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Entretien avec l’histoirien Pr. Djibril Tamsir Niane

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On le confond souvent à son ouvrage ‘’Soundjata ou l’épopée du mandingue’’ paru chez Présence Africaine en 1960. Ce livre, qui reste du moins sa première publication est une œuvre qui est devenue si célèbre qu’elle a occulté toute sa production littéraire et historique. Ce roman renoue avec l’art des griots pour relater la vie et l’époque de l’illustre dynastie qui fonda l’empire du Mali au 13e siècle. Le Professeur Djibril Tamsir Niane est cet historien, qui dès le début s’est employé à faire l’histoire ancienne de l’Afrique à partir des récits que lui font les griots. Notre rédaction l’a récemment rencontré à son domicile. Entretien !

Vision Guinée: Vous êtes de la génération d’écrivains des années 1960 au moment où l’Afrique accédait à la souveraineté internationale, dites-nous comment êtes-vous arrivés à l’écriture ?

Prof. Djibril Tamsir Niane : C’est après une prise de conscience de notre africanité, que nous avons décidé de venir vers l’Afrique pour la découvrir.

Je dirai avant tout que ma passion, c’est l’histoire. Tout de même, la recherche a été fondamentale pour ma génération dans les années 1960 au moment où les pays africains accédaient à leur indépendance. Nous, qui avions été pétris par le français dès l’école primaire, la langue européenne, la culture européenne, voulions chercher à connaître notre Afrique.

Avant de vous lancer dans l’écriture, le sénégalais Cheikh Anta Diop, dit-on, vous a beaucoup inspiré…

J’ai rencontré Cheikh Anta Diop à Paris au Quartier Latin en 1956. Il était en ce moment-là entouré de beaucoup de disciples. Je me suis dit qu’en littérature si Cheikh a pu traduire Horace en Wolof, et même le principe d’Einstein, on a aussi des connaissances qu’on peut traduire dans les langues européennes. C’est Cheikh qui m’a branché sur la littérature traditionnelle et qui m’a encouragé à traduire du mandingue en français et du français en mandingue.

Je m’appuyais beaucoup sur les textes et les vestiges matériels, mais aussi sur les thèses de Cheikh Anta Diop, pour qui la réhabilitation de l’Afrique passait avant tout par la mise en évidence de l’origine noire de l’Egypte ancienne.

Avant de publier Nation Nègre et culture, Cheikh est allé aux origines de la civilisation égyptienne pour se rendre compte que cette civilisation est africaine, et noire fondamentalement. Il s’est surtout rendu compte qu’il y a eu une grande falsification de l’histoire par les européens, qui ont en partie mal traduit les textes des anciens pour faire des égyptiens plus blancs qu’ils n’étaient. C’est le côté le plus original de son œuvre. Faire de l’Egypte une terre africaine et ensuite faire de la civilisation égyptienne une civilisation noire à l’origine. Cela a marqué toutes ces générations qui ont été formées à l’école gréco-latine. En étudiant l’Egypte Cheikh Anto Diop a montré que les civilisations romaines et autres découlaient de la civilisation égyptienne qui a marqué tout le bassin méditerranéen. Cheikh Anta Diop vous a fortement encouragé à traduire du mandingue en français et du français en mandingue.

Que représentent nos langues pour vous ?

La langue pour moi n’est qu’une convention de symboles qui se trouvent exprimer dans différentes disciplines avec des formules qui ne sont pas comprises par tout le monde. D’où la possibilité de créer de nouveaux mots, le néologisme pour exprimer et concevoir. Cela est propre à toutes les langues : le Wolof, le Mandingue, le Pular (…). On peut créer des mots qui expriment la réalité. Toutes les langues ont un appareil intéressant pour se développer et exprimer tout phénomène. Ce point a été démontré en force avec les traductions faites par Cheikh Anta Diop. Il a eu le don d’attirer l’attention sur les valeurs de la civilisation noire et surtout le don de montrer que nos langues ont les mêmes capacités que les autres langues et que nous avions une histoire qui existe mais que nous ignorions. En remontant jusqu’en Egypte, il en est venu jusqu’aux grands empires avec la documentation contemporaine qui existait.

Moi je suis venu dans cette foulée. Si nous avons une histoire, celle-ci doit être étudiée dans nos langues, dites d’abord chez nous. Très tôt, je me suis dit que notre histoire n’était pas celle écrite dans des documents par les européens en balade à travers l’Afrique. Notre histoire, c’est avant tout ce qu’on raconte chez nous. Ce qui traduisait mon intérêt pour les traditions orales. C’est que J’ai voulu faire mon diplôme d’études supérieures en Afrique et sur un sujet africain venant écouter.

