La soixante deuxième Conférence de Chefs d’Etat et de Gouvernement de la Communauté Économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) se tiendra ce dimanche, 09 juillet 2023 dans la capitale de la Guinée Bissau – Bissau, voisin de la Guinée. Les transitions politiques, nées des coups d’Etat militaire au Mali, en Guinée et au Burkina Faso, les questions sécuritaires et l’élection du nouveau président en exercice de l’organisation seront à l’ordre du jour. Le sommet sera marqué également par la participation du gouvernement du tout nouveau président de la République Fédérale du Nigéria, Bola Tinubu.
Relativement à la situation de la Guinée, les discussions tourneront autour de l’évaluation du chronogramme de la transition arrêtée sur une période de 24 mois, portant sur 11 points majeurs. L’effectivité de ce chronogramme, issu d’un accord tripartite conclu entre le Gouvernement guinéen, les acteurs sociopolitiques et la CEDEAO sera examiné par la conférence. L’enjeu est crucial pour la Guinée.
C’est au regard de l’évolution positive ou négative du processus que l’organisation prendra des mesures appropriées (recommandations, des mesures coercitives non militaires – maintien de sanction à l’état initial, renforcement des mesures, la définition d’une action nouvelle ou tout simplement la suspension, voire, la levée des mesures imposées, si la situation l’exige).
Quelle posture doit adopter les autorités guinéennes pour convaincre la CEDEAO de l’avancée satisfaisante du processus ? A défaut, comment s’y prendre sans engager un rapport de force avec l’organisation afin de justifier le retard enregistré dans l’exécution de l’accord fixant les grandes étapes de la transition ?
A l’état actuel des choses, il est fondamental que le gouvernement engage le dialogue à deux niveaux. Au niveau régional, il doit raffermir ses rapports avec la CEDEAO. Sur le plan interne, il doit impérativement ouvrir un dialogue constructif avec toutes les parties prenantes du processus.
Maintenir le dialogue avec l’instance régionale
Le repli souverainiste ou nationaliste est contreproductif dans cette période transitoire. Il faut partir du postulat que la Guinée est dans une situation d’exception et de s’engager de bonne foi à restaurer l’ordre institutionnel normal dans une période plus ou moins raisonnable. Pour ce faire, les autorités doivent maintenir le dialogue avec la CEDEAO. Au sein de la communauté, les mécanismes de gestion des crises favorisent le dialogue pour la restauration de la situation normale. C’est pourquoi d’un côté, on nomme des médiateurs ou des envoyés spéciaux afin de faciliter le dialogue entre les acteurs au niveau interne et pour constituer un relais entre les autorités sur place et l’organisation de l’autre. Cette doctrine est fondée sur la gestion pacifique des crises. Les mesures sont souvent d’ordre symboliques. C’est l’attitude défiante du régime qui conduira à la mise en place d’un mécanisme de contrainte.
Il faut souligner que la CEDEAO n’est pas dans une logique de rapport de force. Sa position est évolutive au regard bien évidemment de l’évolution dans un sens ou dans un autre – évolution positive ou négative de la situation de l’Etat en crise en question. L’organisation n’est également pas insensible sur les difficultés que peuvent rencontrées le gouvernement transitoire dans l’exécution des termes d’un plan de sortie de crise.
C’est dans ce cadre que le médiateur nommé pour la circonstance, effectue des visites, des missions d’informations, procède à des rencontres et des entretiens avec les autorités, les acteurs sociopolitiques et les représentants diplomatiques auprès de la Guinée, particulièrement aux diplomates de la CEDEAO, pour s’enquérir de l’état d’avancement du processus. Reporter ou compromettre l’arrivée du médiateur de la CEDEAO en Guinée à la veille de cette conférence aux multiples enjeux est une erreur stratégique, qui réduira les marges de manœuvres des autorités pour faire prévaloir les points positifs réalisés jusque-là et de mettre sur la table les obstacles auxquelles elles sont confrontées dans la conduite de la transition.
Les autorités doivent convaincre par le dialogue la CEDEAO et les acteurs internes de la faisabilité ou non du Chronogramme. A contrario, sa bonne foi sera douteuse et renforcera les inquiétudes sur la volonté réelle ou supposée du glissement du délais imparti pour réaliser la transition.
Maintenir le dialogue avec l’organisation communautaire a plusieurs portées.
Le dialogue va permettre de pacifier la transition. Le dialogue est un levier pour sortir de l’isolement diplomatique. Le dialogue est également un moyen pour légitimer les actions du gouvernement vis-à-vis des acteurs internes et de la communauté internationale.
