“Quand ils sont venus chercher les anciens dignitaires, je n’ai rien dit, je n’étais pas ancien dignitaire. Quand ils sont venus chercher les politiques, je n’ai rien dit, je ne suis pas politique. Quand ils sont venus chercher les activistes de la société civile, je n’ai rien dit, je ne suis pas de la société civile. Quand ils sont venus chercher les journalistes, je n’ai rien dit, je ne suis pas journaliste. Quand je vois laisser mourir Kassory Fofana, je ne dis rien, je ne suis pas Kassory. Quand ils viendront me chercher, il n’y aura plus personne pour protester”.
Cette adaptation du texte légendaire du pasteur Martin Niemölier sur la démission et la résignation des élites allemandes face à la purge entreprise par le pouvoir nazi pour anéantir leurs supposés ennemis, au contexte politique et social de la Guinée, nous rappelle que méchants, irresponsables et indifférents les uns au sort des autres, nous périrons tous.
Par contre, unis dans nos espérances, solidaires dans nos épreuves et nos malheurs, nous survivrons chacun et tous. Or, tout au long de notre histoire, comme maintenant, chacun est sur son quant-à-soi, c’est du chacun pour soi, Dieu pour tous. Et, pourtant, on l’a vu et compris définitivement.
Non seulement, nul n’est à l’abri de l’injustice, chacun peut être victime de l’arbitraire, mais, la presse vient de faire la démonstration à la face de la Guinée et du monde que la meilleure réponse à la tentation de la tyrannie et à la dérive dictatoriale est l’union sacrée, ainsi qu’elle a enseigné que si la lutte libère, elle commence par la prise de conscience du danger dont le seul moyen de triompher est le courage d’affronter la peur, de ne pas reculer devant la force et la répression. Le barreau de Guinée aussi, même s’il ne fait pas autant de bruits que la caisse de résonance des médias, monte au créneau pour défendre les valeurs communes comme ses droits également face à un ministre de la justice défiant et méprisant.
Les Guinéens, comme ils en ont pris l’habitude, vont-ils continuer à se taire face à la détresse de leurs concitoyens, à détourner leur regard et leur conscience des exactions et des persécutions qui ne les touchent pas directement et ne les affectent pas personnellement ? Jusqu’à quand ? Combien de victimes, faudra-t-il encore pour qu’enfin un sursaut libérateur s’opère ?
Ibrahima Kassory Fofana est dans la même posture face à la justice que l’ancien Président français, Nicolas Sarkozy . Il ne veut pas être au-dessus de la Loi, ni en dessous.
Il a eu raison avant tout le monde de s’indigner du mauvais traitement qu’il subit en prenant l’opinion nationale et la communauté internationale à témoin.
En homme d’Etat , il a eu confiance en la justice de son pays malgré le contexte d’un régime d’exception qui ne laisse pas trop le choix aux magistrats et ne facilite pas l’application stricte et rigoureuse de la Loi.
L’ancien Premier ministre avait rappelé tout cela dans sa lettre ouverte qui a eu le mérite de révéler ce qui se joue derrière les rideaux de la justice et dans les couloirs du pouvoir politique. Depuis, chaque jour, les Guinéens se rendent compte que Kassory Fofana leur a dit la vérité sur leur justice et leurs dirigeants, lui , qui a toujours eu le courage de ses opinions, de tout temps, a combattu ce qu’il croit être l’injustice et l’arbitraire, en assumant d’en payer le lourd tribut, en homme d’honneur et de conviction.
Mérite-t-il, lui, qui a consacré toute sa vie aux autres, se sacrifie aujourd’hui comme avant pour le respect et la gloire de la République de mourir à cause de notre silence à chacun, de notre indifférence à tous ? Où sont passés tous ces défenseurs des Droits de l’homme, tous ceux qui brillent par leurs dénonciations et critiques des mauvaises pratiques dans la société ? Auraient-ils l’indignation sélective ou seraient-ils, aujourd’hui, défaits ?
Quoi qu’on puisse reprocher à Dr Ibrahima Kassory Fofana dans sa vie d’homme, sa longue et prodigieuse carrière de haut commis de l’Etat, comme chacun d’entre nous, il a droit à la dignité et à la vie , somme toute, sacrée pour tous, chacun peut se retrouver à sa place et à tout moment. C’est pourquoi, il nous faut ensemble réclamer et défendre ses droits bafoués et sa liberté confisquée au risque d’être broyé fatalement, l’un après l’autre dans un cycle sans fin d’oppression et de répression.
L’histoire nous regarde, nos consciences nous interpellent pour juger de notre capacité à nous indigner en chœur ou de notre lâcheté à mourir et à laisser mourir sans sourciller ni lever le petit doigt comme toujours.
Dieu est vérité et amour, l’homme doit être courage et détermination.
Par Habib Marouane Camara
Editorialiste