Analyste pointu, Lamarana-Petty Diallo est au-dessus des clivages politiques. Il met son expérience d’historien avisé et d’homme de lettres engagé au service du pays. Ses écrits contribuent à l’apaisement des esprits et au rapprochement des cœurs.
De nombreux guinéens s’interrogent sur les raisons des échecs des différents dialogues initiés dans notre pays depuis l’indépendance. Ils ne comprennent pas qu’il y ait eu tant d’initiatives et de tentatives de réconciliation qui se soient soldées par des ratages.
Un regard historique aiderait à comprendre les déboires de dialogue et de réconciliation voulus -souvent de bonne foi- par des générations de dirigeants successifs : de Sékou Touré à Doumbouya.
Un tel regard neutre et impartial, doublé d’une approche lucide respectant la déontologie de l’historien pourrait contribuer à rapprocher les uns et les autres.
Il permettrait de poser les jalons d’une réconciliation pérenne, fondée sur une vision prospective et sur des actions pragmatiques.
Premiers mouvements politiques, premières sources de division
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, plusieurs mouvements ou groupements à caractère social et culturel voient le jour en Guinée.
Prémices de la lutte anticoloniale, ces mouvements naissent, dans la quasi-totalité des vingt-neuf cercles (29) qui formaient le territoire de la Guinée française.
Il s’agit, principalement de : l’Union des Malinkés et l’Amicale Gilbert Vieillard de la Moyenne Guinée, créées en 1944. Entre cette date et 1946, cinq groupements et unions émergent : l’Union du Mandé ou Mandingue ; de la Basse-Guinée ; des Insulaires, des Toucouleurs et l’Union Forestière.
En 1950, Sékou Touré crée l’éphémère « Groupement ethnique des originaires de Faranah ». A ce conglomérat s’ajoutent d’autres : les Foyers des Métis ; des jeunes de la Basse Guinée ; les Jeunesses du Fouta ; de l’Union des Toucouleurs ; l’Association culturelle des Musulmans.
Si, au départ, ces groupements ou mouvements n’affichent pas une orientation clairement politique, ils en prennent la tendance avec la loi-cadre de 1946 et deviennent les embryons de partis politiques.
Dès le lendemain de la loi cadre, les mouvements réellement politiques, voient le jour : le Parti Démocratique de Guinée, (1947) dirigé par Sékou Touré ; le Mouvement Socialiste Africain (MSA) -Section guinéenne, (1950) de Yacine Diallo; la Démocratie socialiste de Guinée (DSG) d’Abdoulaye Diallo et le Bloc Africain de Guinée (BAG) de Barry Diawadou en 1954; le Parti du Regroupement Africain (PRA) issu de la fusion de la DSG et du BAG. (1958).
Qu’ils fassent long feu ou disparaissent prématurément, ces groupements et partis impacteront l’avenir politique de la Guinée. Leur structuration politique- certains parlent de couleur ethnique-, leur configuration géographique et culturelle ne relèvent pas d’un simple hasard.
Luttes de positionnement et règlements de compte avant septembre 1958
A observer de près, on s’aperçoit aisément, que toutes les organisations énoncées sont l’émanation des différentes régions dites naturelles de la Guinée-Française d’alors. Manipulation coloniale ? Relent des mentalités traditionnelles antérieures à la colonisation ?
Une évidence s’impose : ces structures ne sont pas simplement régionales. Elles sont régionalistes et de tendance ethnique. On en déduit que nous ne semblons pas être partis sur de bonnes bases : celles pouvant favoriser l’avènement d’une nation fondée sur un projet de société commun et unificateur.
En effet, des conflits font surface au sein des groupements. Des soutiens inappropriés, des exclusions arbitraires et des démissions forcées, etc. sont dénoncées par certains membres. En 1948, ne bénéficiant pas de l’appui de l’Union Mandingue à l’élection au Conseil de la République Française, Sékou Touré démissionne en signe de protestation. Il sera exclu des instances en 1949.
