La diversité linguistique n’est pas un obstacle : la Suisse, l’Israël et l’Inde sont des cas inspirants
La diversité linguistique est un trésor culturel et intellectuel qui enrichit nos sociétés. Elle est le reflet de l’héritage culturel et des particularités des différentes composantes de notre pays.
Aucune réforme du système éducatif et même politique ne peut réussir sans tenir compte de cette réalité. Plusieurs pays du monde ont embrassé cette diversité de langues et de communautés pour mettre en place des systèmes éducatifs et politiques qui n’excluent aucune composante sociale. C’est ce qui a favorisé le développement économique et social de ces pays.
En Israël par exemple, l’enseignement se fait en hébreu, en arabe et en anglais. Les élèves juifs débutent en hébreu et intègrent l’anglais dès la 3ème ou 4ème année, tandis que l’arabe leur est proposé plus tard comme option.
Quant aux élèves arabes, ils commencent leur éducation en arabe et ajoutent l’hébreu à partir de la 5ème année. Ainsi, l’Israël utilise trois langues et trois systèmes d’écriture distincts. D’ailleurs, vous remarquerez que sur de nombreuses plaques en Israël, les inscriptions sont rédigées dans ces trois langues et systèmes d’écriture.
Aujourd’hui, l’Israël, cet État né au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, a réussi à devenir l’un des pays les plus avancés du monde, où d’importantes découvertes scientifiques et technologiques sont réalisées, à travers une langue et un système d’écriture qui étaient en voie de disparition.
En Inde également, on trouve de nombreuses langues et systèmes d’écriture. Le choix de la langue d’enseignement dépend de l’élève, de sa famille et de la région d’origine. Même si le Devanagari reste le système d’écriture le plus répandu, chaque région utilise sa propre langue et son système d’écriture si elle en a. En plus de leur langue maternelle ou régionale, chaque élève est tenu d’apprendre deux autres langues.
Malgré cela, l’Inde est aujourd’hui l’un des plus grands fournisseurs d’informaticiens au monde. Des Indiens dirigent aujourd’hui de grandes entreprises multinationales technologiques telles que Microsoft, Google, Adobe, IBM, etc.
Quant à la Suisse, ce pays, six fois plus petit que la Guinée, elle utilise quatre langues : le français, l’allemand, l’italien et le romanche. La Suisse est un État fédéral composé de 26 cantons autonomes, chacun disposant de ses propres lois. Malgré cette diversité linguistique, la Suisse est l’un des pays les plus stables et les plus avancés au monde, avec un niveau de vie et une qualité de vie enviés partout dans le monde.
Par conséquent, l’argument selon lequel l’existence de plusieurs langues ou systèmes d’écriture constitue un obstacle à l’adoption de nos langues n’est souvent utilisé que pour promouvoir le maintien de la langue coloniale et de son système d’écriture. C’est derrière cet argument que se réfugient nos intellectuels éduqués dans les écoles coloniales pour préserver leur avantage économique et politique et leur statut social.
Cela fait soixante ans que nous essayons avec la langue coloniale, sans pour autant atteindre la Corée du Sud qui avait pourtant choisi d’enseigner dans sa langue, avec son propre système d’écriture. Ce pays de Samsung, LG, Hyundai, Kia, etc, qui a accompli son miracle économique et technologique, n’était pas plus avancé que certains pays africains lors de leur indépendance. Par ailleurs, ce pays a été longtemps occupé par le Japon et a connu une guerre civile ayant entraîné plus de deux millions de morts. Pourtant, il est devenu l’un des pays les plus développés du monde.
Aujourd’hui, la plupart des pays asiatiques enseignent dans leurs langues respectives, avec leurs systèmes d’écriture, que ce soient les Arabes, les Chinois ou les Japonais.
Il est donc tout à fait possible d’introduire l’enseignement de nos langues nationales à travers nos écritures déjà codifiées et prises en charge par les systèmes informatiques, en fonction des localités et du choix des élèves. Les élèves pourraient progressivement ajouter une ou deux langues nationales à leur cursus au fur et à mesure qu’ils progressent. Par exemple, un élève de la préfecture de Mamou qui étudie en Pular pourrait être tenu, à partir de la 5ème année, d’ajouter une autre langue comme le Maninka ou le Sosso, etc. Dès le collège, le français ou l’anglais pourrait être intégré. Cette approche ne poserait aucun problème, car la majorité des Guinéens sont déjà polyglottes.
Il est temps de faire face à nos problèmes avec de véritables solutions. Toute réforme du système éducatif qui ignore la diversité de nos langues et n’intègre pas nos systèmes d’écriture est vouée à l’échec. Nous ne pouvons pas baser notre développement sur des langues étrangères tout en négligeant nos propres langues et alphabets, qui sont déjà intégrés dans tous les systèmes informatiques. L’argument selon lequel on doit adopter l’alphabet latin hérité de la colonisation car les gens savent déjà lire l’alphabet français ignore le fait que selon le RGPH de 2014, plus de trois quarts de la population ne savent ni lire ni écrire dans aucune langue.
Ne permettons plus aux anciens colons et à leurs pantins en Afrique de dicter l’agenda et la politique de l’éducation dans nos pays. Ils ont eu le monopole pendant plus de soixante ans. Qu’ont-ils produit, sinon un système éducatif en lambeaux, avec le niveau de compétence des élèves qui diminue chaque année ?
L’Afrique de demain doit se faire avec nos langues et nos alphabets. L’Éthiopie a ouvert la voie, et nous devons suivre son exemple.
Abdoulaye J Barry
ajbarry@live.com
Portland USA