C’est l’origine de mon voyage d’études. Nous sommes allés sur le terrain pour voir ce qui existe. J’ai commencé par Kouroussa à Baro, mon village. De Baro à Fadama, Djelibakoro. J’ai été émerveillé de voir que des griots détiennent l’histoire. Il y avait des griots qui étaient spécialistes de l’histoire. Une véritable pédagogie sur la façon dont il fallait enseigner l’histoire. Cela a été une grande révélation pour moi. Celui qui a été à l’école du village et qui est allé à l’école jusqu’à l’université ne connait pas cela. C’était une découverte de l’Afrique par un africain formé à l’école d’histoire européenne. Une vraie révélation pour moi. Le choc avec la tradition orale et toute la gamme des connaissances qui se trouvent dans l’oralité m’aient apparu en ce moment puisqu’on n’a pas écrit, mais on a tout dit.

Et qu’avez-vous trouvé de particulier ?

De l’agriculture à la médecine, tout a été transmis oralement. Chaque catégorie de connaissance a ses méthodes. Si vous vous intéressez à la pharmacopée, il y a un langage, une connaissance particulière. Toutes ces sciences existent en Afrique et ont leur système de transmission.

Professeur, on vous confond souvent à votre œuvre Soundjata ou l’épopée du mandingue. Dans quel contexte avez-vous écrit ce livre ?

C’est vrai qu’on confond souvent mon image à cet ouvrage paru chez Présence Africaine en 1960. Ce livre, qui reste du moins ma première publication est une œuvre qui est devenu si célèbre qu’elle a occulté toute ma production littéraire et historique.

Quand j’ai écrit ‘’Soundjata ou l’épopée du mandingue’’ le livre a très vite marqué les esprits. Une très belle histoire qui remonte au 13ème siècle raconté par un griot. Le Boom pour la tradition orale a ainsi commencé.

Soundjata ou l’épopée du mandingue est venu à point, au moment où l’Afrique accédait à la souveraineté internationale après de longues décennies de colonisation, cherche à trouver son histoire et à se doter d’une personnalité propre en abandonnant les oripeaux et autres parties coloniales. Ce livre annonçait à l’Afrique et au monde que le continent noir a une histoire et des héros bâtisseurs d’empire en même temps. Jeunes et vieux élèves, tout le monde s’est retrouvé dans cette œuvre à l’expression authentique africaine. Dès sa parution, les africanistes, maîtres de l’opinion scientifique s’agissant de l’Afrique saluèrent l’œuvre. Je précise qu’à peine trois ans après sa parution, l’épopée a été traduite en anglais, le monde noir américain découvrit avec ravissement le Héros qui rétablit l’homme dans dignité et sa dimension historique. Plus tard, d’autres traductions suivirent en portugais, japonais, chinois, tchèque, allemand etc.

Pour écrire ce roman, je suis allé à la source de la tradition orale auprès du griot Mamadou Kouyaté pour retranscrire et rendre universel l’épopée de Mari Djata, l’homme aux deux noms, fils du Lion et du Buffle. Le griot raconte l’histoire de la naissance du futur roi du Manding, son enfance, son bannissement avec sa mère, ses frères et sœurs, ses pérégrinations dans les grandes cours royales de l’Afrique de l’Ouest du 13ème siècle et la reconquête de son royaume sous l’emprise du terrible Soumaoro, le roi sorcier de l’Empire Sosso.

Après la parution de l’épopée du mandingue, d’autres ont initié ce genre de recherche en Afrique Centrale. En Afrique de l’Ouest c’est cette bombe qu’est le livre ‘’Soundjata’’ qui nous a permis de nous rendre compte que le griot n’est pas seulement ce vulgaire musicien, mais derrière ce musicien se cache un historien, l’homme de culture qui connait la langue, les traditions, détenteur d’une partie importante du patrimoine africain.

Après Soundjata, vous avez d’autres livres, dont on parle presque peu.

Cela est sans doute dû au succès de mon premier roman, comme je le disais tant tôt a occulté toute ma production littéraire et historique. J’ai écrit le recueil de nouvelles Méry paru en 1975 ainsi que deux pièces historiques, Sikasso, ou la Dernière citadelle et Chaka. Mais aussi de nombreux manuels scolaires, des recueils Contes d’hier et d’aujourd’hui (1985) et Contes de Guinée (2006).