L’accompagnement de la CEDEAO pour la restauration de l’ordre constitutionnel est moins clivant pour la Guinée ; qu’un processus impliquant l’Union africaine, l’Union Européenne, les Nations Unies et les grandes puissances : Etats-Unis d’Amérique, la Chine, la Russie, la France. Conakry aura du mal à influencer un ensemble d’acteurs composés d’organisations régionales, multilatérales et des puissances étrangères. Il faut éviter que la transition guinéenne soit une lutte d’influence extérieure.
Cette approche pacificatrice doit aussi être mise en avant par les autorités dans ses relations avec les parties prenantes de la crise au niveau interne.
Renforcer la confiance, l’ouverture et l’inclusivité du processus de la transition
Pour une transition réussie, l’action des autorités doit être inclusive, constructive et ouverte. D’ailleurs, le point d’achoppement entre Conakry et Abuja est lié à la nature non consensuelle, à l’exclusion des acteurs majeurs de la scène politique guinéenne du processus. Cela a valu à la Guinée des mesures coercitives contraignantes. Cette situation avait été remédiée par le dialogue, amorcée il y a quelques mois par le gouvernement et les acteurs de la vie politique guinéenne sous la supervision du médiateur de la CEDEAO. L’instance régionale est garante de l’effectivité de cet accord censé mettre fin à la transition. Le gouvernement doit rester dans cette logique de dialogue.
L’inclusivité du processus est une source de légitimité aux initiatives entreprises au niveau interne et sur le plan régional et à l’échelle internationale. Il faudra mettre en place un cadre de dialogue large, sincère soutenu par tous les acteurs engagés dans la résolution de la crise. Une solution concertée va permettre enfin de mettre en place un environnement démocratique légitime et incontesté. Cette transition doit être l’occasion pour amorcer la construction d’une véritable démocratie, d’un Etat de droit fiable et viable. Après quoi, il sera question pour les générations futures de se pencher sur la réconciliation nationale, sur les questions de développement économique, de l’environnement, de la défense et de la sécurité, de la gestion des ressources, de l’éducation et de la santé.
Les enjeux géopolitiques sous-régionales, régionales et internationales liées aux questions de défense et de sécurité, de l’environnement, de l’immigration nous commandes de surpasser nos égos pour construire une Guinée démocratique, respectable et respectée. Ces questions de l’heure exigent une lecture lucide des reconfigurations politiques et géopolitiques dans la sous-région et la redéfinition de l’ordre mondial au moment où le repris identitaire, le nationalisme est de plus en plus exacerbé. Il est temps de faire ce pays comme par le passé, un acteur majeur des instances décisionnelles communautaires, régionales et internationales et non un sujet à débat pour les autres Etats (amis et rivaux), organisations internationales et organisations non gouvernementales entre autres.
Il ne faut pas perdre de vue que la Guinée est dans une période d’exception et les situations de cette nature ne peuvent être gérer sans l’implication de la communauté internationale, notamment par l’organisation la plus intéressée au regard de la proximité géographique et politique ou basée sur la subsidiarité. Il faut souligner qu’au sein de la CEDEAO, les transitions issues des changements anticonstitutionnels de gouvernement sont strictement encadrées. Toute initiative ignorant l’appui volontaire ou sous la contrainte de la diplomatie coercitive à la conduite d’une transition tend à isoler, à radicaliser et à exposer le pays concerné à des luttes de positionnement entre les grandes puissances aux conséquences incertaines. La gestion de la crise dans ce cas de figure échappera forcement au contrôle des autorités sur place.
Il faut souligner que la CEDEAO fait partie intégrante de la doctrine régionale et multilatérale de sécurité collective. Les décisions qu’elles adoptent sont en grande majorité soutenue et endossée par l’UA, l’UE, l’ONU et les grandes puissances. Elle bénéficie d’une légitimité qui ne souffre aucun doute vis-à-vis de ses partenaires. C’est également un acteur privilégié des grandes puissances, considérées individuellement, pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales.
Il est connu de tous qu’une transition unilatérale, non démocratique et non inclusive conduit toujours à une autre transition. Les transitions militaires de ces 15 dernières années dans la sous-région oust africain (Mali, Mauritanie, Burkina Faso, Guinée, Guinée Bissau, Côte-d’Ivoire) sont assez illustratives des conséquences non maitrisées d’une transition unilatérale. Ainsi, les autorités et l’ensemble des parties prenantes de la crise guinéenne doivent œuvrer pour des solutions inclusives, pour une transition apaisée, démocratique, constructive acceptée par tous au bénéfice de la paix et de la stabilité sociale.
Amadou Lamarane Bah
Diplômé en Relations internationales
Doctorant en Droit Public à la FSJP/UCADEmail : amadoulemaire@yahoo.fr