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Erection de Kassa en sous-préfecture: Chronique d’une cascade de violations du Code des Collectivités Locales

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[dropcap]L[/dropcap]’érection des îles de Kassa le 9 mai 2014, par un décret présidentiel, en une sous-préfecture a surpris plus d’un observateur. Dans cet article, les potentiels avantages administratifs et financiers de Kassa ne seront pas abordés. Il ne sera question que du volet purement juridique de ce décret. C’est-à-dire, nous allons essayer de répondre à la question de la légalité dudit décret. Le Président de la République avait-il le droit d’ériger Kassa en sous-préfecture, comme il vient de le faire?Ile de Kassa

Les articles 134 et 135 de la Constitution nous apportent un début de réponse à notre interrogation.

Article 134: « L’organisation territoriale de la République est constituée par les Circonscriptions Territoriales et les Collectivités Locales.

Les Circonscriptions Territoriales sont les Préfectures et les Sous-préfectures.

Les Collectivités Locales sont les Régions, les Communes Urbaines et les Communes Rurales. »

Article 135 : « La création des Circonscriptions Territoriales, leur réorganisation et leur fonctionnement relèvent du domaine réglementaire.

La création des Collectivités Locales et leur réorganisation relèvent du domaine de la loi ».

Ainsi le Président de la République dispose du pouvoir constitutionnel de la création de sous-préfectures et l’Assemblée Nationale celui de création et de réorganisation de Communes.

La question du rattachement de la sous-préfecture de Kassa à une préfecture est le moindre problème à gérer. Ce qui est extrêmement important de souligner ici est le fait qu’on n’assiste pas seulement à une création  d’une nouvelle sous-préfecture mais aussi et surtout à une modification des limites territoriales d’une collectivité locale, notamment de la Commune Urbaine de Kaloum. Car les territoires constituant la nouvelle « sous-préfecture » Kassa (îles de Kassa, Fotéba…) sont amputés de la commune de Kaloum. Il est ainsi aussi question d’une réorganisation d’une Collectivité Locale (Commune Urbaine de Kaloum). Conformément à l’article 135, alinéa 2 de la Constitution, donc du domaine de la Loi.

Que prévoit le Code des Collectivités Locales dans ce cas ?

Article 16 :«  Les collectivités locales sont créées, MODIFIEES, fusionnées, scindées ou supprimées par la loi. »

Article 20 :«  Les modifications de type ou de LIMITES TERRITORIALES des collectivités locales ainsi que le transfert de leurs chefs-lieux sont décidés par une loi, après enquête dans les collectivités intéressées sur le projet lui-même et sur ses conditions. »

Ainsi l’Assemblée Nationale est le seul organe habilité à statuer dans ce cas. Il est incompréhensible que le Législatif accepte l’empiètement de ses prérogatives par l’Exécutif. Aussi est-il nécessaire que les députés (de la Mouvance et de l’Opposition) fassent, au moins, recours à la Cour Suprême pour défendre leurs prérogatives. Cette décision est d’autant plus incompréhensible que le Président de la République dispose d’une majorité au sein de l’Assemblée Nationale. Si le Président de la République a, par exemple, le droit d’ériger une sous-préfecture en préfecture, il ne peut modifier les limites territoriales d’une collectivité locale pour en faire d’une partie une sous-préfecture !

Ainsi ce décret présidentiel érigeant Kassa en sous-préfecture est en contradiction avec l’Article 135, alinéa 2 de la Constitution et les articles 16 et 20 de la Loi portant Code des collectivités locales en République de Guinée, donc illégal!!!

Violations intempestives du Code des Collectivités Locales

Faut-il rappeler que l’Exécutif n’est pas à sa première violation du code des Collectivités Locales? En effet depuis 2011, nous assistons à une avalanche de violations systématiques dudit Code.

A titre illustratif, analysons un décret de dissolution de Conseils de Communes urbaines et rurales et la nomination de délégations spéciales les remplaçant!

Décret D/160/PRG/SGG/2011 portant dissolution des Conseils des Communes urbaines

–  Vu la Constitution,
– Vu le Code des Collectivités locales dans les dispositions des articles 100, 101 et 102,
– Vu les rapports d’audits,

Décrète :

– Article 1er : Les Conseils des Communes urbaines et rurales de Kankan, Kouroussa, Kérouané, Beyla, Macenta, Dalaba, Mali, Boffa, Fria, Coyah, Matoto, Tokounou, Siguirini, Maréla, Gbignamou, Balizia, Kakoni, Sangarédi, Sikhourou, Tanènè sont dissous pour mauvaise gestion administrative et financière.