Les dissensions internes aux groupements et aux partis politiques font lésion. Déjà, en 1946, Sékou Touré et Barry Diawadou s’opposent aux législatives : chacun étant plébiscité par sa région d’origine. Diawadou sera élu, sur désistement à contrecœur de Sékou, dit-on, l’on commence à parler de « Malinké » contre « Peul » et inversement.
Les premiers conflits ouverts éclatent en mai 1954 à Conakry. Traduction manifeste des manipulations politiques sur le terrain « Soussou-Peuls », ces conflits se soldent par d’innombrables blessés, morts et disparus.
Autant dire que les leaders politiques nous ont conduits, très tôt, à nous entre-déchirer pour un pays que nous avons en commun. L’après-indépendance n’infirme pas ce point de vue.
L’indépendance : entre esprit d’union et cendres fumant
Le vote référendaire pour l’indépendance de 1958 intervient dans un contexte de conflits, d’adversités et d’oppositions. Des faits supposés ou avérés enveniment la situation politique.
Entre autres, la mort douteuse, pour certains, de Yacine Diallo, premier député guinéen à l’Assemblée nationale française ; l’assassinat ( ?) de M’Balia Camara, militante du Rassemblement Démocratique Africain (RDA) en 1955. Mais aussi, les disparitions inexpliquées d’adversaires politiques qui poussent les ethnies à se regarder en chien de faïence.
Les luttes d’égos, les différences d’orientation politique, le positionnement pour le « oui « ou le « non » pour la communauté franco-africaine, etc., attisent encore plus les conflits. Le PRA accuse le PDG d’usurpation en affirmant avoir opté pour l’indépendance totale dès le mois de mai 1958 alors que son adversaire ne l’aurait fait qu’en août à la veille de la visite du Général De Gaulle à Conakry.
En outre, si les groupements des années « 40 » avaient quasiment disparu, la plupart de leurs membres rejoignent les partis politiques. La déviation de ces derniers, dont la vocation est pourtant nationale, comme le PDG et le BAG, leur est amputée. Les questions de légitimité ou de représentativité accentuent les oppositions : chaque région prétendant que son représentant est plus apte à diriger la Guinée.
Si les oppositions de points de vue sont de l’ordre du naturel en politique, elles faussent le jeu démocratique dès lors qu’elles deviennent l’expression de sentiments antagoniques, de posture individuelle, d’opposition ethnique ou de règlements de compte. Pire, elles deviennent le terreau des pouvoirs personnels, qui virent dans la majeure partie des cas, en dictature politique.
Indépendance Tcha Cha : de l’effervescence aux gouffres de la Révolution
L’indépendance de la Guinée ne fut pas une simple sensation. Elle provoque un big-bang dans les nations colonisatrices et fut saluée par les intellectuels des pays dits progressistes de l’époque. Bref, le « non » guinéen résonna d’Afrique aux confins de l’URSS.
Mais qu’avons-nous fait de notre indépendance et de tant d’espoirs qu’elle soulève ? Un an à peine après notre «bravade », les brèches s’ouvrent. Les coalitions s’avèrent une erreur. Elles apparaissent comme un manque de vision politique qui conduit les plus forts à dévorer les plus faibles. S’étant fondus dans le PDG, les partis adverses d’avant 58 furent victimes du parti unique.
Le premier complot éclate dès 1960 avec « le complot des intellectuels » qui implique cadres civils et religieux. En 1961, ce sont les enseignants, les syndicalistes et les étudiants qui sont visés.
Le «complot des enseignants» est suivi en 1962, par « le complot Petit Touré » ou «des commerçants ». La chaîne continue avec l’arrestation en 1969 de plusieurs officiers de l’armée guinéenne dans le « Complot Kaman-Fodéba ».
L’année 1970, connut les plus grandes purges avec l’agression supposée du Portugal contre la Guinée. On mesure la portée de l’hécatombe si l’on se réfère au livre blanc : « L’Impérialisme et sa Cinquième Colonne en République de Guinée » : 36 dépositions dans 671 pages.
