les résoudre. Ces difficultés sont liées à la Commission électorale,  au fichier électoral, au cadre légal des élections, au contentieux électoral et à la gestion qui en est  faite, aux comportements des acteurs politiques et à la désorganisation de la société civile etc.

La Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI)

Deux maux majeurs minent la CENI. D’une part, elle n’inspire confiance  ni  aux acteurs  politiques, notamment ceux de l’opposition, ni aux Guinéens en général. D’autre part, elle a un  déficit sérieux  de capacité  tant en matière d’organisation interne que  de gestion du processus électoral.

La CENI, depuis  qu’elle  est devenue le gestionnaire principal des élections, n’a jamais  réellement inspiré confiance ni aux acteurs politiques, ni aux citoyens. Pour régler la question de  la  confiance, l’on a dû, entre les deux tours de la présidentielle de 2010, confier le poste de  président de la CENI au  Général malien, M. Siaka  T.  Sangaré. Le nouveau  président, choisi  après la présidentielle, a dû démissionner parce que contesté par une partie de la classe politique  tandis que le code électoral a été amendé vers la fin de 2012 pour autoriser une restructuration de  la CENI. Une étude commanditée par la CEA révèle qu’environ 55% de l’échantillon consulté considèrent que la CENI est, au mieux, inféodée au Gouvernement (donc au parti au pouvoir).

Plusieurs raisons expliquent ce déficit chronique de confiance qui existe entre la CENI et tout ou  partie de la classe politique d’une part, entre elle et les citoyens de l’autre. La composition de la  CENI, qui la fait percevoir comme étant toujours majoritairement constituée de membres  proches du pouvoir, est la première source de méfiance.

Une deuxième source de méfiance vient  des dispositions de la loi organique qui crée la CENI,  notamment l’article 2 selon lequel la  CENI est techniquement aidée par des départements ministériels, surtout celui en charge de  l’Administration territoriale. Ceci  est perçu, surtout par les partis de l’opposition, comme une  porte ouverte à l’immixtion du Gouvernement dans la gestion des élections.

La troisième source de méfiance vis-à-vis de la CENI vient de ses faiblesses propres. Il s’agit,  par exemple, des difficultés de communication que ce soit  au sein de la Commission, ou entre  elle et les parties prenantes des élections sur des aspects essentiels du processus électoral. Il  s’agit, entre autres, également du manque de transparence dans l’exécution de tâches sensibles  comme sur le fichier électoral, le manque d’articulation efficace entre la CENI et ses  démembrements, l’insuffisance de formation du personnel électoral.

Le fichier électoral

Le fichier électoral est effectivement une source potentielle de conflits parce qu’objet majeur de  désaccords entre les acteurs politiques. A l’instar de la CENI, les problèmes autour de la liste  électorale remontent à  avant la présidentielle de 2010.  Non seulement  ils  n’ont jamais été  complètement résolus, mais encore se sont complexifiés et restent l’objet de dissensions au sein  de la classe politique.

Il était admis de tous, et d’abord des acteurs politiques eux-mêmes, que la liste électorale utilisée  en  2010 avait beaucoup d’imperfections. Commencé en 2008 (avant le décès du Président Conté), le recensement des électeurs n’a pu être complètement achevé pour diverses raisons, y  compris les évènements de septembre 2009. Une entente entre les acteurs politiques avait permis,  dans un premier temps, d’aller à l’élection présidentielle de 2010 avec la liste telle qu’elle était.

Une nouvelle entente  intervenue  entre les  deux tours du scrutin, a autorisé  que soient pris en  compte plus de 400.000 électeurs qui, à cause des imperfections techniques, n’avaient pas pu  voter au 1e  tour. Il a été recommandé que la liste électorale soit corrigée avant les législatives qui  devaient suivre.

