[dropcap]J[/dropcap]e viens de lire la réponse des membres de l’UFDG à la récente lettre que j’ai adressée à M. Cellou Dalein Diallo. Ma réaction est plutôt liée aux commentaires outrageants de la réponse à cette lettre qu’à celle qui y répond, dans sa profondeur. Puisque je ne me prêterai pas à un jeu de ping-pong littéraire, ou à un procès sur des questions liées à l’intérêt supérieur du peuple dont je suis issu et pour lequel je me bats depuis des lustres.

Je resterai fidèle à mes valeurs cardinales. Et cela, en dépit de tous les obstacles que je pourrai rencontrer sur ce chemin tortueux qui abîme et fragilise notre société. Autant j’ai un droit de jugement et de regard sur le pouvoir en place, autant j’en aurai sur ses opposants. La seule partie où je vais vous éclairer dans votre réponse, concerne évidemment mon morceau « PARDONNEZ ! » que vous me demandez de réécouter.

Vous faites tout simplement allusion à ce morceau, parce que vous le placez dans un contexte politique qui vous arrange aujourd’hui. Et rien ne fait plus mal à un auteur, que quand ses idées et ses vérités sont placées dans un contexte différent de celui dans lequel elles sont censées être. Le contexte politique dans lequel j’ai composé cette chanson est diamétralement opposé à celui d’aujourd’hui.

Par contre, j’ai compris, en défilant les commentaires de votre réponse, cette grande passion politique qui anime certains, qui les pousse à outrager et à inventer des choses pour salir mon combat qu’ils qualifient pourtant chaque fois de démocratique quand je m’attaque ouvertement au président Alpha Condé. Et c’est pour cette raison que je vais décrypter mon parcours de combattant, pour aider ceux qui ne le connaissent pas, à mieux l’appréhender.

De 2005 à 2009, j’ai inlassablement dénoncé le régime de feu le général Lansana Conté jusqu’à sa chute. Et la radio Nostalgie Guinée avait été la seule qui osait passer mes titres (Koudey et N’barawofindi m’ma sedera). Ainsi donc, en 2007, précisément le 22 janvier, j’étais à la tête de plus de 20 mille jeunes de Sangoyah pour Kaloum. Et ce jour, j’avais formellement empêché les jeunes d’incendier le commissariat de Matoto, parce qu’ils étaient déterminés à récupérer leurs copains détenus par les policiers. Ceux qui étaient dans ce groupe avec moi, pourront le témoigner, parce que j’ai failli y laisser ma peau quand tout le monde m’avait abandonné tout seul au rond-point de Matoto, fuyant les balles aveugles des militaires qui tiraient dans tous les sens.

J’ai combattu le CNDD pendant que celui qui était à sa tête était de ma région. Donc, un forestier comme moi. J’ai critiqué, dénoncé et même organisé un concert le 27 septembre 2009 au rond-point de Hamdallaye, et à la plage de Rogbane pour amener les jeunes à dire NON au CNDD. Le colonel Tiégboro est un témoin oculaire. Parce que ce jour, la gendarmerie a failli m’arrêter pour une destination inconnue. Comme toujours, l’exil a été mon seul salut. Et aucun guinéen n’ignore cela.

Je ne suis rentré en Guinée que lors des élections de 2010 pour fêter la victoire de tout le peuple. Le président Alpha Condé est élu à l’issue d’une élection dont Dieu seul connait les tenants et les aboutissants. Alors je m’en vais aux Etats-Unis pour des concerts. De là, je commence à dénoncer la mal gouvernance et les abus du pouvoir. A mon retour, je m’attaque farouchement et violemment au régime Condé, notamment dans les médias, sur les réseaux sociaux et partout jusqu’à maintenant. Cela m’a valu l’interpellation à la justice, avec tous les risques que celle-ci comportait. Tout ça pour ce peuple.

Mais à aucun moment, je dis bien aucun, les militants du RPG ne se sont attaqués à moi, ni physiquement, ni moralement. Je partais acheter les pièces de ma voiture à la Casse. Et voici ce que les jeunes me disaient: « Mais grand, pourquoi tu n’aimes pas notre président ? » Je leur disais qu’avec moi, tout président guinéen, qui ne propose pas de solutions concrètes pour une sortie de crise collective des guinéens, se retrouverait dans mon viseur. Et paradoxalement, ces jeunes me disaient : « Grand, tu as raison ! Tu t’es toujours battu pour le bas peuple ».

Aujourd’hui, je me suis permis, dans la même optique citoyenne, d’adresser une lettre à M. Cellou Dalein Diallo, pour lui faire part de mes inquiétudes vis-à-vis de sa politique – parce qu’il est éligible comme tous les autres opposants -, on insulte la démocratie et la liberté d’expression en m’insultant. Si je ne peux pas critiquer la politique de Dalein pendant qu’il est opposant comme je le fais avec tous les autres, c’est que je vais changer de nationalité quand il sera président. Que cela soit clair pour tous ! Ma mère est malinké. Ma femme est peule. La mère à ma première fille est soussou. Et moi, je suis forestier. J’ai toute la Guinée en moi. Et c’est une des raisons pour la quelle je ne combattrai jamais une ethnie, en faisant de la propagande politique pour une autre.

Et quand j’entends dire : « Elie Kamano fait de la politique », ça me fait pitié. Parce qu’il n’y a pas plus politicien que celui qui défend mordicus le mensonge politique. Moi, je suis la voix du peuple, et le jour où on pourra séparer le nouveau né du lait maternel, c’est qu’on pourra dissocier mon combat de la politique. Car, tu ne peux parler au nom d’un peuple sans toucher ceux qui ont sa destinée en main. Merci.

Elie Kamano, artiste, auteur, compositeur