[dropcap]A[/dropcap]vouons quand même que cette affaire de Ebola commence véritablement à faire chier. Au sens propre d’ailleurs comme au figuré. À tout bout de champ, on n’entend que ce foutu nom qui est claironné. Il aura fallu qu’il pointe pour que toute la planète pointe un doigt accusateur sur ma Guinée.
Foutu et merdeux bled dont on ne sait causer que pour jurer au nom du malheur dont on s’est habitué. Aujourd’hui, ici, tout ce qu’on fait et qu’on défait est à Ebola relié. On va pas à la Mecque, c’est Ebola qui nous en a empêché. La Tabaski a épargné des moutons là où ils étaient attachés, c’est que d’Ebola ils sont infectés. La fête de l’indépendance est passée sans trompettes ni tambours tronqués, Ebola a brillé de sa sagacité. Les investisseurs ont boudé nos hôtels illuminés, c’est qu’Ebola leur a coupé l’herbe sous le pied. Bah oui, quoi, le mec s’est pointé tranquille sans aucune autorisation qui aurait pu lui être signifiée. Désormais, il ravit la vedette à tous les clasheurs de la Guinée. Il clashe à tous les vents rencontrés. Il s’installe et c’est à gorge déployée qu’on lui impute toutes les récoltes de nos champs mal ensemencés.
Le pays rate sa croissance prévisionnelle qu’on avait partout fanafaronnée, c’est qu’Ebola est venue foutre sa merde sur le champ abandonné. Le chien remue sa queue quand son maître est arrivé, c’est d’Ebola qu’il veut lui causer. Le chat ne grogne pas à la vue d’une souri qui traverse un salon salopé, c’est parce qu’il est entrain de fuir Ebola qu’il a repéré. Le Grimpeur cause mal français dans son discours anniversaire de ma Guinée, c’est pour cause d’Ebola que Molière se laisse blesser. Makaréna Kaké-teur se lâche sur Womey et sur sa population stigmatisée, eh Ebola arrête tes frais répétés. Les Grandes Gueules bavent sur un ministre dépecé, c’est qu’Ebola a corrompu leurs caboches écervelées. Oeil de lynx se fourre dans toutes les plumes de saletés, c’est que le carnassier chie du Ebola en pleine journée. Une prostituée aussi moche qu’un chimpanzé est à court d’une clientèle classe et fortunée, Ebola lui fait une concurrence déloyale et acharnée. Une épouse veut dormir tranquille sans se faire harceler par un mari nympho et constamment dressé, Ebola est forcément le prétexte de la fermeture de la source de volupté. Cette nuit, sa fillette pisse dans sa couche culotte qui s’est laissée déborder, Ebola encore et toujours Ebola qui a tout manigancé.
Demain, quand on sera incapable de déféquer après s’être pourtant goinfré, Ebola sera le bouc émissaire tout indiqué. Demain quand un nouveau marié sera incapable d’honorer une nuit de noces à satiété, Ebola lui servira de cet alibi toléré. Demain, quand Azoka parlera en zozotant, il arguera qu’Ebola lui a piqué ses dents la nuit passée. Demain, quand Thiâ’nguel parlera son français en frimant devant toute l’assemblée qui se fout pas mal desa logorrhée, il dira que c’est Ebola qui lui chapardé le peu de cerveau que Dieu lui avait confié.
Demain, eh oui demain, toutes les excuses seront bonnes pour prendre les Guinéens pour des cons chez qui la stupidité serait innée. Demain, toutes nos défaillances perpétrées, toute notre incompétence étalée, tout notre inexpérience constatée, chacune de nos incohérences redoutées, chacune de nos limites amèrement expérimentées, tous nos errements et toute notre incapacité à répondre aux attentes de nos concitoyens excédés, tout sera attribué à cette maladie qui nous est tombée du Gimpeur sans se faire inviter. Et puisqu’on la laissera pas se défendre pendant qu’elle n’arrête pas de nous endeuiller, elle portera de notre retard toute la responsabilité. Les cinquante ans qu’en cinq ans nous n’avons pas pu rattraper, c’est absolument sa responsabilité. Les assassinats ciblés qui attendent que justice soit consacrée, c’est sa responsabilité. Les élections qui ne viennent qu’au prix du sang versé, bien sûr c’est entièrement Ebola qui nous y a engagé.
Mais qu’Ebola se rappelle qu’on avait dit qu’il ne nous fait pas trembler. Nous, on n’a pas peur du tout de son élan de terroriste invétéré. Au contraire, sa venue est pour beaucoup d’entre nous du pain béni en pensant à nos comptes bancaires évidés. De même c’est trop doux ces voyages dans lesquels on dépense sans compter. Au nom de la maladie, on se remplit les poches et la panse sans sourciller. Au nom de l’épidémie qui sème la terreur et l’horreur dans la cité, on se fait sa petite place à ce soleil ombragé.
Cher Ebola, vous avez le droit de garder un silence imposé. Tous ces morts que nous sommes entrain de compter seront retenus contre vous et vos acolytes qu’on aura du plaisir à défoncer. Ce temps de payer ce qu’on a semé finira bien par arriver. Et je serais aux premières loges pour jubiler.
D’ici-là, Ebola nous est servi en excuses pour toutes les turpitudes de ce quinquennat mal entamé. Oui, aux aurores de ce mandat qui devrait enfin se terminer, on avait bien senti que tout irait en s’empirant sans que personne ne puisse rien arrêter. On a vu notre pays s’enfoncer tous les jours dans la pauvreté. On a vu nos populations les unes des autres s’éloigner. Au nom de nos ethnies, on a laissé le fossé se creuser. Dans ce fossé, Ebola s’est incrusté et s’est installé. Au lieu de faire en sorte qu’hors de nos mûrs il soit bouté, on s’en sert pour que nos ratages soient justifiés.
Seulement voilà, il faut se rappeler qu’en s’en servant comme excuse de notre incapacité, nous prierons pour qu’il prolonge sa durée, parce que notre incompétence et notre inexpérience avérées, c’est pas demain la veille qu’elles seront réglées. Une fois que j’ai dit cela, il ne me reste plus qu’à fermer ma gueule et je dégage!
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