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Le fabuleux destin d’un grand homme

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[dropcap]N[/dropcap]atif de Dacontah dans le Kakandé profond, Aboubacar Somparé était le fils de Amara et de Aïssata  Bayo. Après la mort prématurée de son père, il fut recueilli et élevé par le frère de celui-ci, Abou Yayo, instituteur de renom et dont il portait le nom.

Cet oncle, dont la bonté et la sagesse étaient reconnus de tous, exerça sur lui une influence considérable. D’ailleurs tout au long de sa vie, il ne cessera de vanter à son entourage les mérites de cet oncle si particulier.

Au sein de la grande famille Somparé, Aboubacar incarna fort bien le rôle du grand frère qui lui était échu. Dès que l’occasion se présentait, il rassemblait jeunes frères, sœurs et leurs amis pour leur donner des cours. Cela ne cessa que lorsque ses exigences professionnelles ne le lui permettaient plus.

Il était le grand baobab sous lequel venaient s’abriter tous les membres de la famille. Généreux et humble, il savait trouver chaque fois les mots justes pour réconforter et venir en aide aux parents en proie aux difficultés récurrentes du quotidien. Sa demeure était un gîte ouvert à tous.

Beaucoup de ses frères y trouvèrent refuge pour poursuivre leurs études. Il résolvait avec célérité et bonne humeur, dans la mesure de ses possibilités, les problèmes majeurs que pouvait rencontrer la famille. Si le patronyme Somparé jouissait déjà d’une certaine renommée, il l’a propulsé dans une autre dimension.

Il serait toutefois réducteur de limiter sa magnanimité à sa seule famille biologique. Comme l’ont témoigné ceux qui l’ont côtoyé, sa bonté était au service de l’humain détaché de toute considération ethnique, religieuse ou politique.

Il rendit d’éminents services à des guinéens de tous bords. Profondément bon et empathique, il avait constamment à cœur de traiter les gens avec délicatesse et décence. Le brillant homme d’Etat qu’il fut sut, dès ses premiers pas en politique, se placer au-dessus des clivages partisans pour mieux servir la Guinée dans toute sa diversité ; ce qu’il fit avec brio tout au long de sa riche carrière.

Scolarisé par son oncle Abou Yayo, il se révéla aussitôt brillant. L’exemplarité de son cursus scolaire et universitaire lui valut respect et considération auprès de ses camarades de classe qui ne tarissaient pas d’éloges à son sujet. L’amour de l’enseignement lui étant transmis par son oncle, il embrassa une remarquable carrière d’enseignant alors qu’il aurait pu se rendre en France pour étudier à l’école des hautes études commerciales.

Outre l’influence et les précieux conseils de cet oncle qui souhaitait tant sa réussite, il fut aussi encouragé par ses professeurs qui, séduits et convaincus par son talent et sa pédagogie, l’incitèrent vivement à opter pour l’enseignement ; choix qu’il ne regrettera guère.

La décision qu’il prit d’enseigner toute une génération de ses compatriotes est assez révélatrice de la fibre patriotique qui l’animait déjà. Là où beaucoup auraient trépigné d’impatience à l’idée de s’envoler pour l’Hexagone afin d’y poursuivre leurs études, lui, préféra contribuer à la formation et à l’émergence d’une élite intellectuelle guinéenne.

Après s’être fait remarquer par le Président Ahmed Sékou Touré, il fit irruption sur la scène politique pour ne la quitter qu’au crépuscule de sa vie. Son parcours politique fut jalonné de succès. Il occupa les postes les plus prestigieux au sein de l’administration guinéenne. A peine âgé de trente-six ans, sous Sékou Touré, il devint ambassadeur de Guinée en France. Le fait qu’il fut nommé si jeune à un poste aussi stratégique est assez illustratif de la confiance indéfectible qu’il inspirait à son mentor.

En effet, dans un contexte post-colonial parsemé de relations tumultueuses entre la Guinée et la France, il fallait une personnalité de sa trempe pour mener à bien la difficile mission qui lui fut assignée ; en l’occurrence favoriser et redynamiser la coopération franco-guinéenne.

Après avoir obtenu son indépendance de manière très courageuse voire héroïque, la Guinée subit les foudres du colonisateur qui mit tout en œuvre pour qu’elle fût isolée sur la scène internationale. Un climat fortement empreint d’inimitié s’instaura alors entre les deux nations. Des tentatives de déstabilisation du régime guinéen furent ourdies par Jacques Foccart, le monsieur Afrique du général De Gaulle.

Ce même Foccart avouera bien des années plus tard avoir injecté des faux billets dans l’économie guinéenne pour créer une poussée inflationniste visant à dévaloriser le syli, la monnaie nationale. Le contexte géopolitique mondial étant caractérisé alors par la bipolarisation, la Guinée, victime d’une féroce campagne de dénigrement orchestrée par le colonisateur et par conséquent rejetée par le bloc capitaliste, n’eut d’autre choix que de se tourner vers le bloc communiste.

