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La ruée vers l’Afrique continuera-t-elle de se faire sans l’Afrique ? 

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Entre compétitions géopolitiques et reconfiguration des puissances dans le monde, l’Afrique dans l’interrègne.
La ruée vers l’Afrique se fera t-elle à son détriment ? Comment se positionne le continent dans les concurrences géopolitiques des puissances ? Dépendance, interdépendance, non-alignement, souveraineté réelle…que choisir ?

Considéré comme le berceau de l’humanité, le continent africain a toujours été au centre de toutes les attentions et intentions et évidemment de toutes les attractions du monde. Cette constante ruée a traversé l’histoire des peuples et celle des relations internationales. Elle continue de marquer, à l’heure où les grandes puissances en quête de supplément d’influence stratégique et de conquête d’hégémonie sur le reste du monde, le cours des bouleversements géopolitiques à l’œuvre sur la planète. 

L’Afrique a été en fonction des époques le sujet et l’objet des dynamiques internationales : traite négrière, colonisation, guerres ou accords d’indépendance, perpétuation de la colonisation ( la néo-colonisation), les première et Seconde guerre mondiales, le partage idéologique avec la guerre froide, le non-alignement, la Chute du Mur de Berlin, les tentatives de démocratisation du début des années 1990, les guerres civiles ou inter-états, la lutte contre le terrorisme, la géopolitique sanitaire avec la COVID ou les impacts de la guerre russe en Ukraine. Nous pouvons remonter même au Moyen-âge et aux premières conquêtes des explorations qu’elles soient navales ou terrestres commandées par les grands empires occidentaux et orientaux.

Ces diverstemps géopolitiques que je souhaite, ancrés dans l’Afrique contemporaine ont un point commun : la dépendance du continent et son interdépendance avec le reste du monde par exemple sur les enjeux sécuritaires, économiques ou climatiques. Aujourd’hui, l’Afrique dans les relations internationales est plus qu’un choix, elle est devenue une évidence pour toutes les puissances du monde d’une part et les nations émergentes d’autre part pour des raisons de contrôle diplomatique, de relais de croissance économique, ou de rivalité stratégique.

L’Afrique, terrain de jeu stratégique des puissances à son détriment 

Le très récent chassé-croisé diplomatique avec la visite au pas de charge du 26 au 28 juillet du président français Emmanuel Macron au Cameroun, au Bénin et en Guinée-Bissau d’une part, et d’autre part la mini-tournée hautement stratégique de Serguei Lavrov, ministre des affaires étrangères russe et sherpa en chef de Vladimir Poutine dans le contexte d’une guerre russe en Ukraine, mérite toute attention et n’a rien d’anodin et de philanthrope puisqu’en diplomatie et en géopolitique, seuls les intérêts guident . En cette fin de juillet où le tout-puissant diplomate russe a fixé davantage le drapeau russe au Caire, au Congo Brazzaville, en Ouganda et en Ethiopie, la concurrence entre Paris et Moscou ne fait plus de doute sur lesintentions de ces deux puissances en quête d’influence.

A cet effet, le rappel de la coopération diplomatique du Kremlin en Afrique vient à un moment crucial où le déclassement stratégique français sur le continent est une réalité intangible avec les forts contentieux et tout particulièrement celui avec le Mali. Le divorce acté avec une part non-négligeable de la société civile africaine francophone et des questionnements légitimes des opinions populaires sur l’état des lieux des relations entre la France et certains pays africains en disent long.

A titre personnel, je suis convaincu que le supposé alignement des planètes pour « plus de Russie et moins de France » dans certains pays ouest-africains dont les pouvoirs et les soutiens endogènes et exogènes militent à raison pour plus de souveraineté ne relève pas d’une réponse aux invocations des ancêtres bantous ou mandingues ; cela tient plutôt de stratégies extrêmement ficelées, appartenant aux formes résiduelles de la guerre froide dont la majorité des spécialistes internationalistes la pensaient, révoquée aux oubliettes de l’histoire.

