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Fin de l’opération Barkhane : quid de l’avenir de la guerre contre les djihadistes au Sahel ?

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[dropcap]D[/dropcap]epuis 8 ans, la France est engagée militairement pour contrer l’avancée des groupes djihadistes armés dans des pays de la Bande sahélo-saharienne (BSS). Le 10 juin 2021, le président français Emmanuel Macron a annoncé la fin prochaine de l’opération Barkhane, force militaire française, de plus 5 100 hommes et femmes, déployée depuis 2014 au Sahel.

L’annonce du dirigeant français est intervenue deux mois après la mort du maréchal Idriss Déby, président du Tchad, pays qui héberge le principal poste de commandement de l’opération Barkhane.

« Le Tchad est un allié important pour la France. Et ce, depuis longtemps. La France est très présente militairement au Tchad depuis quasiment l’indépendance de ce pays. C’est l’endroit où le plus de soldats français sont tombés au combat », explique dans Triptyque Michel Goya, ancien colonel de l’armée de terre française, spécialiste de la guerre moderne, de l’innovation militaire et du comportement au combat.

Michel Goya, ancien colonel de l’armée de terre française, spécialiste de la guerre moderne, de l’innovation militaire et du comportement au combat

Si le Tchad est un allié important pour la France, ajoute-t-il, c’est aussi en raison de sa position géopolitique. Ce pays qu’a dirigé le maréchal Idriss Déby de 1990 jusqu’à sa mort dans des combats avec des rebelles, est aussi important, « parce que c’est l’un des pays africains capable de mener des opérations extérieures. C’est un pays important pour la France dans la lutte contre le djihadisme. Jusque-là, il avait une certaine stabilité. Et de manière très surprenante, tout cela est un peu remis en question ».

Ce spécialiste fait remarquer que « les troupes tchadiennes se sont fait virer deux fois de Centrafrique pour leur comportement. Le coté embarrant de l’alliance française ». Si la France a besoin du Tchad, il n’en demeure pas moins que cela impliquait aussi d’aider le régime de Déby face à des mouvements de rébellion internes auxquels il était confronté.

Dr. Niagalé Bagayoko, présidente de l’African Security Secteur Network (ASSN)

Pour Dr. Niagalé Bagayoko, présidente de l’African Security Secteur Network (ASSN), le rôle du Tchad dans la lutte contre les groupes issus de Boko Haram et l’Etat islamique, a un engagement majeur depuis plusieurs années. Sur le plan du Sahel Central, l’engagement du Tchad a été déterminant, notamment aux côtés des forces de l’Opération Serval en 2013.

L’analyste précise qu’il n’est pas rare d’entendre qu’Idriss Déby était un grand guerrier et chef militaire. « Mais on oublie souvent de dire que c’est un grand stratège qui, en réalité, a mené la politique de l’arlésienne pendant des années en faisant miroiter le déploiement de ce fameux 8e bataillon tchadien qu’on a attendu pendant très longtemps alors qu’Idriss Déby a lui-même tenu un discours extrêmement dur vis-à-vis de ses partenaires occidentaux en les rendant très clairement responsables de la déstabilisation du Sahel en raison de l’intervention en Libye ».

La politologue rappelle au passage que le 8e bataillon tchadien est arrivé en mars 2021 dans la région de Téra au Niger et s’est illustré non pas par ses performances opérationnelles, mais par le comportement de certains de ses soldats accusés d’avoir « violé des civils, notamment une petite fille de 11 ans, des femmes enceinte sous les yeux de leurs maris ».

Dr Bagayoko révèle que l’une des faiblesses du Tchad est le fait de disposer d’une armée de guerriers. « S’agit-il d’une armée de soldats capables de respecter des règles professionnelles sur le terrain ? », s’interroge-t-elle avant de déduire que le pays de Déby est un allié « très fragile » de la France.

Le général Dominique Trinquand, ancien chef de mission militaire de la délégation française auprès des Nations Unies

Le général Dominique Trinquand, ancien chef de mission militaire de la délégation française auprès des Nations Unies, de souligner que la mort d’Idriss Déby est l’une des conséquences de l’offensive venue de la Libye. Il mentionne que de son vivant, le président tchadien, lui-même, rendait la France responsable de la situation en affirmant que « l’offensive en Libye, finalement, personne ne l’a prévenue. Les mercenaires devant quitter la Libye, étant parfaitement armés, sont revenus au Tchad avec une menace importante ».

Et maintenant ?

