[dropcap]E[/dropcap]n avril 1984, j’étais à Conakry quand l’Armée prit le pouvoir qui vacillait comme une mangue mure dans le vent, prête à tomber. Je me rappelle de la liesse populaire qui s’empara de la ville finalement libérée d’une dictature sanglante qui avait fait des Guinéens « des damnés de la terre ». Fini avec en « attendant le bateau » comme réponse à notre misère collective.
Quelques jours après, le 29 avril, je m’envolais pour les États-Unis. Je n’ai donc pas connu le régime du Général Conté de près. Cependant, des individus bien placés dans son cercle ont rapportés qu’il était inquiet de l’idée d’avoir plusieurs partis politiques en Guinée. Il aurait aussi communiqué son appréhension sur certains opposants, particulièrement mon cousin Alpha Condé, comme étant un des individus qui allaient mettre le pays en danger d’un conflit fratricide si, un jour, il arrivait au pouvoir.
Depuis maintenant dix ans, tout observateur neutre et de bonne foi doit reconnaître que le régime de Alpha Condé a détruit le tissu politico-social qui unit les guinéens. Voici quelques faits qui illustrent cette thèse :
- L’Utilisation de la machine de l’Etat contre les opposants.
a. L’administration publique est aujourd’hui jonchée de plusieurs individus qui n’ont aucune compétence et expertise dans les fonctions qu’ils occupent. Un bon nombre des cadres supérieurs doivent leur place à un militantisme aveugle dans son parti politique. Un des ministres de la République a dit publiquement que les poissons dans l’océan atlantique viennent à nos côtes parce qu’Alpha est président.
b. La justice est complètement inféodée au pouvoir. Notre système judicaire est incapable de dire la loi. « Les sirènes révisionnistes » sont en charge.
c. Un député de la république est allé jusqu’à dire que le Fouta est le seul problème de la Guinée.
d. Tous les opposants sérieux sont indexés et toute action par la société civile allant dans l’élan de corriger la mauvaise trajectoire qui nuit à notre pays est réprimée par la force dont l’état détient le monopole.
- La création et la protection d’une association d’extrémistes et fossoyeurs des ressources de la Guinée
Aujourd’hui, notre pays est gouverné par une élite qui a élevé l’incompétence comme critère fondamental et requis pour la participation à la gestion des affaires du pays. Toute dénonciation de cet état de fait est considérée comme un délit, voire un crime. Certains défenseurs de la situation actuelle utilisent l’appartenance ethnique pour justifier leur soutien au régime actuel. Ils s’attaquent généralement à toute personne opposée sur le simple fait que leur patronyme[1] indique une appartenance différente. Cette politisation de l’ethnicité est un raccourci pour masquer la gabegie financière et l’exploitation désorganisée de nos ressources naturelles.[2]
- Le tripatouillage du système électoral.
a. Le fichier électoral actuellement en usage est contesté par certains partis politiques. Ce qui est surprenant dans ce fichier c’est la distribution des électeurs qui font le plein dans le « fief » considérer comme bastion du pouvoir. Conakry est moins peuplé que Kankan.
b. L’intimidation et la fraude est rampante, comme en témoigne Dr. Ousmane Kaba : « Nous avons déjà enregistré des incidents, des anomalies. A Kankan ici, mes responsables ont dénombré plus de 449 bureaux, alors qu’il ne devait y avoir que 331 bureaux seulement pour la commune urbaine. Il y a des quartiers qui se sont illustrés. À Bordeaux par exemple, nous avons dans une seule cour plus de 10 bureaux de vote. A Missiran, l’un des plus grands quartiers, nous avons compté 44 bureaux au lieu de 32 ».[3]
c. La réjection des résultats par certains candidats (Abe Sylla a clairement indiqué qu’il ne reconnaît pas la victoire d’Alpha Condé).[4]
d. L’UFDG a fait la même déclaration de rejet des résultats annonces par la CENI.
Aujourd’hui, les images qui viennent du pays donnent raison au feu Président Général Lansana Conté. Nos concitoyens sont prisonniers dans leur pays, notre Armée est réquisitionnée contre nos enfants. Nous tuons nos mères, sœurs et enfants en plein jour. Le moment est arrivé ou chaque guinéen conscient doit dénoncer et rejeter le dévolu qui est jeté sur notre pays. Comme l’a dit Platon, (je paraphrase) : « Si vous ne vous intéressons pas aux affaires de votre gouvernement, nous sommes condamnés à vivre sous le règne des fous. »
Cherchons à mettre plus d’ingéniosité, d’efforts et de ressources dans la création des institutions démocratiques qui nous permettront d’édifier un régime constitutionnel permanent au bénéfice de tout le peuple de Guinée.
Je souhaite vivement que le peuple de Guinée se lève dans la solidarité, de manière pacifique, pour dire non à la présidence à vie. Les futures générations nous en tiendrons rigueur si nous faillissions à ce devoir citoyen. Le moment pour une conférence nationale inclusive pour résoudre la crise guinéenne c’est maintenant.
Dr. Abdoulaye Bah
Professeur d’université aux États-Unis
[1] Je suis presque certain que la réaction de certains lecteurs sera basée simplement sur mon nom de famille. Cependant, j’ai plus de liens de famille avec Alpha Condé que la majorité des intervenants qui essayeront de le défendre. Mon oncle fut le mari d’une de ses tantes qui vécut à Mafanco.
[2] https://www.aljazeera.com/news/2020/10/25/amnesty-international-accuses-guinea-of-post-election-crackdown
[3] https://guineematin.com/2020/10/18/dr-ousmane-kaba-sur-le-vote-de-ce-dimanche-en-haute-guinee-nos-militants-sont-molestes-ils-narrivent-meme-plus-a-voter/
[4] http://prod2.visionguinee.info/2020/10/25/abe-sylla-apres-la-proclamation-des-resultats-nous-ne-reconnaissons-pas-la-victoire-dalpha-conde/