J’avais écrit, il y a trois ans (le 12 janvier 2022), que cette transition aussi ne réussira[1] pas. Je ne suis pas un prédicateur. J’avais simplement analysé les actions du Comité National du Redressement Démocratique (CNRD) durant les trois premiers mois de sa prise de pouvoir pour conclure que les indicateurs de sa gouvernance pointaient vers le « statu quo ante ».
Le CNRD, au départ, s’est enrobé du masque et du vocabulaire réformateur pour identifier, partiellement, le problème de la Guinée indépendante : particulièrement, une justice inféodée au menu du jour. Pour le CNRD, la Justice sera la boussole. Hélas !
J’ai soutenu l’action de notre armée contre le coup d’État constitutionnel de mon frère et cousin Alpha Condé[2]. J’ai écrit aux institutions américaines (Sénat, chambre des députés et le sous-secrétaire d’état des Affaires Africaines) pour supporter la Guinée et le CNRD.
Voici une partie de l’extrait de ma lettre d’alors : « Face à la prise du pouvoir par l’armée en Guinée le 5 septembre 2021, la communauté Internationale est rapidement revenue à ses procédures opérationnelles habituelles en cas de coup d’État militaire : condamner la prise du pouvoir par les armes.
Sans vouloir digresser, il faut savoir qu’actuellement, sept présidents Africains ont cumulé 227 années de règne sur leur pays sans aucune demande de la part des organisations internationales à ces dirigeants de faire des élections inclusives et justes.
En Guinée, Alpha Condé a organisé un référendum constitutionnel controversé et des élections problématiques durant la pandémie pour obtenir un troisième mandat. La décision d’Alpha Condé a été un affront à l’opinion publique Guinéenne, (selon un sondage d’Afrobarometer.org, plus de 8 Guinéens sur 10 étaient favorables à une limitation à deux mandats présidentiels).»

Comme lors de la précédente transition en 2008, les États-Unis doivent exprimer leur soutien au gouvernement dirigé par Mohamed Béavogui, car il représente une amélioration par rapport à la situation de crise qui prévalait lorsque Alpha Condé a forcé la situation pour rester au pouvoir après l’expiration de ses deux mandats. Nous devons soutenir et exiger du colonel Doumbouya qu’il respecte ses engagements déclarés de mettre en œuvre un calendrier électoral et de s’abstenir de se présenter comme candidat. En effet, la plupart des Guinéens et observateurs internationaux ont salué le gouvernement de transition et le projet d’organiser des élections libres et équitables.
Aujourd’hui, je dois partager ma compréhension et mon appréhension de la situation actuelle. Je ne suis ni politicien, ni opposant, je suis patriote. Sur ce point, je voudrais d’abord remercier et saluer l’analyse rigoureuse de notre sœur et concitoyenne Adama Doukouré[3], qui contribue substantiellement à l’analyse de la situation de notre pays.
Notre pays continue à s’embourber dans la « Mamaya » au détriment du bien-être de nos concitoyens/nes. Nous répétons toujours les erreurs du passé. Même notre vote du 28 Septembre 1958 était le résultat d’une mauvaise lecture de la part de notre élite sur la situation que confrontait les colonies Françaises.
Cependant, la majorité des politiciens d’alors avaient mis de côté leurs intérêts personnels pour l’intérêt supérieur de la nation. L’histoire de la Guinée démontre que ce patriotisme a été noyé dans le fleuve de l’identification sectaire et particulièrement familiale. Nous aurions pu rectifier le tir après l’effondrement spectaculaire du premier régime en 1984.
Malheureusement, l’équipe qui a suivi a été vite coopté par une élite fanatique et appauvrie.
Comme l’a si bien écrit Monsieur Mamadou Diallo[4] : En Guinée, « Il résulte que le groupe de ceux qui dirigent la société, au premier rang desquels se trouvent les cadres politico-administratifs, constituent une élite non parce qu’ils ont une conscience d’élite, -c’est-à-dire une conscience dotée du sens du bien public et la volonté de le servir-mais parce qu’ils occupent des postes d’élites (ministres, secrétaires généraux, gouverneurs, préfets, directeurs nationaux, etc). Mais le fait d’occuper ses postes-même de façon durable-ne provoque nullement une conversion de leur conscience ordinaire en conscience d’élite. »
Voilà où nous sommes à présent, après 66 ans d’indépendance. Maintenant que faire ? A mon avis, nous avons deux options :
- Organiser un Dialogue inclusif :
a. Organiser un dialogue national impliquant toutes les parties prenantes, y compris les forces politiques, la société civile, les leaders religieux et les représentants de la jeunesse et des femmes. Ce dialogue devrait viser à établir un consensus sur une feuille de route à courte durée pour un retour à l’ordre constitutionnel.
b. Établir un calendrier électoral réaliste et transparent, en fixant des étapes précises pour la tenue d’élections libres et crédibles. Ce calendrier devrait être respecté par toutes les parties pour restaurer la confiance.
c. Mettre sur pied un gouvernement d’union nationale.
- Ignorer la réalité du pays
Procéder à un forcing ou hold-up électoral. Dans ce cas, il serait mieux de ne pas organiser des élections pareilles à celles que faisaient les gouvernements précédents. Il vaut mieux épargner le pays et nos concitoyens de cette Mamaya. Le CNT devra prendre le devant pour élire le futur président en session plénière (pas de bulletin secret).
Notre pays économisera ainsi quelques ressources qui pourraient être mises à profit, peut-être, pour acheter des bancs d’école pour nos enfants qui sont assis à terre dans leurs classes à Siguiri.
Pendant que nous y sommes, un conseil à nos futurs dirigeants, le sous-sol ne pourra jamais nourrir le sol. La Guinée ne se transformera que quand nous mettrons en valeur le travail de la majorité des Guinéen/nes : l’agriculture, la pêche et l’Élevage[5] qui emploi 65 à 70 percent de notre force ouvrière.
Pour une Guinée unie et prospère. Prêt à servir pas se servir.
Dr Abdoulaye Bah
Professeur d’Université aux États Unis, Ret.
Ancien chef de Chaire du Département des Sciences Sociales et Comportementales
Directeur, Centre pour la santé Comportementale et la Résilience
Université de Lincoln
Jefferson City, Missouri USA
Columbia, MO USA
[1] https://www.visionguinee.info/ad-hominem-la-transition-ne-reussira-pas/
[2] Alpha Condé est effectivement mon parent.
[3] https://www.visionguinee.info/le-cri-silencieux-dun-peuple-en-detresse-la-guinee-riche-sous-la-terre-pauvre-a-la-surface-par-adama-doukoure/
[4] La Guinée face à l’affrontement Est-Ouest, 2025.
[5] https://openknowledge.worldbank.org/server/api/core/bitstreams/3cbc1ec4-8400-5971-8b0b-6ada9679cec5/content