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Dossier du 28 septembre : le procès peut toujours attendre

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[dropcap]U[/dropcap]ne année de plus vient de s’écouler depuis le drame du stade de Conakry. Une autre année sans justice pour les victimes, malgré les promesses d’un procès imminent par les autorités de notre pays.

Les lenteurs observées dans la gestion de ce dossier suscitent l’incompréhension et la suspicion, et l’on se demande aujourd’hui pourquoi celles-ci tiennent si peu à faire toute la lumière sur des massacres qui ont violemment marqué la mémoire collective des guinéens.

Ce jour aurait dû être célébré, comme celui de l’affirmation de notre liberté, de notre fierté et de notre dignité. Hélas ! Il aura fallu que des fils de notre pays décidassent d’en faire celui de la commémoration d’un pogrom.

Ce jour-là pourtant, il y a huit ans, le ciel ensoleillé ne semblait rappeler que notre fierté d’être les fils de ceux qui, un demi-siècle avant, avaient bravé le puissant colon qui nous écrasait depuis trop longtemps. Les chants, les danses et mêmes les slogans n’avaient rien des démonstrations de haine auxquels nous assistons aujourd’hui. Des dizaines de milliers de jeunes guinéens ont répondu à l’appel démocratique contre le carcan militaire.

Nul ne se doutait qu’un si joyeux défilé déboucherait sur une barbarie épouvantable : 156 morts au moins, plus d’une centaine de femmes violées, des dizaines de blessés et de disparus. Point n’est besoin de revenir sur les péripéties de l’enquête officielle et de celle conduite par les Nations-Unies. Huit années plus tard aucun coupable désigné, aucune justice pour les victimes ; et les familles tardent à faire leur deuil. Mais l’on se souvient… de l’horreur, des larmes, du sang.

Le traitement judiciaire de cette affaire par les autorités civiles guinéennes actuelles interpelle. Qu’on ne se voile plus la face, le dossier du 28 septembre 2009 est depuis l’avènement du très politique Alpha Condé au pouvoir, une arme redoutable. Après de longues années d’inertie, l’instruction a connu une accélération fulgurante entre la fin de l’année 2014 et l’élection présidentielle de 2015.

Si les médias ont surtout commenté l’inculpation de Moussa Dadis Camara, c’est surtout celle de plusieurs autres officiers de l’armée guinéenne qui a fait tache d’huile. Elle a garanti à ces derniers leur propre survie. En retour, Alpha Condé s’est assuré la loyauté à toute épreuve de l’armée sans laquelle il ne peut dormir peinard.

Ce procès traine aussi parce qu’il pourrait divulguer des vérités gênantes sur certains caciques du régime, ceux-là mêmes parmi les hommes de l’ombre qui tirent actuellement les ficelles de la polémique question d’un troisième mandat. Un rapport de l’ONU lève un coin de voile sur des civils haut placés qui ont activement participé à la communication de la junte et à la disparition de dizaines de corps. Ils ne sont pas les plus grands fans d’un procès, et ils ont l’avantage d’avoir les oreilles du Palais. Une collusion avec des opposants d’alors et même de maintenant n’est nullement à exclure dans un pays où la transhumance politique est un sport assez prisé.

L’Etat guinéen a si souvent broyé ses fils qu’il n’a pas tout simplement intérêt à tenir un procès d’envergure, qui aura un effet domino sur d’autres affaires depuis toujours cryogénisées. Il ne faut pas réveiller les morts n’est-ce pas ? Les promoteurs d’une telle conspiration espèrent sacrifier la vérité historique sur l’autel de l’impunité. Cette catégorie d’anciens ou actuels responsables du pays s’incrustent malheureusement dans toutes les couches sociales et politiques du pays.

Mais ce dossier est aussi une patate chaude dans les mains de Chef de l’Etat. Ce qui l’épouvante, c’est à coup sûr le caractère ethnique ou supposé tel de la tragédie du stade de Conakry. Ils ont si souvent été présentés comme un massacre contre l’ethnie peule que le Président ne peut qu’être frileux devant la tenue de ce procès. Pour le faire il aura besoin de l’engagement de son opposition politique, plus particulièrement de Cellou Dalein Diallo, à ne pas instrumentaliser ledit procès. Or quand ton sait l’amour fou qui lie les deux hommes, et surtout que ce dernier a bâti une partie de sa stratégie effectivement sur cet événement et la victimisation qui en découle, le Président a bien du souci à se faire. L’autre facette de cette question réside dans l’attitude d’une bonne partie des communautés de la Guinée forestière qui a perçu ces événements et le départ de Dadis Camara comme un rejet d’un des leurs par les autres.

Le maintien du volcanique capitaine en exil n’arrange pas les choses, bien au contraire. S’il garantit une quiétude apparente pour le régime qui redoute une déstabilisation causée par son retour et probablement son incarcération au bercail, il n’en demeure pas moins que sa communauté d’origine croit fortement en son innocence. Mais l’homme s’est grillé tout seul en annonçant une alliance politique et électorale avec le premier challenger d’Alpha en 2015.

Le dossier du 28 septembre reste avant tout politique, avant d’être judiciaire. La question du manque de moyen de la justice, le refus de la mise en forme du tribunal ad hoc devant juger l’affaire et la sécurité pour les magistrats de l’instruction obéit clairement à un agenda politique. Tout comme le retour de Dadis Camara, voire de Sékouba Konaté vise à bâillonner l’armée qui reste la dernière frayeur pour le régime.

La justice reste donc un épouvantail pour nos politiques. Car comme le dit le policier et écrivain français Olivier Norek (Surtensions, éd. Michel Lafon, 2016), ‘’La justice n’est qu’une demande de vengeance et la vengeance n’a jamais soulagé les âmes’’.

 Mohamed MARA, dans La Plume sur radio Espace

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