Aux yeux du Dr. Niagalé Bagayoko, jusque-là, la France a utilisé l’instrument militaire comme principal outil au service d’un objectif politique. Ce qui l’amène à se demander « si la France n’est pas en train de sacrifier son soft-power et l’attractivité du modèle qu’elle incarne au profit d’un hard-power, donc la force militaire qu’elle utilise de manière pas connectée aux besoins de réformes politiques clamées dans toute la région ».

« On entend des opposants tchadiens dire qu’on leur répond face à l’installation du Conseil militaire de la transition qu’il s’agit de maintenir la stabilité de la région. Mais pense-t-on aux populations tchadiennes, au régime politique sous lequel elles ont vécu durant des années ? », se demande à nouveau la présidente de l’ASSN. Tout en insistant sur le fait que la France doit aussi se poser la question de savoir « si elle est capable de mettre en cohérence une approche en terme de realpolitik et une approche beaucoup plus normative laquelle consiste à promouvoir des valeurs. La France n’arrive pas à synthétiser les deux approches. On est dans un-entre-deux actuellement ».

Le général Dominique Trinquand rappelle que l’Opération Barkhane est l’aspect militaire de l’implication du G5 Sahel.

Barkhane est dans une phase de transition pour passer le relai aux pays africains et d’impliquer plus d’européens dans ses opérations. Le Tchad, sur l’influence africaine dans la zone du G5 Sahel, est un renfort qui ne peut qu’être temporaire. Le problème, selon le général Dominique Trinquand, est globalement la structuration de l’Etat malien et la capacité de cet Etat à reprendre son rôle régalien dans les zones où il est absent.

Dans cette phase de transition, le Général Trinquand pense qu’un renfort militaire du Tchad est nécessaire ne serait-ce que pour les six prochains mois. Il recommande toutefois fournir l’essentiel des efforts sur l’aspect régalien du Mali.

« Le rôle de la France, aujourd’hui, c’est d’impliquer les européens, insiste le général Dominique Trinquand. Le fait que de plus en plus de pays européens viennent, c’est une réussite en impliquant dans le domaine du développement d’autres pays européens. Il y a 5 ou 10 ans, il n’y avait pratiquement que la France sur le terrain. On est dans une phase de transition. Le Tchad n’est qu’un renfort temporaire. La clé, c’est le Mali ».

« Le Tchad, sa préoccupation majeure, c’est la situation interne », enchaine Michel Goya. Colonel à la retraite de l’armée de terre française, il trouve que le risque majeur aujourd’hui, « c’est une déstabilisation à l’interne ».

« Si cette transition politique se fait calmement, un processus se met en place, c’est bien, souligne-t-il. Mais il est possible d’avoir un basculement, comme par le passé, dans une situation chaotique. Cela causerait beaucoup de problèmes concrets pour la France, parce qu’on a des forces présentes sur place. L’état-major du Barkhane est à Ndjamena. Ça pose des questions de la France vis-à-vis de cette question et sur l’ensemble du G5 Sahel ».

L’Opération Barkhane vise à exercer une pression sur les différents groupes djihadistes le temps que, d’une part, les forces de sécurité locales tchadienne soient à même de d’assurer la mission elles-mêmes, d’autre part, qu’il y ait une meilleure gouvernance pour s’attaquer aux raisons qui poussent certains à prendre des armes contre le gouvernement, analyse le Colonel Goya.

« On n’a sans doute pas fait l’effort nécessaire pour exercer une pression suffisante, puisque la France était engagée dans plusieurs opération en même temps », admet-il, tout en rappelant que « cela fait 8 ans qu’on est engagés. Cela coûte 1 milliard d’euros, à peu près chaque année. 57 soldats sont tombés. On arrive à la limite de ce qu’on peut faire, parce que les progrès sont très lents ».

Ceci explique cela. Le retrait de l’Opération Barkhane est décidé par la France. C’est la fin d’une opération et non la fin de ses engagements dans la lutte contre le terrorisme international et le djihadisme. Ce retrait ne devrait pas être considéré comme la fin de tout espoir de soutien des grandes puissances occidentales dans la lutte contre les groupes djihadistes dans cette partie de l’Afrique.

Les pays de la région sont les premiers concernés. Ils devront repenser leur engagement dans la sécurisation de leurs territoires respectifs et de la région du Sahel, renforcer leurs capacités militaires pour pouvoir prétendre jouer un rôle de premier plan dans la sauvegarde de leur propre souveraineté. Ce qui signifie, être en mesure de prendre les devants pour débarrasser la région des groupes djihadistes.

Par Ciré Baldé

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