Malheureusement,  en dépit des trois ans environ écoulés depuis la présidentielle,  les élections  législatives de 2013 ont dû se tenir avec une liste provisoire. En effet, la liste électorale a fait à  nouveau l’objet de désaccords entre les acteurs politiques parce que toute la classe politique n’a  pas été associée aux processus d’acquisition des équipements nécessaires pour la correction du  fichier électoral et de sélection de l’opérateur technique. Dans le cadre de  l’Accord sur la  préparation et l’organisation des élections législatives de juillet 2013, les acteurs politiques se  sont une fois de plus promis d’apporter des corrections nécessaires à la liste électorale après les  législatives de 2013 et en tout cas avant la présidentielle de 2015.

Au jour d’aujourd’hui, soit à environ un an de la présidentielle de 2015, l’opération de correction  de la liste n’est toujours pas achevée et le processus de sélection d’un nouvel opérateur technique  est pour le moment conduit de manière non inclusive. En d’autres termes,  les mêmes causes  produisant les mêmes effets, la liste électorale risque fort d’être à nouveau l’objet de désaccords  profonds entre les acteurs politiques lors de la prochaine présidentielle.

La société civile

Pour diverses raisons, la société civile guinéenne occupe une position mitigée quant à sa  contribution à la recherche de solutions aux défis des élections en Guinée.  Sa contribution à  l’amélioration de la qualité de la participation au processus électoral est unanimement reconnue  par tous. Elle se fait notamment à travers des activités d’éducation civique et électorale avec une  attention particulière en direction des jeunes et des femmes.  Elle a également aidé à la  transparence des élections à travers le déploiement de plusieurs missions domestiques  d’observation électorale.

Malheureusement, la société civile, pourtant réputée l’une des plus fortes et des pl lus dynamiques  dans la sous-région, n’a pas été en mesure de contribuer à la résolution des défis majeurs posés  par la gestion du processus électoral depuis 2010.  Au titre des raisons qui  expliquent cette  incapacité, voire  cette impuissance des  organisations  de la société civile (OSC) devant  ces  difficultés réelles, l’on peut citer la transition qui a suivi le décès du Président Conté. En effet, la  société civile guinéenne a été littéralement « décapitée » parce que la plupart de ses leaders ont été  cooptés pour aider à la gestion de la transition (en tant que ministre, animateurs des institutions de la transition etc.).

Une deuxième raison tient à ce qu’à l’instar de la plupart des pays en transition démocratique de  la sous-région, la société civile guinéenne  n’a pas tenu le choc de l’ouverture de l’espace  politique et de la pratique de la démocratie pluraliste. Alors que jusqu’en 2009, elle avait affaire  à un adversaire unique, le pouvoir étatique autoritaire, elle s’est brutalement retrouvée dans un environnement de multipartisme. Elle n’a pas su se mettre au-dessus de la fragmentation de  l’espace politique partisan (essentiellement suivant les lignes ethniques) au point où aujourd’hui,  tout acteur, toute organisation de la société civile est perçu à tort ou à raison comme affilié à un  groupe politique et/ou défendant les intérêts d’un groupe ethnique. Du coup, elle est privée de la  crédibilité et de la légitimité nécessaire pour aider à la recherche de solutions aux difficultés liées  à la gestion des élections, surtout lorsqu’elles opposent les acteurs politiques.

 La jeunesse

Il nous a paru plus judicieux d’isoler la question de la jeunesse dans une section à part, distincte  de celle de la société civile, par exemple, afin de mieux appréhender certains aspects majeurs de  sa participation au processus électoral depuis 2010.