L’invasion russe en Ukraine et le bras de fer qui s’en est suivi entre l’Occident et le Kremlin et la dernière et vive alerte entre la Chine et les Etats-Unis sur le détroit de Taiwan suite à la visite de Nancy Pelosi à Taipei sont autant d’éléments conjoncturels démontrant que l’histoire prend souvent un malin plaisir à se répéter. L’Afrique n’échappe pas à ce vent qui voit se confronter des puissances du bloc occidental et celles représentant son opposition, mais avec de nouvelles variantes symboliques d’une idéologie politique supplantée ou parfois effacée par la mainmise sur les secteurs vitaux de l’économie et le contrôle des ressources stratégiques.

Ceci étant, le coffret des questions à plusieurs tiroirs sur le désamour franco-africain ne résistant à aucune manipulation, à défaut de ressusciter ce sempiternel vieux serpent de mer d’une nouvelle relation Afrique-France « new look » débarrassée de la lie « françafricaine », il est fondamental que les usages changent radicalement, dans le respect et la dignité des parties du Sud. Cela est nécessaire en admettant une infinité de possibilités pour les pays africains surtout francophones d’obtenir et de réaliser à leurs justes profits d’autres partenariats extérieurs avec la Russie, la Chine, l’Inde, la Turquie, le Qatar mais également des nations aux liens historiques moins évidents comme le Japon, l’Estonie ou encore le Danemark.

Une Afrique qui influence le monde …sans le savoir 

Aujourd’hui, les bouleversements géopolitiques à l’œuvre dans le monde depuis bientôt trois ans, tout en interpellant les grandes puissances et les nations désirant s’affirmer sur la scène planétaire, ont révélé encore davantage la position incontournable du continent africain, acteur international jouant à la fois de sa dépendance et de son interdépendance sur la stabilité planétaire. Si parfois la vulnérabilité de l’Afrique face aux chocs politiques, sanitaires, économiques et stratégiques dans le monde a été le sujet de toutes les attentions des grandes puissances à savoir l’Union Européenne, la Chine, la Russie ou encore les Etats-Unis, les véritables enjeux qui poussent le monde à se mettre au chevet de l’Afrique, c’est de toute évidence, l’indispensable enjeu sécuritaire, gage de prospérité économique, de stabilité politique et condition ultime de sa place sur l’échiquier international.

A cet effet, bien que les conséquences de la pandémie de la COVID 19 et le déclenchement improbable d’une guerre sur le continent européen en février 2022 aient relégué toute attente du continent africain à jouer sa carte internationale, la question sécuritaire et de sa stabilité demeure essentielle au regard des équilibres vitaux dans un monde fracturé et fragile.

S’agissant ducontinent africain, dont le tableau politique réserve autant d’échecs que de réussites voire d’espoirs avec des pays avançant graduellement vers le respect de l’Etat de droit, du renforcement des libertés politiques et publiques et de l’ancrage de la démocratie, la cartographie globale met en évidence des blocs géopolitiques menacés par la propagation des groupes armés terroristes dans le Sahel par exemple, mais également par l’insécurité et la piraterie maritime dans le Golfe de Guinée pour ne circonscrire ces dysfonctionnements que dans le Sahel et l’Afrique subsaharienne.

C’est dans cette perspective complexe que des acteurs internationaux se livrent à une guerre d’influence pour confirmer et accentuer leurs positions dominantes dans le monde. Le concept de puissance retrouve ainsi de la vitalité en Afrique et permet d’attribuer aux grandes nations dominantes ce surplus de force stratégique en fonction de leurs agendas diplomatiques, de leurs intérêts vitaux et économiques continuellement croissants et finalement de leur destin et de la place qu’elles souhaitent continuer à jouer pour le présent et l’histoire. Cette ambition s’opère parfois au détriment des pays africains, mais quelque fois à leurs avantages à « challenger » les puissances.

