Conakry a été de nouveau secoué fin février début mars 2013 pendant plus d’une semaine par une vague de violences politiques. 9 personnes dont un policier ont péri dans les heurts entre les forces de l’ordre et les manifestants. Des commerces ont été mis à sac par des pillards qui se sont mêlés aux manifestants. Le principal groupement des commerçants de Guinée a estimé à près de 9 millions d’euros les préjudices subis et ont réclamé des réparations à l’Etat.
Les rues de la capitale guinéenne, se sont embrasées à la suite de l’appel à manifester lancé par les principales forces de l’opposition pour ‘’exiger des élections propres’’ et rejeter la date des législatives que la Commission électorales nationale indépendante, (CENI) venait de fixer au 12 mai.
En l’absence « de dialogue avec le pouvoir et les forces de la majorité présidentielle », selon l’opposition, cette dernière a une fois de plus choisi la rue pour faire entendre sa voix. Malgré les dérapages qui ont émaillé ses précédents rassemblements des 17 mars et 27 septembre 2012.
Le droit de manifester garanti par la constitution est aujourd’hui respecté par les autorités en place pour peu qu’une demande dans ce sens leur soit soumise. Mais, elles ont aussi l’obligation de garantir la sécurité des biens et des personnes. La démocratie n’est pas un menu de principes où l’on peut en choisir en ignorant les autres. Une telle conception des libertés publiques peut rapidement conduire au chaos voire pire, à l’autoritarisme qui a jalonné l’histoire politique guinéenne pendant plus de 50 ans.
Les manifestations se succèdent et se ressemblent mais le processus des législatives reste à ce jour au point mort. Par conséquent, on ne peut que se réjouir du dialogue politique qui a été amorcé ces derniers jours par le Président Alpha Condé pour favoriser ‘’le retour au calme et l’apaisement’’ et lever les derniers obstacles qui bloquent la tenue des élections. Ces discussions se poursuivent entre les principaux acteurs concernés par le scrutin. Les trois principales coalitions de l’opposition, l’Alliance pour la démocratie et le progrès (ADP), le Club des républicains (CDP) et le Front d’Union pour la démocratie et le progrès (FDP) ont même obtenu la nomination de Salifou Sylla, comme facilitateur. Cet ancien ministre de la justice sous le Président Lansana Conté est qualifié par ses mandataires de ‘’compétent et doté du sens du compromis’’.
L’objectif du dialogue est de dégager une position commune sur le vote des Guinéens de l’étranger réclamé par l’opposition et sur le choix de l’opérateur électoral sud africain Waymark. La question aujourd’hui est de savoir si ces revendications sont plus déterminantes que de doter enfin la Guinée d’une représentation nationale ayant une légitimité politique. En effet, depuis la fin de la transition et avant l’accession au pouvoir du Président Alpha Condé, le diptyque fondamental des pouvoirs exécutif et législatif ne marche que sur un pied. Or, le premier rôle d’un parlement est d’ordonner les réformes qui doivent être réalisées par le gouvernement dans le respect des prérogatives du chef de l’Etat.
L’actuel ‘’bourbier électoral guinéen’’ pour reprendre le titre du rapport publié en mars par International crisis group, n’est pas sans relation ‘’avec les tensions ethniques’’ toujours avivées par ‘’l’issue de l’élection présidentielle de novembre 2010’’. En d’autres termes, la controverse autour des législatives ne serait qu’un avatar de la frustration provoquée par la victoire d’Alpha Condé sur ses rivaux. Ces derniers contestent d’une certaine manière la remontée fulgurante du Président Alpha Condé qui est passé de 18,25 % des suffrages au premier tour, le 27 juin 2010, à 52,52 % au second tour, le 7 novembre suivant.
Or, tant que l’autorité et pleine et entière du Chef de l’Etat ne sera pas reconnue par ses adversaires, les tensions politiques peuvent à tout moment dériver en conflits ethniques rappelle ICG. Entre d’un côté, les Peuls, la communauté d’origine de Cellou Dalein Diallo et de l’autre, les Malinkés, la communauté du Président Alpha Condé. Les deux grands groupes de la société et du peuple guinéens, qui pèsent l’un et l’autre près de 45% de la population n’ont pas à être instrumentalisée dans des querelles politiques.