La perception de la participation de la jeunesse guinéenne au processus électoral est, à l’instar de  ce qui se passe dans les nouvelles démocraties de la sous-région, mitigée. D’une part, elle est  source d’espoir, notamment  parce que le corps électoral est majoritairement composé de  jeunes. Mais elle est également source d’appréhensions à l’approche des élections parce qu’elle  est l’un des instruments et des canaux majeurs auxquels ont recours les politiciens pour perpétrer  la violence électorale. Voilà pourquoi, en Guinée comme ailleurs  en Afrique, à l’approche des  élections, la jeunesse est systématiquement ciblée à travers une série d’activités de sensibilisation  et d’éveil de conscience. Il s’agit, en général, d’activités visant à améliorer la qualité de la  participation des jeunes :  inscription sur les listes électorales,  retrait de cartes d’électeurs,  comment voter, pourquoi voter etc. Il s’agit aussi de prévenir la violence électorale en incitant  les jeunes à éviter toutes formes de comportements susceptibles d’y conduire.

Au-delà de cette double caractéristique commune aux nouvelles démocraties ouest africaines, la  jeunesse guinéenne présente des spécificités propres. A cause des  péripéties qui ont jalonné  l’évolution du pays et des difficultés économiques qui en découlent, elle est davantage pénalisée  par le  chômage que la plupart de ses homologues de la sous-région. Le communautarisme et  l’ethnocentrisme exacerbés tantôt  évoqués influencent sa perception des difficultés de la vie  quotidienne et sa promptitude à recourir à la violence pour manifester son mécontentement. Ce  n’est donc pas par hasard qu’en Guinée, particulièrement à Conakry, plus qu’ailleurs dans la  sous-région, des jeunes sortent dans les rues,  et souvent recourent à la violence pour protester  contre les coupures d’électricité, d’eau etc. De même,  périodiquement, des évènements, qui  ailleurs passeraient inaperçus, servent  ici  de prétextes pour enflammer certaines régions où  cohabitent plusieurs communautés, telle que la Guinée forestière.

Comme il fallait s’y attendre, cette spécificité de la jeunesse guinéenne la prédispose à son  instrumentalisation par les politiciens pendant les périodes électorales. Ce n’est donc, une fois  encore, pas une surprise si la Guinée fait partie du peloton de tête des pays de la sous-région où les protestations inhérentes aux élections occasionnent plus de victimes et de dégâts matériels.

Autres problèmes

Au-delà des difficultés citées ci-dessus, il y en a d’autres auxquelles il faut faire attention si l’on  veut accroître les chances que la présidentielle de 2015 soit transparente et pacifique.  Des mesures sont nécessaires pour corriger les insuffisances du cadre légal des élections révélées  par la présidentielle de 2010 et les législatives de 2013. Ces mesures pourraient aider à clarifier  la nature de la collaboration entre la CENI et les départements ministériels impliqués dans la  gestion des élections, à harmoniser le code électoral avec la loi relative aux collectivités  territoriales (au cas où les locales seraient organisées avant la présidentielle de 2015).

La  législation électorale ne prévoit pas de possibilité  de candidatures indépendantes et n’est pas  complète en ce qui concerne le vote  des  Guinéens  de la diaspora.  Elle est, par exemple, silencieuse sur ‘’les modalités et le traitement des contestations portées par les candidats ou leurs  représentants sur les procès-verbaux et l’organisation du vote des Guinéens de l’étranger’’. La  législation électorale,  présente  également  des ambiguïtés en ce qui concerne les pouvoirs des  Cours et tribunaux en charge de la gestion du contentieux électoral. Ainsi, en ce qui concerne par  exemple la régulation  de  l’accès aux médias pendant la campagne électorale, plusieurs  institutions interviennent, notamment la Cour Constitutionnelle ou la Cour Suprême, le Conseil  National de la Communication, le Ministère de l’Intérieur. Mais, en réalité, ni les rapports entre  ces différentes institutions ni non plus les voies de recours pour les candidats le cas échéant ne  sont clairs ou encore suffisamment réglés ou précisés.