– Article 2 : Le Ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation est chargé de mettre en place des Délégations spéciales conformément aux dispositions du Code des Collectivités locales.

– Article 3 : Le présent décret qui abroge toutes dispositions antérieures contraires, prend effet à compter de sa date de signature, sera enregistré et publié au Journal Officiel de la République.

Conakry, le 24 mai 2011

Scrutons maintenant les articles mentionnés dans ce décret !

Article 100 : «  Le Conseil d’une collectivité locale NE PEUT ETRE DISSOUS QU’EN VERTU de l’article 80 de la présente loi. »

Et que stipule l’Article 80 ? «  Le Conseil d’une collectivité locale dont le TIERS au moins DES MEMBRES ont été reconnus COUPABLES par le TRIBUNAL d’avoir commis des crimes ou délits peut être dissous par décret sur proposition du Ministre chargé des collectivités locales. ».

Question : Au moins le 1/3 des membres des collectivités locales de Kankan, Kouroussa, Kérouané, Beyla, Macenta, Dalaba, Mali, Boffa, Fria, Coyah, Matoto, Tokounou, Siguirini, Maréla, Gbignamou, Balizia, Kakoni, Sangarédi, Sikhourou, Tanènè a-t-il été reconnu coupable de crimes ou délits par un Tribunal ?

Bien sûr que non! Est-il nécessaire de rappeler que ce n’est pas à l’Exécutif de reconnaitre la culpabilité de quelqu’un mais plutôt au Judiciaire?

Aussi pourrait-on dire sans se tromper que ce Décret D/160/PRG/SGG/2011 du 24 Mai 2011 portant dissolution des Conseils des Communes urbaines et rurales est en collision flagrante avec les articles 100 et 80 qui sont présentés comme sa justification juridique, donc illegal!!!

Maintenant supposons qu’au moins 1/3 des membres de ces conseils communaux ont été reconnus coupables de crimes ou délits par un Tribunal (chose qui n’a jamais eu lieu!), quelle aurait dû être la procédure légale ? On serait tenté de croire que, si pour des raisons politiques inavouées les articles 100 et 80 du Code des Collectivités Locales ont été violés, le reste de la procédure serait conforme à la Loi, d’autant plus qu’elle ne serait qu’une formalité. N’est-ce pas?

Article 101 : « En cas de dissolution du Conseil d’une collectivité locale ou de démission de tous ses membres en exercice, ou en cas d’annulation devenue définitive de l’élection de tous ses membres, ou lorsque des élections communales ou communautaires ne peuvent être tenues par suite de troubles graves empêchant le fonctionnement une délégation spéciale remplit les fonctions du Conseil. ».

Cet article souligne que la délégation spéciale remplace le Conseil en cas de démission ou de dissolution.

L’Article 102 stipule: « La délégation spéciale est nommée par arrêté du Ministre chargé des collectivités locales, sur proposition du Préfet ou du Gouverneur de la Ville de Conakry, parmi les résidents de la localité sur proposition du Préfet dans un délai de HUIT JOURS à compter de la dissolution définitive du Conseil, de l’acceptation de la démission ou de la constatation de l’impossibilité de tenir les élections conformément aux dispositions de l’article 101 de la présente loi.La délégation spéciale ELIT SON PRESIDENT et, s’il y a lieu, son vice-président au cours de la première réunion. ».

Question : Le Ministre de l’Administration des Territoires et de la Décentralisation a-t-il respecté ce délai légal de 8 jours ? Pour rappel, le décret de dissolution des conseils des communes urbaines et rurales de Kankan, Kouroussa, Kérouané, Beyla, Macenta, Dalaba, Mali, Boffa, Fria, Coyah, Matoto, Tokounou, Siguirini, Maréla, Gbignamou, Balizia, Kakoni, Sangarédi, Sikhourou, Tanènè porte la date du 24 mai 2011. L’arrêté ministériel nommant les délégations spéciales de Kankan, Kouroussa, Kérouané, Beyla, Macenta, Dalaba, Mali, Boffa, Fria, Coyah, Matoto, Tokounou, Siguirini, Maréla, Gbignamou, Balizia, Kakoni, Sangarédi, Sikhourou, Tanènè est daté du… 26 juin 2011, soit plus d’un mois après ledit décret. Pourquoi?

Pourquoi s’arrêter en si bon chemin pendant qu’on y est? Les présidents et vice-présidents (quelque fois illégalement au nombre de 2 au lieu d’un) de la quasi-totalité des délégations spéciales ont été désignés par un arrêté ministériel, contrairement à l’article 102, alinéa 2 cité plus haut stipulant : « La délégation spéciale ELIT SON PRESIDENT et, s’il y a lieu, son vice-président au cours de la première réunion.». Pourquoi ?

