[dropcap]A [/dropcap]deux reprises, l’opposition guinéenne a pu annuler son programme de manifestation pour faire face aux questions les plus urgentes et fâcheuses du moment.
Le drame de Rogbané et la menace de la maladie d’Ebola sont deux situations affligeantes, face auxquelles une démonstration de responsabilité ou d’intelligence est absolument nécessaire.
Nous le savons tous, la politique est le processus par lequel les communautés poursuivent leurs objectifs communs, et abordent leurs conflits dans le cadre d’une structure de règles, des procédures et des institutions.
En toute logique, lorsque ces communautés, dans leur marche commune, sont confrontées à des contretemps, telles les tragédies de Rogbané ou d’Ebola, il est tout à fait normal que des citoyens, ou des organisations politiques, indépendamment de leurs intérêts particuliers ou égoïstes, fassent preuve de retenue.
Les partis d’opposition, en réussissant à se focaliser sur les problèmes urgents touchant péniblement la société guinéenne, au détriment de leur programme de manifestation, ont démontré que manifester n’est pas une fin en soi.
Cet acte d’intelligence de la part des dirigeants politiques de l’opposition est à encourager. Car l’intelligence intervient quand on agit en parfaite harmonie, tant sur le plan intellectuel qu’émotionnel. Sentir et raisonner, deux composantes inhérentes de l’intelligence capables d’éloigner l’humanité des conflits inutiles.
Toutefois, on ne peut souhaiter que ce point de vue soit adopté par l’opposition seulement car, en ce moment-là, on n’ira nulle part dans les négociations pour l‘établissement et la consolidation de notre démocratie. Il conviendrait, aussi, que le pouvoir d’Alpha Condé y ajoute sa part d’actions concrètes susceptibles de réunir tous autour d’une table des négociations.
Nombre de guinéens en sont arrivés à croire que la Guinée est ce qu’elle est : ingouvernable. Que le respect de la légalité n’est pas un fort des guinéens. Que de Sékou Touré à Lansana Conté, la constitution a été toujours le privilège d’un groupe. Que seul Dieu choisira qui gouvernera. Que des actions de l’opposition sont des peines perdues. Que la Guinée est ainsi, et demeurera ainsi, politiquement insupportable jusqu’à la fin des temps. Pour toujours.
Cette manière de voir la réalité guinéenne procède à la fois de la paresse et de la superstition. La mauvaise gouvernance pendant le régime de Sékou Touré et celui de Lansana Conté, la responsabilité n’en incombe pas au destin mais aux hommes, aux passions du plus grand nombre et aux décisions de quelques-uns. Mais si les passions et les décisions sont capables de grands maux, elles peuvent aussi apporter de grands bienfaits. Il est donc absurde de laisser un sentiment d’impuissance étouffer en nous l’espérance.
Le réalisme de l’opposition guinéenne est une aubaine de paix et du progrès. Le pouvoir d’Alpha Condé saura-t-il s’en saisir pour relancer les négociations politiques, pour de bon, sans attendre la pression de la rue ? Attendons voir !
Naby Laye Camara
Bruxelles