Vous avez entrepris des recherches dans plusieurs villes de la Guinée…

Oui de nombreuses recherches. En 1968, en tant que Doyen de la faculté des sciences sociales à l’institut polytechnique, nous avons entrepris des fouilles qui ont mis à jour la grande mosquée de Niani et des cases à fondations de pierres dans le quartier royal, tout en recueillant maints récit et informations auprès des griots.

D’autres recherches ont été entreprises au Fouta, notamment à Timbo la capitale et Fougoumba, la cité où l’on couronnait l’Almamy. De 1969 à 1972, nous nous sommes intéressés aux Baga. Ce qui nous a conduits à Boké et Boffa où j’y étais avec toute une classe d’étudiants . Nous y avons fait des enquêtes sur l’art Baga. Nous avons même établi le calque des peintures murales Baga avec l’aide des professeurs polonais.

Ces peintures avaient mêmes été présentées à Sékou Touré qui nous avait félicités ; les toiles ont été rangées et elles ont ainsi disparu. Hélas !

Hélas, vous exprimez un regret ?

Ce n’est pas un regret mais c’est juste un constat. On n’a pas mis en valeur les travaux des guinéens à l’époque. La Guinée a été un cas particulier. L’histoire récente de notre pays est mal connue et mal enseignée. En tant qu’historiens, nous écrivons nos livres mais nous ne pouvons pas l’imposer dans les programmes scolaires. C’est au système éducatif de prendre en compte nos écrits. On enseigne la révolution française, mais pas celle guinéenne et c’est dommage car la nouvelle génération ne connait pas vraiment notre révolution. Notre passé est encore une fois mal connu et mal enseigné. Il n’a pas été pleinement et entièrement assumé par les guinéens puisqu’il est très controversé. Lorsqu’un passé est assumé, les gens le regardent de la même manière.

Quel est l’auteur qui vous a de plus marqué dans votre vie ?

Je suis fasciné par différents auteurs. Je dirai que j’ai un amour particulier pour le poète français André Chénier.

Outre l’histoire, vous êtes un mordu du théâtre, dites-nous un peu plus…

Pour le théâtre j’ai été frappé par la pièce L’Avare de Molière que j’ai d’ailleurs traduite en 1960. A l’époque, on sortait à peine du système colonial, L’Avare était encore étudiée en classe de 4ème. J’ai pris les élèves de la 4ème et je leur ai lu L’Avare. Nous avons donc décidé de jouer cette pièce en Malinké. On n’en croyait pas. Ce fut un grand succès partout, surtout à Kankan. Les gens ne croyaient pas que ce n’était pas une pièce française. Chacun y retrouvait son voisin.

Si le professeur Djibril Tamsir Niane n’avait pas été historien, qu’aurait-il aimé être ?

(Rire)… je ne vois vraiment pas ce j’aurai été sans l’histoire. J’aime l’histoire, la littérature, la culture africaine, je me vois historien, homme de culture tout simplement.

Quel est le genre musical que vous aviez aimé quand vous étiez jeune ?

J’étais un fan de la musique africaine. A l’époque il y avait des chansons du temps de ma jeunesse. Des chants malinkés notamment. Des belles compositions de l’époque. A la belle saison en Haute-Guinée, des artistes faisaient des tournées, c’était le régal de tout le monde de voir de grands musiciens comme Moussa Kèmo, de grands danseurs Donkè Sidiki qui tournaient entre Bamako, Siguiri, Kankan, Kayes et autres. Il y avait une ambiance de culture, de tradition mandingue qui était très intense. Ce n’est pas un hasard qu’après l’indépendance qu’il y ait eu l’explosion de la musique africaine. Dans cette explosion, la musique mandingue a eu une place de choix.

Professeur, certains observateurs estiment que la culture est placée au second rang dans notre pays. Votre avis ?

La première république a donné une place très importance à l’expression musicale en créant des orchestres. Il y avait un soutien systématique de l’Etat pour la promotion de la culture. Ce soutien a disparu avec l’avènement de la deuxième république. Il n’y a pas eu la relève et une certaine dynamique a manqué pour soutenir la culture guinéenne. Le passage de l’Etat au système libéral ne s’est passé avec bonheur. La Guinée est très riche culturellement, mais si l’on ne la fait pas connaître ceux qui viendront après nous ne sauront rien.

Merci professeur de nous avoir reçus

C’est à moi de vous remercier pour ce que vous faites pour la culture.

Entretien realisé par Ciré BALDE

 

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