[dropcap]A[/dropcap]braham, je sais que tu aurais souhaité partir tout doucement sans bruit comme tu as vécu. Tu n’aurais pas aimé que l’on t’encense. Mais tu appartiens à cette race d’hommes en voie d’extinction. Ces hommes qui ont toujours mis l’intérêt général au-dessus des intérêts particuliers et égoïstes.
Tu es de ces hommes qui souffrent de l’irresponsabilité des cadres véreux et corrompus, de l’insouciance de l’ élite du pays qui a choisi de maintenir la population dans l’ignorance totale, la dépravation et l’obscurantisme.
Peu de gens savent que lorsque tu étais ambassadeur de Guinée au Canada, tu as négocié et obtenu un bateau de matériaux de construction destinés à la réalisation du Palais des Nations. Tu as convoyé la cargaison à bon port sans prendre un seul fer à béton alors que tu construisais ta maison. Ce geste, considéré à l’époque comme patriotique est qualifié aujourd’hui de malédiction.
Il est impossible de parler d’Abraham Doukouré sans parler de ses bienfaits, de son intelligence, de sa sagesse, de son sens de l’humour, de son sourire chaleureux. On ne peut pas parler de toi sans penser aux merveilleux moments de bonheur vécus à tes cotés à écouter les nombreuses histoires intéressantes dont toi seul avais le secret. Je n’arrive pas encore à réaliser que nous ne pourrons plus profiter de tes anecdotes. Je ne danserai plus avec toi. Toi mon cavalier de toujours. Toi qui m’as appris à danser la salsa.
Nous n’écouterons plus ta guitare que tu jouais avec une telle dextérité. Dans les années 65-68, tu as joué avec l’orchestre de Mamou. Kadé Seck et moi étions les cantatrices. A l’époque, nous consacrions nos vacances à la troupe théâtrale de Mamou. C’était au temps où chacun donnait le meilleur de lui-même pour participer à sa manière a la consécration de sa Région au cours du Festival des Arts et de la Culture organisé sur le plan national. Qu’il est bien loin de nous ce bon vieux temps !
Tu as toujours vécu en harmonie avec toi même et avec ceux qui t’entouraient. Tu étais tout simplement un homme auprès de qui il faisait bon vivre. Tu savais garder ton calme quelle que soit la situation. Je me souviendrai toujours du jour où ta nomination au poste de Secrétaire Exécutif de la CEDEAO à Abuja au Nigeria a été compromise par une cabale organisée par des cadres Guinéens et des intrigues de Palais. Pendant que je perdais mon contrôle, toi tu es resté de marbre et, comme “le Roseau qui plie, mais ne rompt pas” après le passage de la tempête, tu as relevé la tête et continué à servir le pays avec toute la dignité qui te caractérise. C’est toi qui avais raison !
Abraham, notre peine est immense. Ton départ a été un choc pour nous. Mais nous avons déjà trouvé la force de tenir car notre famille est soudée. La flamme qui émanait de toi et qui t’a survécu saura éclairer notre chemin. La mort n’est pas une malédiction; c’est une fatalité. Elle frappe qui elle veut, ou elle veut et quand elle veut. Nous qui t’avons survécu devrions t’envier d’avoir quitté ce monde de violence, de méchanceté, d’ingratitude, d’hypocrisie et de délation. Nous te rejoindrons bien un jour quand le moment viendra pour nous de partir.
En attendant, soit cet ange qui va intercéder pour nous auprès de Dieu,et notre interprète auprès de papa pour lui dire que les Douketons se sont multipliés et que les Douketontons ont fait des Douketons qui s’appellent Saidou, Abraham et Thierno Mouctar Azariel ; que d’autres ne tarderont pas à venir.
Dis-lui que la voie qu’ils nous ont tracée au nom de la liberté pour nous mener à l’indépendance a été détournée de sa trajectoire. L’intelligentsia est mise en déroute et remplacée par l’ignorance et la médiocrité. Le navire tangue et vogue à vau-l’eau entraînant des passagers incrédules, hébétés dans une misère indescriptible, marquée par l’indifférence, la lâcheté et l’individualisme si bien qu’on se demande pourquoi tous ces morts qui ont émaillé les différents régimes que nous avons connus ? A quoi ont servi tous les sacrifices consentis par le peuple de Guinée si c’est pour revenir a la case départ !
Abraham, si dans la vie tu étais un modèle à suivre, dans la mort tu deviens un exemple de vie à vivre, celle que tes amis ont célébrée et honorée avec émotion au Palais du Peuple.
Repose-toi Big Brother du repos du guerrier. Tu resteras dans nos pensées et dans nos cœurs comme le champion qui s’est toujours battu pour nous.
Adama Doukouré