L’élection présidentielle ghanéenne du 7 décembre se déroule pour la première fois sans observateurs internationaux. Les Ghanéens comptent bien se prononcer en toute sérénité.
La campagne électorale aura, pour ainsi écrire, passionné les Ghanéens. Partout dans le pays, et notamment dans les transports publics, comme les tro-tros, ces minibus qui sillonnent le Ghana.
A la télévision, les spots de campagne ont défilé en boucle, faisant découvrir le visage des candidats. Si huit concurrents sont en lice, seuls deux sont véritablement dans la course. Et les pronostics sont très serrés entre Nana Akufo Addo, ancien ministre de la Justice puis des Affaires étrangères, qui défend les couleurs du NPP (Nouveau parti patriotique), et John Dramani Mahama du NDC (Congrès démocratique national), le président par interim, depuis la mort de John Atta Mills en juin 2012.
A côté, les autres candidats peinent à exister. Même Michael, président des Jeunes du CPP (Parti populaire de la Convention) l’avoue:
«Nous soutenons déjà Nana Akufo, car nous savons que notre candidat ne fera qu’un petit score.»
«Les élus locaux sont corrompus»
Rabiu, jeune chauffeur de taxi à Bolgatanga, dans le nord du pays, a affiché sur son volant un autocollant en faveur du candidat du PPP (Parti populaire progressiste). Mais, il confie qu’il votera pour Nana Akufo Addo: «J’aime les idées du PPP, mais je ne veux pas que mon vote se perde. Je voterai donc pour Akufo. En 2008, j’ai voté pour Atta Mills. Mais, cette fois, je ne redonnerai pas ma voix au NDC, déclare-t-il. Si je trouve que l’actuel président John Mahama est compétent, ce n’est pas le cas du reste du gouvernement et des élus locaux du NDC dans ma région, qui sont corrompus. Ils n’aident personne et ne nomment que des gens de leur famille. J’ai voulu postuler pour devenir pompier. Mais quand vous remettez votre CV, il faut donner de l’argent avec, sinon il part tout de suite à la poubelle», raconte-t-il avec amertume.
Alors que beaucoup de jeunes comme Rabiu ne trouvent pas d’emploi à la hauteur de leurs attentes, le discours de l’opposant Akufo à destination de la jeunesse séduit.
La gratuité du lycée divise
La principale promesse de campagne de Nana Akufo Addo, à savoir, la gratuité du lycée pour tous, dès l’année prochaine, a fait écho dans le pays. Le Ghana a érigé l’éducation comme l’une des valeurs essentielles de la démocratie depuis les vastes politiques publiques mises en place par son premier président Kwame Nkrumah, dans les années 60, pour démocratiser l’enseignement.
Néanmoins, seulement 14% de la population va jusqu’au bout de l’enseignement secondaire, selon des chiffres gouvernementaux, les frais de scolarité étant inabordables pour la plupart des familles.
«Pour qu’un pays arrive à se développer, il faut investir dans la jeunesse, affirme Malcolm, 64 ans, homme d’affaires de la capitale Accra. Au Ghana, on a beaucoup de pétrole et d’or, et Akufo a promis d’utiliser les recettes générées par ces richesses pour mettre en place la réforme du lycée.»
Le coût de cette mesure a été évalué à 590 millions d’euros pour les trois années à venir par le candidat. Les prévisions de croissance du pays sont d’environ 8 % en 2013.
Le scrutin du 7 décembre est le premier, depuis que le pays, déjà seconde puissance économique d’Afrique de l’Ouest, grâce à ses exportations d’or et de cacao, est entré dans le cercle des producteurs africains de pétrole, en 2010.
La population tarde à voir les bénéfices de cette manne, alors que la production atteint plus de 80.000 barils de brut par jour et devrait continuer d’augmenter. Michael, le président des jeunes du CPP, affirme:
«Au Ghana, on a tout: du manganèse, des diamants, de l’or, du pétrole, du cacao… On veut des hommes politiques qui savent nous faire bénéficier de toutes nos richesses. Le NDC en est incapable, tonne-t-il. Du coup, tous les prix ont augmenté depuis quatre ans pour les Ghanéens. Depuis les années 90, je payais 20 pesewas (8 centimes d’euros) au péage pour traverser un pont près de chez moi. En 2008, du jour au lendemain, le prix est passé à 1 cédi (40 centimes d’euros).»
Dans ce pays prisé par les investisseurs, le revenu moyen par habitant reste inférieur à 3 euros par jour.
«Les prix augmentent partout»
Certains refusent cependant ce discours, comme Aziz, commerçant en électronique à Tamale, la grande ville du nord du pays, qui balaye tous ces arguments:
«En 2008, j’ai voté pour Atta Mills et je voterai pour Mahama. On ne peut pas tout mettre sur le dos du gouvernement. Les prix ne baissent jamais, tout augmente partout dans le monde, s’exclame-t-il. Il est facile de promettre le lycée gratuit, mais le Ghana ne peut pas encore se le permettre. Commençons par des problèmes plus basiques. Ici à Tamale, le NDC a construit en trois ans un grand hôpital flambant neuf, que nous attendions depuis des années.»
Esther, réceptionniste de 20 ans, partage cet avis:
«Le NDC a construit de nombreuses écoles, dont le pays manquait, et permis aux écoliers de bénéficier d’uniformes, d’ordinateurs et de cahiers gratuits. Je pense que le parti à fait de bonnes choses et je voterai à nouveau pour John Mahama, car je suis persuadée qu’il fera encore mieux.»
Certains experts estiment, quant à eux, que les promesses des deux candidats sont démesurées par rapport au niveau actuel de la production de pétrole. D’après eux, le cacao restera la première source d’exploitation du pays.
Première élection sans observateurs internationaux
Un espoir commun transcende ces divergences. Fiers de la paix et de la stabilité qui règnent dans leur pays, et conscients de la longueur d’avance du Ghana par rapport à ses voisins en matière de démocratie, les Ghanéens souhaitent avant tout que l’élection se déroule paisiblement, sans fraude ni violence.
Dans la rue, à la télévision et à la radio, de nombreuses campagnes publicitaires, indépendantes ou à l’initiative des candidats, rappellent la nécessité d’une élection pacifique.
C’est d’ailleurs la première fois que la présidentielle ne sera pas surveillée par des observateurs internationaux. Cette preuve de la maturité démocratique du Ghana suscite autant d’espoirs que de craintes parmi la population:
«J’attends l’élection avec impatience, déclare Esther. On prie pour que l’élection soit pacifique, mais je pense personnellement qu’il n’y aura aucune forme de violence.»
Le 4 décembre, alors que débutait le vote anticipé pour l’armée, la police, le personnel de la Commission électorale et les autres institutions de maintien de l’ordre, Nana Akufo Addo a exprimé ses craintes que son adversaire du NDC ne s’accroche à son siège, en cas de défaite, comme l’ancien président de la Côte d’Ivoire voisine, Laurent Gbagbo.
Peu de Ghanéens, quel que soit leur camp, croient cependant à ce scénario, à l’image d’Aziz:
«Certes, tout peut arriver quand on approche de l’élection, admet-il. Mais, le Ghana est un pays paisible. Je n’ai pas peur et je ne suspecte personne de vouloir semer le trouble. Il faudra que le perdant accepte la défaite.»
Avec Slateafrique.com