L’espace politique guinéen est également caractérisé par un manque criant de confiance entre les  différents acteurs  du processus électoral.  Au-delà de la correction des insuffisances évoquées  jusqu’ici, des actions spécifiques sont nécessaires pour réduire le déficit de confiance des parties  prenantes du processus électoral en Guinée. La Constitution de 2010 prévoit des institutions  supposées aider à garantir la sincérité et la régularité du processus électoral. Il s’agit, par  exemple, de la Cour Constitutionnelle chargée de la gestion du contentieux de l’élection  présidentielle, et de la Haute Autorité de la Communication, en charge de la  régulation des  médias. Il faut  mettre en place et  renforcer ces institutions de façon à leur donner plus  d’indépendance, de compétence et de crédibilité.

Recommandations pour une présidentielle crédible, pacifique et à bonne date en 2015

Devant la série de défis auxquels la présidentielle de 2015 risque d’être confrontée, et en guise  de première recommandation, il revient aux protagonistes du processus électoral, à commencer  par le Parlement et le Gouvernement, de décider de la nature et de la profondeur des réformes  électorales pas seulement nécessaires mais surtout indispensables. Autrement dit, elles doivent  répondre  à plusieurs questions :  qu’est qui est nécessaire et pertinent au regard des défis à  relever, notamment des urgences de l’heure? Que peut-on faire, que faut-il faire et que doit-on  faire impérativement étant donné le temps disponible et l’environnement politique ?

En guise de 2e  recommandation, toutes les parties concernées par les élections en Guinée ont  un rôle à jouer dans la mise en œuvre des mesures souhaitées et suggérées dans ce papier si elles souhaitent une présidentielle crédible et apaisée en 2015. Même si cette responsabilité revient en  premier lieu au Président de la République, au Gouvernement et aux parlementaires, les  organisations de la société civile, les partis politiques, les citoyens ordinaires ainsi que les  partenaires au développement peuvent et doivent y contribuer.

En ce qui concerne la CENI, étant donné que le type partisan choisi n’a pas permis de régler le  problème de confiance des acteurs, une troisième recommandation est qu’il est urgent de décider, par exemple, si l’on veut un nouveau type de CENI (Exemple, une CENI purement technique) ou si  l’on préfère réorganiser la CENI actuelle de l’intérieur et/ou prévoir un mécanisme externe dont  la composition et les attributions seront de nature à rassurer les acteurs du processus électoral. La  logique devrait rester la même si l’on considère les insuffisances de la législation électorale. Ce  qui doit présider aux choix des réformes, c’est la nécessité impérieuse d’éviter que les débats  politiciens prennent le pas sur la résolution concrète et pratique de ces questions et éloignent de  ce qui est et reste l’essentiel.

En ce qui concerne les réformes institutionnelles susceptibles d’aider à ramener la confiance des  acteurs du processus électoral, et c’est la 4eme recommandation, il faudrait rapidement adopter  et/ou promulguer les lois organiques réglant ces institutions (exemples : la Cour Constitutionnelle et la  Haute Autorité de la Communication). Etant donné la composition actuelle du Parlement, ceci  nécessitera la majorité des 2/3 de l’Assemblée nationale, et  par conséquent,  le soutien de  l’opposition de même que la prise en compte du caractère quasiment équilibré de l’Assemblée  nationale dans la composition desdites institutions.

Les organisations de la société civile, en guise de 5eme recommandation, peuvent aider à éclairer  l’opinion et les décideurs sur la nature et la profondeur des réformes électorales nécessaires  (Code électoral, Constitution et Commission électorale) afin d’éviter que les acteurs politiques,  trop préoccupés en Guinée comme ailleurs par leurs intérêts partisans, ne conduisent à  l’enlisement du processus. Les partenaires au développement, au-delà des appuis techniques et  financiers classiques, doivent pour leur part contribuer à la recherche de solutions aux questions  essentielles mentionnées ci-dessus et à l’application complète de l’Accord sur la préparation des  élections législatives de juillet 2013 dont les dispositions demeurent valides même après les  législatives.

