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La nature du mandat des députés se concilie-t-elle avec l’exigence de l’établissement d’un « bilan » ?

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[dropcap]A[/dropcap] l’approche des élections législatives, annoncées pour le 16 février 2020 en Guinée, nombreux sont nos concitoyens qui demandent un « bilan du député » sortant de leur circonscription électorale.

Elu(e)s du peuple au sein de l’Assemblée Nationale, les députés participent à l’élaboration de l’action législative et au contrôle de l’exécution des politiques publiques du Gouvernent (non exclusivement). Être député, c’est donc exercer un mandat souverain pendant la durée d’une  législature comme l’indique l’article 2 de la Constitution du 07 mai 2010 en vertu duquel « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum.»

L’actualité guinéenne oblige à nous interroger sur la nature du mandat dont sont investis nos élus à l’Assemblée Nationale. Ce mandat est-il impératif ou représentatif ? La nature du mandat des députes se concilie-t-elle avec l’exigence de l’établissement d’un « bilan » ?

En politique, le mandat impératif désigne un mode de représentation dans lequel les élus ont l’obligation de respecter la volonté et les directives de leurs électeurs sur la base desquelles ils ont été désignés, souvent, sous peine de révocation ou de non réélection.

Le mandat impératif est lié à la notion de souveraineté populaire définie par Jean-Jacques Rousseau qui préconise la démocratie directe et l’utilisation du mandat impératif. Selon Rousseau, (1712 – 1778), « la souveraineté ne peut être représentée par la même raison qu’elle ne peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale, et la volonté ne se représente point. Les députés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ses représentants, ils ne sont que ses commissaires ; ils ne peuvent rien conclure définitivement. » Du contrat social (1762)

De même, le mandat impératif s’oppose au mandat représentatif comme la souveraineté populaire s’oppose à la souveraineté nationale. Ainsi, des députés élus sur un mandat impératif ne représenteraient que leurs électeurs et non pas l’ensemble de la Nation.

En Guinée, le mandat impératif des députés est interdit. Cette interdiction est d’ordre Constitutionnelle. « Tout mandat impératif est nul », proclame l’article 70 de la Constitution. Cela signifie que les députés se déterminent librement dans l’exercice de leur mandat. Ils ne sauraient être prisonniers d’intérêts locaux d’une fraction du peuple. Ils ne peuvent recevoir d’injonction à agir dans tel ou tel sens de la part d’aucune autorité constituée.

En d’autres termes, étant les élus de la Nation, ils n’ont pas à suivre les directives des électeurs de leur circonscription et ne peuvent être révoqués par eux. Un vieux principe de  l’article 3 de la de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 soutient ce postulat. « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. »

Dans le même esprit, l’article 60 du règlement intérieur de l’Assemblée Nationale (adopté le 04 juillet 2017), vient préciser que le député, élu du peuple, est un représentant de la Nation. Il découle de cette disposition que nonobstant le fait que le député soit élu sur un scrutin uninominal, la représentation nationale l’emporte à l’Assemblée.

Qu’est-ce que cela emporte en conséquence ? Concrètement, l’absence de caractère impératif du mandat des parlementaires à vocation de garantir leur indépendance, non seulement vis-à-vis des électeurs mais aussi vis-à-vis du parti politique sous la bannière duquel ils sont élus – absence de discipline de vote à l’Assemblée – ils ne sont nullement tenu de suivre la ligne politique de leur parti et/ou des groupes parlementaires auxquels ils appartiennent.

On peut constater donc, qu’une fois élus, l’art 70 précédemment énoncé de la Constitution guinéenne (article 27 Cons. française de 1958 pour comparer) leur garanti une liberté totale au regard de leurs partis ou de leur électorat. C’est le cas, à titre d’illustration, d’un groupe de députés français du Parti socialiste pendant la XIVe législature, opposés à la politique économique et sociale des gouvernements de Jean-Marc Ayrault, de Manuel Valls, puis de Bernard Cazeneuve sous la présidence de François Hollande en France.

Cependant, s’ils jouissent d’une grande liberté à l’Assemblée, tel n’est pas le cas sur le plan interne de leurs formations politiques. Le non-respect de la ligne politique portée par leur parti pendant le vote de lois peut entrainer des sanctions disciplinaires qui peut parfois aller jusqu’à l’exclusion pur et simple du parti pour le frondeur. Ne disposant pas d’un cas précèdent  au sein de notre Assemblée Nationale,  Prenons le cas, récent, du député de la République En Marche (LREM) en France, Jean-Michel Clément qui avait voté contre la loi asile et immigration présentée par son parti, ce qui lui avait valu une exclusion du groupe. Le président du groupe LREM, Richard Ferrand avait alors déclaré : « Si s’abstenir est un péché véniel, voter contre un texte (de son parti) est un péché mortel qui mérite l’exclusion ».

Revenons en Guinée et sur notre sujet, au palais Mohammed V de Conakry,  il est évident que rien n’interdit aux élus de la Nation de prendre des engagements vis-à-vis de leurs électeurs et beaucoup en prennent et les respectent tant bien que mal. A titre d’exemple, nos députés peuvent utiliser l’enveloppe parlementaire mis à leur disposition pour financer des projets dans leurs circonscriptions, tenir des permanences, ou organiser des réunions publiques pour recueillir et faire remonter les préoccupations locales aux niveau de l’Assemblée Nationale. Mais est-ce une obligation pour les élus ? Aucune disposition n’en fait mention.

A certains égards, on croirait qu’ils sont obligés. Notamment à la lecture de l’article 67 du règlement intérieur de l’Assemblée qui envisage :  « Pendant les périodes d’intersession, tout Député a l’obligation de séjourner dans sa circonscription. »  Mais à ce niveau également, des lecteurs attentionnés ou avertis peuvent émettre des réserves qui ont le mérite d’être traité rapidement. N’Y a-t-il pas une incohérence de fond entre l’articulation de l’art 67 du règlement intérieur et le second alinéa de l’article 2 de la Constitution ? Ou peut-on y voir un tempérament au principe de l’indivisibilité de l’exercice de la souveraineté nationale qui consacre la représentativité nationale des députés indépendamment de leur circonscription ? On pourrait se tourner vers un Député pour chercher des réponses à nos questions mais, il y’a nul doute ! La suprématie de la norme constitutionnelle l’emporte sur celle du règlement intérieur. Ainsi, l’exercice de la souveraineté par nos élus réside dans la Nation en dépit d’une élection sur scrutin uninominal.

In fine, il convient de noter que le fait d’être député d’une circonscription ne fait pas de l’élu l’obligé de ses électeurs. Les parlementaires ne sont pas des fonctionnaires, ni des exécutants encore moins des salariés ou comptables de leurs électeurs. Ils sont titulaires d’un mandat de représentation de la Nation tout entière, donc du peuple dans son intégralité.

Les appréciations sur le mandat du député doivent être indépendantes du lien géographique de son électorat et dépendent de sa contribution de manière substantielle au débat nationale sur tel projet ou telle proposition de loi, sa régularité à l’Assemblée, sa proximité et son sens d’écoute sur les préoccupations quotidiennes des tous les citoyens guinéens.

Kouradia DIALLO
Conseiller à l’implantation et chargé de relation avec les structures de base
MoDeL France

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