Vous voulez encore une autre violation ?

L’Article 103: « Le nombre des membres qui composent la délégation spéciale est fixé à 7 dans les collectivités où la population ne dépasse pas 35 000 habitants.

Ce nombre peut être porté jusqu’à 11 dans les collectivités d’une population supérieure. ».

Question : Combien de membres comportent les différentes délégations spéciales ? Ici, le Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation, au lieu de considérer comme plafond le nombre 11 des membres des délégations spéciales, semble plutôt le considérer comme plancher. Des délégations spéciales de collectivités de moins de 35 000 habitants ont plus de 7 membres, notamment 11 membres (Fria, Dalaba etc…).

Certaines ont plus de 11 membres (limite autorisée par la loi). Ainsi, par exemple, Matoto en compte 25, Kankan 18 et Ratoma 15. Pourquoi ? Sur quelle base juridique ?

Encore une autre?

L’Article 104 : «  Les pouvoirs de la délégation spéciale sont limités aux actes de pure administration courante.

La délégation spéciale ne peut engager les finances de la collectivité au-delà des ressources disponibles de l’exercice courant, sauf lorsque son mandat débuté durant le cours d’un exercice se termine durant l’exercice suivant.

Lorsque le mandat d’une délégation spéciale s’étend sur plus d’un exercice budgétaire, elle est alors autorisée à engager les finances de la collectivité à raison d’un douzième (1/12) des prévisions budgétaires de l’exercice durant lequel elle a débuté son mandat, pour CHAQUE MOIS ou portion de mois durant lequel son mandat s’étend sur l’exercice suivant.

Elle ne peut NI PREPARER LE BUDGET de la collectivité, ni recevoir les comptes de l’ordonnateur ou du receveur, ni modifier le personnel de la collectivité, leur affectation, leur rémunération ou leurs conditions de travail. ».

Quelle délégation spéciale respecte-t-elle ces dispositions? Contrairement à l’énoncé de cet article et au caractère provisoire d’une délégation spéciale, la Commune de Ratoma, à titre d’ exemple, a adopté le 29 mars 2013 le budget de l’exercice 2013 à hauteur d’un milliard huit cent millions de francs guinéens avec un déficit prévisionnel de deux cent trente millions de francs guinéens. Et ainsi de suite…Combien de delegations spéciales ont-elles recruité et renvoyé certains employés? Etc…

Last but not least, la durée maximale (en principe) du mandat des délégations spéciales est fixée à 6 mois par l’Article 105 stipulant :«  Toutes les fois que le Conseil d’une collectivité locale a été dissous ou que, par application de l’article 103, une délégation spéciale a été nommée, il est procédé à l’élection d’un nouveau Conseil local dans les SIX (6) MOIS à dater de la dissolution ou de la dernière démission, à moins que l’on ne se trouve dans les trois (3) mois qui précèdent le renouvellement général des Conseils communaux ou communautaires, à moins que l’impossibilité de tenir des élections ne persiste à l’expiration de ce délai .

Les fonctions de la délégation spéciale expirent de plein droit dès que le Conseil local est reconstitué.».

Cela fait maintenant 4 ans qu’on attend ces… 6 mois!!!

Patissangana! Djôboti! Eh Wotan! Que de violations de la loi! Faut-il rappeler que le Président de la République « veille au respect de la Constitution, des engagements internationaux, des lois et des décisions de justice » (Article 45 de la Constitution)? On pourrait décliner cette analyse sur beaucoup d’autres domaines!

Il est impératif que les élections communales et communautaires se tiennent afin que les guinéens choisissent enfin leurs conseils locaux respectifs en lieu et place de ces illégales délégations spéciales. Par ailleurs la logique voulant remplacer pour une longue période des élus du peuple (même ceux dont le mandat a expiré) par des personnes nommées est incongrue et antidémocratique. L’article 2 de la Constitution ne stipule-t-il pas « La souveraineté nationale appartient au Peuple qui l’exerce par ses représentants ELUS »?

Face à ces transgressions répétées et méthodiques de nos différents textes par l’Exécutif et face au flagrant déni de justice, il ne reste plus à l’opposition et à la société civile que de porter tous les contentieux relevant aussi de la compétence de la Cour de la CEDEAO auprès de cette dernière. A moins qu’elles ne partagent la devise qui semble guider l’Exécutif: « Rules are for fools », c’est-à-dire « La Loi (les règles), c’est pour les idiots. »!

Baldé Mamadou Gando

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1 commentaire
  1. jean luc boeuf dgs dit

    |Je suis d’accord avec vos conclusions et j’attends avec impatience vos prochaines mises a jour.

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