En 1976, un autre complot, dit « Complot Diallo Telly » est dénoncé. Les purges ciblent, pour la première fois, les cadres de la même région que Telly Diallo. D’où la dénomination « Complot Peul » qui conduit certains à parler de génocide.
Enfin, en mars 1984, des exécutions publiques sont opérées à Mamou au motif de révolte des commerçants. Le sort fatidique des victimes scelle miraculeusement, si ce n’est mystérieusement, celui du régime.
L’après PDG : la perpétuation de la tragédie guinéenne
Plus d’un guinéen croyait que la fin d’un régime annonçait celle des erreurs, bévues, fautes ou crimes commis. Le rêve se révéla en désillusions.
Les habitudes refont surface en un an à peine : la cohabitation entre les militaires du Comité militaire de redressement national (CMRN) au pouvoir et une minorité de civils vole vite en lambeaux.
En juillet 1985, un groupe d’officiers est accusé de complot avec, à leur tête, le premier ministre d’alors: on parla de «Coup Diarra Traoré». Il s’ensuit des purges qui ciblent, cette fois-ci, les officiers et les anciens dignitaires du PDG. On parla d’opposition « Soussous-Malinké ».
A la disparition du CMRN, le Parti de l’Unité et du progrès (PUP) voit le jour. Le nouveau régime qui se mit en place ne tarda pas à dévorer, à son tour, du Guinéen : en février 1996 et 2006-2007 lors de la révolte des soldats, et des manifestations estudiantines, respectivement.
L’accalmie revient avec la nomination d’un « gouvernement de consensus » en février 2007 qui, fort malheureusement, se montra plus rétrograde et conflictuel comme aucun autre auparavant.
La disparition en décembre 2008 du Général guinéen conduit à un nouveau putsch post-mortem comme en 1984. La prise du pouvoir par le Comité militaire pour le développement et la démocratie (CNDD) fut de courte durée. Mais la parenthèse fut tragique.
Le 28 septembre 2009 se produit, au stade du même nom, la plus grande tragédie de l’histoire politique de la Guinée.
Des massacres, des viols, à ciel ouvert et en plein jour sont opérés sur la base d’un ciblage ethnique. Les élections présidentielles de 2010 clos la page tragique et ouvrent une autre faite d’espoirs.
L’ère Alpha : un nouvel espoir envolé et ensanglanté
A l’élection d’Alpha Condé, l’espoir renaît chez les uns alors que la contestation s’installe chez d’autres. Celui qu’on surnomma « premier président démocratiquement élu » voulu devenir « président élu à vie » en falsifiant la constitution pour s’octroyer un troisième mandat alors qu’il n’avait droit qu’à deux successifs.
Cette velléité fut stoppée nette le 5 septembre 2021 par le premier putsch contre un président en exercice dans notre pays. Le Comité national pour le redressement et la démocratie (CNRD) , prit le pouvoir.
L’espoir renaît à nouveau. Jusqu’à quand ? Va-t-il s’étioler comme les précédents ? La Guinée s’en sortira-t-elle enfin ? Beaucoup de facteurs, qui ne feront pas l’objet de cette analyse, le détermineront.
D’ores et déjà, il conviendrait de dire que le CNRD risque d’être la dernière chance avant que la Guinée ne plonge. Ses membres en ont-ils conscience ? Nous espérons quoique l’optimisme ne semble pas être partagé par beaucoup.
Bien de Guinéens se disent que notre Guinée est comparable à cette jeune fille à la poitrine dure qui donne à rêver aujourd’hui pour faire pleurer le lendemain. Espérons que la résonance qui saute aux yeux entre CMRN, CNDD, CNRD évitera à ce dernier les sort des premiers.
Pour cela, nous devons tous œuvrer pour que la Guinée donne enfin à sourire. Dans cette optique, je ferai des propositions concrètes. D’ordre personnel certes, il ne reste pas moins que ces réflexions sont marquées du sceau du patriotisme qui m’anime.