A cet effet, pendant qu’à la faveur de la guerre d’invasion de la Russie en Ukraine, l’Union européenne s’interroge sur son autonomie stratégique et sa capacité à demeurerun acteur dominant aux fins de répondre avec l’Afrique au défi sécuritaire à travers les échanges multiples avec l’Union africaine. Avec le récent désengagement partiel de la France du Mali, épicentre de la lutte anti-terroriste dans le Sahel et le redéploiement des forces françaises hors du pays suite aux complications diplomatiques avec l’actuel pouvoir à Bamako, l’Union Européenne devra se réaffirmer sur la coopération sécuritaire.

Déjà investie sur six missions militaires sur le continent africain et quatre missions civiles d’appui sur le renforcement de capacités et de conseils en matière de défense et de sécurité, l’Union vise à se démarquer d’acteurs internationaux dont la concurrence stratégique n’est pas que de forme mais également se démarquant sur le plan de la doctrine en termes de coopération. Sur le continent, il y a un besoin de redéfinition de ces missions européennes en les adaptant au mieux des aspirations des populations ciblées, et surtout au regard des récentes difficultés des forces de paix onusiennes comme la Minusma au Mali ou la Monusco au Congo Kinshasa. Ces forces européennes ou multilatérales de l’ONU de stabilisation sécuritaire, politique et économique sont nécessaires et vitales, en dépit d’un contexte d’ensemble préjudiciable en termes d’image et de résultats mitigés après plusieurs années d’exercice.

De leurs côtés, la Chine et la Russie, dans une dynamique contraire, ont chacune une ambition hégémonique et opèrent différemment sur le plan économique, militaire et sécuritaire en Afrique démontrant essentiellement la prédominance de la sécurité et des relais diplomatiques pour le Kremlin, et davantage sur l’économie, le commerce et les investissements pour l’Empire du Milieu, constructeur patient et déterminé des Nouvelles Routes de la Soie à travers le monde.

L’Afrique d’aujourd’hui, pilier du monde de demain 

Dans ce monde bouleversé et bouleversant où la bipolarité et la multipolarité se croisent indistinctement en fonction des temps géopolitiques, où parfois personne et tout le monde règne, où souvent toutes les puissances se penchent sur le putatif grand agonisant qu’est l’Afrique, une certitude se dessine clairement et conforte que le continent africain n’est non pas seulement le continent de l’avenir, mais également celui du présent.

Si l’Afrique attire et attrait autant, pourrions-nous pousser ce désir jusqu’aux Africaines et Africains ? 

Si l’Afrique est tant désirée, pourquoi ne le serait-elle pas aux yeux des Africains, qui verront en elle des trésors de potentiels humain, économique, agricole, technologique, écologique et social ? A l’appui de Nelson Mandela qui pensait que « Ce qui est fait pour nous, sans nous est fait contre nous », il est indubitable que l’Afrique ne peut se faire sans le monde et vice-versa, mais que toutes les volontés qu’elles viennent du Nord, de l’Est, du Sud doivent comprendre que le destin de ce continent-source se construira prioritairement avec les Africaines et les Africains et évidemment avec toutes celles et tous ceux désirant inscrire leurs actions dans la construction d’un monde stable et prospère.

Hérésie ? Irréalisme ? L’histoire s’écrit avec les utopistes mais se fabrique avec les pragmatiques.

Par Régis Hounkpè, analyste géopolitique et communicant politique 

Fondateur et directeur exécutif d’InterGlobe Conseils, un cabinet-conseil spécialisé en expertise géopolitique et communication stratégique en Afrique et dans le monde, enseignant en géopolitique de l’Afrique à l’Université de Reims Champagne Ardenne 

∗Analyse pour le magazine L’Autre Afrique, à découvrir dans le numéro d’août

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