On se souvient tous, que Cellou Dallein Diallo avait reconnu sa défaite face à Alpha Condé au second tour de la présidentielle en des termes admirables en proclamant qu’il mettait ‘’les intérêts de la Guinée au-dessus de ses ambitions personnelles’’. Cette hauteur de vue doit continuer à prévaloir, faute de quoi la Guinée va à la catastrophe.
Nul ne peut contester à Cellou Dalein Diallo son attachement à la démocratie même s’il a occupé de hautes responsabilités ministérielles sous le règne autoritaire de Lansana Conté. D’ailleurs, ses scores à la présidentielle ont fait de lui l’homme fort de l’opposition. Mais cette position ne doit pas être une posture victimaire. Elle lui impose des responsabilités vis à vis de ses partisans politiques et de la nation guinéenne toute entière. Le chef de l’opposition, tout autant que l’actuel Chef de l’Etat consacré par le suffrage universel, doivent contribuer à la vitalité de la démocratie.
L’ancien premier ministre Lansana Kouyaté arrivé en troisième position au premier tour de la présidentielle est également bien placé pour mesurer l’effet dévastateur d’une guerre civile et les tentations de repli communautaire ou clanique. En tant qu’envoyé spécial du Secrétaire général de l’ONU en Somalie, il a été l’un des témoins clefs du désastre de la guerre civile qui a ravagé le pays après la chute de l’ancien dictateur somalien Siad Barré en 1992. Il a aussi représenté l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) en Côte d’ivoire au plus fort de la rébellion puis de la crise post électorale qui ont secoué ce pays entre 2002 et 2009 et dans le cadre des accords de suivi des ‘’accords de Marcoussis’’ en 2003.
Certes, les hautes responsabilités gouvernementales que ces deux leaders l’opposition, ont occupé sous le régime de Lansana Conté ne doivent pas nous faire douter de leurs convictions démocratiques. Il serait tout aussi injuste de leur part, de qualifier Alpha Condé ‘’de dictateur ‘’. Le terme est souvent revenu dans leurs propos sans doute sous le coup de l’émotion. Rien que le passé de prisonnier politique et son refus de composer avec le pouvoir du général Conté pendant plus d’une vingtaine d’année, témoigne aussi du combat pour la démocratie de l’actuel Chef de l’Etat guinéen.
La seule tribune qui vaille aujourd’hui en Guinée, pour que chacun puisse faire entendre sans voix dans un cadre pluraliste, apaisé et constructif est bien celle d’une assemblée nationale démocratiquement élue. Le temps est venu d’aller aux élections comme le souhaite une majorité de Guinéens mais aussi les partenaires économiques privés et publics de la Guinée.
Car, malgré, la crispation politique permanente et des élections législatives ‘’ introuvables’’, les indicateurs économiques du pays sont favorablement jugés par la Banque africaine développement (BAD), le Fonds monétaire international (FMI) et l’Union européenne (UE). La compétence et la rigueur du Ministre guinéen des finances Kerfallah Yansané sont saluées par les principaux bailleurs de fonds. La Guinée a affiché en 2012, dans une période de crise économique internationale, un taux de croissance de 4,8%. Presque un point de plus par rapport à 2011.
Le temps est venu de parachever la mise en place d’institutions politiques démocratiques, notamment d’une assemblée nationale pour transformer avec le gouvernement et le Chef de l’Etat, les atouts du pays et rattraper plus trois décennies perdues sur sa reconstruction.
La Guinée ‘’possède la moitié des réserves de bauxite du monde’’, dispose ‘’de vastes ressources en minerai de fer, en or et en diamants et jouit de réserves et de potentiel hydrauliques parmi les plus vastes d’Afrique de l’ouest’’. Une ‘’véritable manne et scandale géologique et agricole’’. A ses dirigeants d’en faire un paradis.
Assane DIOP
Journaliste à RFI.
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