Réapproprions-nous notre passé de tolérance et réconcilions-nous
La Guinée est un pays dont l’hospitalité est reconnue par l’ancien « colon » lui-même. Notre pays n’est pas violent. Il est tolérance et altérité. Ce sont les dirigeants de tous les systèmes qui ont inoculé la violence dans nos mœurs politiques.
Nous devons nous réapproprier notre passé de tolérance et nous réconcilier. Nous devons réapprendre les valeurs d’humanisme que nous ont léguées nos ancêtres. Il appartient à chacun d’entre-nous d’œuvrer dans cette voie.
Voici ma part pour une réconciliation qui ne soit pas que durable mais définitive.
Je suggère :
- La mise en place par décret d’une commission nationale dénommée : « Commission nationale pour le dialogue, le pardon et la réconciliation ».
- La réhabilitation des victimes de tous les systèmes politiques guinéens et leur élévation au rang de « Martyrs de la nation ».
- L’élévation dans chaque ville guinéenne d’un monument qui leur est dédié. L’inscription ou non de leur nom sur ces monuments relevant de la discrétion de l’Etat.
- L’attribution de leur nom et prénom (s) à des espaces publics: bâtiments ; écoles ; universités ; salles de classe ; amphithéâtres ; cinémas ; routes ; ponts ; rues ; boulevards ; espaces culturels, etc. Que soient affiliés les ministères de : l’administration du territoire, éducation, jeunesse et sport, urbanisme et habitats, par exemple.
- La restitution aux familles et/ou ayant droits des biens saisis de tous ceux- et celles- qui ont été accusés de complots et condamnés comme tels sans jugement.
- L’identification des charniers et autres lieux où seraient inhumées les victimes.
- L’organisation de funérailles nationales pour les restes des victimes identifiées.
- L’organisation d’une journée de prière, de sacrifice et de pardon dans tout le territoire national. Cette journée inclura victimes et présumés coupables car il n’eut jamais de procès politique en Guinée (à part celui en cours ). Qu’elle soit inscrite dans la Constitution et rééditée tous les ans pourrait être envisageable.
- Enfin, l’institutionnalisation par une disposition juridique ou législative qui ferait de « Guinéen » le seul signe identitaire du citoyen à l’exclusion de toute référence ethnique ou régionaliste.
Le but de ces réflexions, c’est d’inciter l’Etat guinéen à mettre en place quelque chose de concret : une instance, une commission, un comité, un conseil, peu importe, qui tranche d’avec toutes les tentatives du passé, et du présent, pour une Guinée sans barrières.
C’est un plaidoyer fait de peines, d’amour, d’espoir car, celui qui a la chance de traverser un demi -siècle, a le devoir de léguer son expérience aux générations futures. L’enseignant plus que tout autre. L’écrit y participant et la plume étant mon arme, je dis : Guinéens ! Nous avons brisé les chaines de l’esclavage et de la colonisation. Pourquoi ne briserons-nous pas les murs qui nous séparent ?
Qu’est-ce qui nous empêche d’enjamber les barrières que la politique et les politiciens ont dressées entre nous pour nous embrasser en frères et sœurs? En Guinéens tout simplement !
Je dis : Ma sœur de la Basse-Guinée, mon frère de la Guinée-Forestière, mon cousin de la Haute-Guinée, mon adversaire de la Moyenne-Guinée, tendez la joue que je vous embrasse !
Donnez- moi l’accolade de la réconciliation qui enterre les violences politiques, les divisions et les replis ethniques pour fêter notre unité recouvrée !
J’en rêve. Toute mon enfance, auprès de mon père, militant de première heure du PDG-RDA, a été bercée par le rêve d’une Guinée unie. Rêve et combat qui l’engagent dans la lutte pour l’indépendance.
N’est-ce pas que « pour traverser les murs, (les briser), il suffit d’ouvrir les portes, ouvrir les ailes, ouvrir les rêves » ? Alors, pourquoi ne m’engagerais-je pas pour le dialogue, le pardon et la réconciliation de mon pays ?
Par Lamarana-Petty Diallo
lamaranapetty@yahoo.fr