DGE : un modèle importé, sans contrepouvoirs et sans garde-fous, qui ébranlent toute prétention à la neutralité
La création de la Direction Générale des Élections (DGE), dans le cadre de la réforme électorale en Guinée, continue de susciter de vives réactions et interrogations. Tandis que certains — notamment les « proxys » politiques du pouvoir — la présentent comme une avancée salutaire, d’autres questionnent la méthode, les fondements et les garanties démocratiques réelles de cette réforme.
S’agit-il d’un authentique progrès démocratique ou d’un habillage technocratique dissimulant une recentralisation autoritaire du processus électoral ?
La CENI : une structure pluraliste à réformer, non à abolir
La CENI était loin d’être un modèle parfait. Toutefois, la présence de représentants politiques permettait d’introduire une forme de contre-pouvoir dans un processus historiquement capté par l’État. Ce système pouvait engendrer des blocages, certes, mais il témoignait d’un effort collectif de co-construction démocratique.
Plutôt que de rejeter l’institution aux orties, il eût été plus juste de réformer ses mécanismes de gouvernance, d’améliorer la transparence de ses opérations et de renforcer sa protection juridique face aux pressions de l’exécutif.
Un faux procès politique intenté à la CENI
Les critiques virulentes dirigées contre la CENI, reprises par les cercles du pouvoir, leurs proxys et certains experts autoproclamés, omettent opportunément de rappeler que ses dysfonctionnements tenaient autant sinon plus à l’ingérence de l’exécutif qu’à la présence d’acteurs politiques en son sein. Les fraudes dénoncées, les conflits internes et la politisation des décisions relevaient davantage d’une absence de volonté politique de garantir son autonomie que de son modèle même.
La CENI n’a jamais disposé d’une autonomie financière suffisante ni de marges de manœuvre réelles face au pouvoir exécutif. Rejeter sa composition pluraliste, c’est blâmer les symptômes sans traiter les causes.
La DGE : une recentralisation électorale déguisée
La création de la DGE, présentée comme une professionnalisation du processus électoral, soulève de nombreuses inquiétudes sur sa conformité avec les principes démocratiques régionaux. Derrière le vernis technocratique, cette réforme apparaît comme une recentralisation du pouvoir électoral, en contradiction flagrante avec les engagements pris par les États membres de la CEDEAO.
L’article 3 du Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance de la CEDEAO est sans équivoque : « Les organes chargés des élections doivent être indépendants et/ou neutres et avoir la confiance des acteurs et protagonistes de la vie politique. » Or, la DGE, placée sous la tutelle directe du ministère de l’Administration du Territoire, avec des responsables nommés par décret présidentiel, peine à convaincre de son impartialité. Loin de renforcer la transparence, cette réforme risque d’aggraver la défiance des citoyens et des acteurs politiques. L’absence d’une loi organique claire accentue les doutes sur la sincérité du processus.
Les limites du mimétisme institutionnel
Il est tentant de citer le Ghana, le Sénégal ou le Cap-Vert pour justifier la réforme guinéenne. Ces exemples séduisent mais masquent une réalité fondamentale : ces pays reposent sur des traditions démocratiques solides, où la robustesse des institutions précède la forme des organes électoraux. L’indépendance de la justice, la liberté de l’espace public et la stabilité des contre-pouvoirs y sont des acquis, non de simples slogans.
Transplanter un modèle ne suffit pas à en reproduire les résultats. Sans garanties juridiques, magistrature indépendante ni société civile libre et active, toute réforme institutionnelle risque d’être un simulacre. Or, la Guinée ne réunit à ce jour aucune de ces conditions.
Les partisans de la DGE, prompts à convoquer des comparaisons internationales, gagneraient en crédibilité en maîtrisant réellement les systèmes qu’ils invoquent. Le cas du Sénégal est, à ce titre, révélateur : la DGE y remplit des fonctions logistiques, tandis que le contrôle de la régularité électorale relève d’un organe distinct et indépendant — la Commission Électorale Nationale Autonome (CENA) — composée de membres issus d’horizons variés.
Copier sans adapter, c’est risquer de dénaturer l’esprit des modèles cités en exemple.
Réformer sans garde-fous, gouverner sans contre-pouvoirs
Même dans des systèmes plus équilibrés comme celui du Sénégal, des dérives sont possibles. En novembre 2023, l’ex-président Macky Sall a tenté de renouveler l’ensemble des 12 membres de la CENA par décret présidentiel, suscitant une vive polémique. Cette tentative de mainmise sur l’organe de supervision électorale a été invalidée en mai 2025 par la Cour suprême, au nom du respect du principe de permanence de la CENA.
Ce précédent illustre que la vigilance s’impose, même dans les systèmes les plus robustes.
En Guinée, où la DGE concentre à la fois les fonctions d’organisation (chapitre 3), de régulation et de contrôle (chapitre 2, article 3), sans contrepoids institutionnel comparable à la CENA sénégalaise, cette concentration du pouvoir électoral affaiblit dangereusement l’ensemble du processus.
En l’absence de véritables contre-pouvoirs, cette réforme électorale risque de déboucher sur une centralisation opaque et politisée.
Une réforme électorale ne s’impose pas, elle se bâtit
Il ne s’agit nullement pour nous de remettre en question la nécessité de réformer les mécanismes électoraux en Guinée. Il convient toutefois de rappeler un principe fondamental : la légitimité d’une institution ne se mesure ni à la technicité de ses membres – contrairement à ce que certains « proxys » politiques du pouvoir tentent de faire croire dans des tribunes qui ressemblent davantage à des lettres de motivation déguisées – ni à la nouveauté de son intitulé. Elle se mesure à sa capacité à garantir l’équité, la transparence et l’inclusivité du processus démocratique.
Pour l’heure, la DGE ressemble moins à une réponse aux limites de la CENI qu’à un instrument de centralisation discrète du pouvoir. Le véritable enjeu demeure : garantir une élection crédible, inclusive et à l’abri de toute manipulation
Taliby Diané
Adjoint à la communication UFDG France