Il est essentiel, ceci étant la 6eme  recommandation, qu’une attention particulière soit accordée à la  jeunesse lors des activités de préparation des élections.  Cela devrait se faire  à travers des  activités qui visent à les inciter à participer au vote (inscriptions, retrait des cartes d’électeurs et  vote le jour du scrutin) et à travers des initiatives qui les aident à opérer des choix conscients, en  toute connaissance de cause, le jour du vote et à éviter de recourir ou de participer à la violence  pendant la période électorale. Les organisations de la société civile, les partis politiques, la  Commission électorale ainsi que tous les autres acteurs préoccupés par la qualité des élections en Guinée devraient considérer cela comme une priorité.

En guise de conclusion, l’on peut dire que de tout ce qui précède pourrait dépendre la consolidation de la paix et de la stabilité à long terme en Guinée ainsi que, faut-il le répéter, de la  volonté personnelle de chaque  Guinéenne et de chaque  Guinéen  de choisir en  toutes circonstances, y compris face  à ses intérêts personnels, supposés ethniques ou autres la Guinée d’abord. Ceci  est  d’autant plus  fondé  qu’il y a deux autres facteurs qui peuvent  contribuer à accroître les difficultés d’organisation de la présidentielle de 2015.

L’épidémie d’Ebola est le premier facteur, complètement inattendu, qui devrait rendre certaines  des étapes du processus électoral plus difficiles. C’est le cas, par exemple, de l’actualisation de la  liste électorale, des campagnes électorales, de l’observation électorale etc. Ebola a déjà contraint  le Libéria à reporter les élections sénatoriales qui devraient se tenir en octobre 2014. En ce qui  concerne la Guinée, il est difficile de dire aujourd’hui si l’évolution de l’épidémie d’Ebola  pourrait justifier un report de la présidentielle de 2015. En effet, si comme le disent la plupart des  grandes organisations intervenant dans le secteur de la santé (comme OMS, MSF),  l’épidémie  pourrait être maîtrisée dans une période de 6 mois, c’est-à-dire d’ici au mois d’avril 2015, il  serait bien possible de tenir la présidentielle en octobre 2015.

Dans un tel scénario, c’est-à-dire le contrôle de l’épidémie d’Ebola vers le mois d’avril 2015, des  ajustements (y compris la tolérance vis-à-vis de certaines faiblesses du processus électoral que le  temps ne permettrait plus de corriger) seraient nécessaires pour la tenue des élections  conformément au délai constitutionnel. Les guinéens, à l’instar de leurs homologues libériens  pourraient être amenés, dans les semaines et mois à venir, à prendre une décision par rapport à la  tenue ou non des élections selon la manière dont évoluera l’épidémie d’Ebola. Ici également le  pragmatisme et la recherche du consensus au sein de la classe politique (et au-delà au sein des  forces vives de la Nation) devraient être de mise.

Le deuxième facteur est, quant à lui, lié au fait que les résultats des élections de 2010 et de 2013 sont restés trop serrés: 52.5% (Alpha Condé) et 47.5% (Cellou Dalein Diallo) au second tour de  la présidentielle de 2010. Au sein de la nouvelle Assemblée nationale, les  scores sont de 52%  (pour la majorité présidentielle) et 48% (pour la coalition de l’opposition). En dépit de l’avantage  du pouvoir pour la coalition présidentielle, l’étroitesse des scores laisse présager que  la  compétition  sera intense et âpre  et les négociations  en vue de trouver des  solutions aux  insuffisances relevées aussi  difficiles que complexes.  Au fond,  chacun  des adversaires  est  convaincu qu’il peut gagner la prochaine élection et que toute concession à l’autre camp peut lui  être fatale. C’est là une attitude qui, pour le moins, présente de forts risques d’être préjudiciable à la Guinée et aux Guinéens.

Par Mathias Hounkpe

Administrateur du Programme gouvernance politique

OSIWA (Open Society Initiative for West Africa)

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