La junte vient de franchir un nouveau cap dans la multiplication des structures administratives. Par une série de décrets, le chef de la junte a morcelé plusieurs ministères en entités distinctes, portant leur nombre à plus de 30. Une inflation ministérielle qui interroge, inquiète, et surtout… coûte cher aux finances publiques.
Une fois de plus, le chef de la junte, foule aux pieds l’une de ses promesses phares : « Nous devons nous concentrer sur l’essentiel : nos besoins, afin de mieux profiter de nos richesses au lieu de les dilapider. Nous devons instaurer la culture de la probité, quelle que soit l’austérité qui en découlera. »
Or, les décrets récents, loin de traduire une volonté d’austérité ou de réforme, s’inscrivent dans une logique de quadrillage du pouvoir. À s’y méprendre, cette inflation ministérielle préfigure l’instauration d’une chambre basse (Sénat) prévue dans la constitution, dont l’objectif réel semble être l’achat de loyautés et la consolidation d’un appareil d’État au service d’un régime, non d’une République.
Une dérive budgétaire en contradiction flagrante avec les priorités nationales
Comme un télescopage médiatique voire politique, la publication par l’antenne locale de la Banque mondiale de la 2ᵉ édition de son rapport sur la situation économique de la Guinée coïncide étrangement avec l’annonce, par décret présidentiel, de l’augmentation du nombre de ministères — passés de 29 à 34.
Ce croisement de temporalités en dit long sur le message implicite que l’institution de Bretton Woods semble vouloir faire passer : alors qu’elle appelle à une rationalisation des dépenses publiques et à une meilleure mobilisation des ressources intérieures, le gouvernement guinéen choisit d’élargir son architecture ministérielle. Cette hypertrophie administrative illustre une fuite en avant bureaucratique, dont les conséquences budgétaires risquent d’aggraver les déséquilibres déjà pointés dans le rapport.
En effet, chaque ministère supplémentaire implique :
- Un cabinet ministériel pléthorique à financer (ministre, conseillers, secrétaires généraux, etc.)
- Des locaux, véhicules, équipements, et frais de fonctionnement
- Des lignes budgétaires spécifiques dans la loi de finances
Autant de charges qui viennent alourdir une loi de finances déjà sous tension.
Le budget 2025, adopté par le CNT, dépasse les 43 000 milliards de GNF. Or, plus de 64 % de ce montant est absorbé par les dépenses de fonctionnement, au détriment des investissements productifs. Cette hypertrophie de l’appareil étatique ne fait qu’aggraver une situation budgétaire déjà critique, avec un déficit prévu à 3,13 % du PIB — au-dessus du seuil de soutenabilité recommandé par la CEDEAO.
Le plus paradoxal ? Le ministère du Budget dans un rapport publié en 2024, lui-même tirait la sonnette d’alarme. Il appelait à une réduction drastique du train de vie de l’État, à une meilleure discipline budgétaire, et à une réorientation des ressources vers les secteurs prioritaires. Pourtant, cette réforme va à rebours de ces recommandations. Elle dilue les ressources, complexifie la gouvernance, et les engagements pris par le pouvoir dans le cadre du passage au budget-programme prévu pour 2026.
En clair, au lieu de resserrer les rangs pour faire face aux défis économiques, l’État guinéen choisit d’élargir son organigramme au prix d’une efficacité amoindrie et d’un gaspillage institutionnalisé.
Une réforme qui ressemble davantage à une manœuvre politique qu’à une réponse responsable aux urgences budgétaires du pays.
Une manœuvre politique déguisée en réforme
Derrière le vernis d’une prétendue réforme administrative se cache une opération de verrouillage politique à peine dissimulée. La multiplication des ministères en Guinée n’a rien d’une nécessité institutionnelle : c’est une stratégie de quadrillage du pouvoir, une mécanique bien huilée de distribution de postes pour acheter des loyautés et neutraliser les contre-pouvoirs.
Dans un régime de transition où la légitimité démocratique est suspendue, cette inflation ministérielle prend des allures de précampagne déguisée. Chaque portefeuille devient un outil de clientélisme, chaque nomination un gage de fidélité. Le gouvernement se gonfle artificiellement, non pour mieux servir le peuple, mais pour mieux contrôler l’appareil d’État à l’approche des échéances électorales et référendaires.
Ce n’est pas une réforme, c’est une manœuvre de captation du pouvoir. Une tentative de verrouiller le jeu politique en saturant l’administration de relais fidèles, en diluant les responsabilités, et en détournant les ressources publiques au profit d’un agenda électoral opaque. Le tout, sous couvert de légalité.
Cette dérive n’est pas seulement coûteuse pour les finances publiques : elle est toxique pour la démocratie. Elle transforme l’État en machine électorale, et l’administration en bras armé d’un pouvoir obsédé par sa propre survie.
Un gouvernement qui s’étend, une République qui se rétrécit
Avec ce décret, la Guinée s’engage dans une voie périlleuse où l’expansion incontrôlée de l’appareil gouvernemental semble répondre moins à un besoin d’efficacité qu’à une logique de contrôle politique. La prolifération des ministères, sous couvert de réforme, alourdit les charges publiques, fragilise la gouvernance et détourne l’administration de sa mission première : servir l’intérêt général.
À l’approche des échéances électorales et référendaires, cette stratégie ressemble de plus en plus à une manœuvre de verrouillage du pouvoir. Cette réforme compromet non seulement la stabilité budgétaire du pays, mais aussi la crédibilité du processus démocratique si tant est qu’il en subsiste encore une à concéder à ce régime.
Taliby Diané
Adjoint à la communication UFDG France