Après ces années de tensions, le réchauffement des relations entre la Guinée et la France s’opéra en douceur. Aboubacar Somparé, en jeune diplomate réfléchi et tempéré dans ses moindres faits et gestes, assuma avec dextérité la haute responsabilité qui lui fut confiée. Il joua un rôle essentiel dans le rapprochement des deux pays.

A la mort de Sékou Touré en 1984 et après la prise du pouvoir par l’armée, il rentra au bercail pour continuer à servir sa nation. De retour au pays, il ne ménagea pas ses efforts, abattant d’énormes travaux dans tous les postes où il passa avec le sentiment du devoir pleinement accompli. Son passage au rectorat de l’Université Gamal Abdel Nasser en fit une personnalité très écoutée et appréciée des étudiants dans la mesure où il mit en place, dès son entrée en fonction, une politique axée sur la nette amélioration de leurs conditions de vie. Mieux il s’évertua à rehausser le niveau de l’enseignement supérieur.

Au début des années 1990, la plupart des Etats africains embrassèrent, sur fond d’influence et de contrainte étrangères, la démocratie comme système politique ; s’affranchissant ainsi du système de parti unique tant décrié et perçu comme l’un des principaux freins au développement du continent noir.

Eu égard à cette nouvelle donne, il renonça à sa fulgurante carrière administrative pour créer son parti. Ayant depuis ses débuts une conception fédératrice de la politique, il réussit à mobiliser bon nombre d’intellectuels autour de son projet. Ce pari audacieux de créer un parti politique composé d’intellectuels de haut rang, issus d’horizons divers, afin de présider aux destinées de la nation ne fit pas long feu pour diverses raisons qui demeurent non élucidées.

Il voulut rassembler la Guinée, tenant compte de sa riche diversité, autour d’un idéal commun : gouverner la nation en toute probité pour enclencher l’essor économique tant attendu. Par un concours de circonstances, il rejoignit le PUP (parti de l’unité et du progrès) du Président Général Lansana Conté.

En 1995, lors des premières élections législatives de notre nation nouvellement démocratique, c’est au terme de tractations houleuses et de querelles intestines qu’il s’écarta de la course à la présidence de l’Assemblée nationale en faveur d’Elhadj Biro Diallo. Il brigua le poste de secrétaire général du parti attendant patiemment son heure.

Tout venant à point pour qui sait attendre, il succéda quelques années plus tard à ce dernier, devenant ainsi la deuxième personnalité de l’Etat et par voie de conséquence le dauphin constitutionnel. En dépit de son exceptionnelle ascension aux plus hautes sphères du pouvoir, il ne se départit jamais de ses principes moraux et sut demeurer humble, affable et accessible à tous. Il ne se laissa jamais entraîner par la jouissance et l’ivresse du pouvoir, il garda les pieds sur terre et fut modéré dans tous ses actes.

A un moment où les errements du régime Conté agaçaient une large frange de la population, d’aucuns lui reprocheront peut-être de n’avoir pas été, à cet instant-là, assez courageux pour claquer la porte et créer son propre parti puisqu’il nourrissait une ambition présidentielle. Mais les choses étaient sans doute plus compliquées qu’on le croyait. Les coulisses du pouvoir sont complexes et parfois surréalistes.

Au-delà de toutes les analyses et les conjectures qui ont pu être faites et émises, son attitude peut surtout s’expliquer par son inflexible attachement à sa ligne de conduite directrice : la loyauté. C’est au nom de cette même loyauté qu’il préféra ne pas déclarer la vacance du pouvoir pour être Président de la République alors que constitutionnellement toutes les conditions étaient réunies.

Le Président Conté étant grabataire, la présidence de la République lui revenait de droit. Personne n’avait alors le droit d’empiéter sur ses plates-bandes. Nul n’était censé l’empêcher de briguer la magistrature suprême. Par-delà la loyauté qui lui était si chère, il sacrifia son ambition personnelle sur l’autel de la paix et de la concorde nationale. Plus que toute chose, il évita une effusion de sang à son pays.

En homme d’Etat chevronné, il a subodoré avec perspicacité la conséquence la plus plausible qui aurait pu résulter de sa prise du pouvoir. Le coup de force de la junte militaire après la disparition du Président Lansana Conté corrobora éloquemment ses craintes de voir son pays basculer dans une guerre civile. N’eussent été sa clairvoyance et son pacifisme, la Guinée aurait peut-être été le théâtre d’un conflit armé.

Aboubacar Somparé a tiré sa révérence en ce jeudi 2 novembre 2017 avec le sentiment d’avoir pleinement rempli sa vie et sa mission. Il laisse derrière lui un lourd et riche héritage que nous devons perpétuer pour le plus grand bien de notre chère patrie. Les obsèques exceptionnelles auxquelles il a eu droit témoignent de sa grandeur.

De vibrants hommages lui ont été rendus par les plus grands commis de l’Etat pour de bons et loyaux services qu’il a rendus à la nation. La patrie a été reconnaissante au grand homme qu’il a été. Sa mort a suscité un engouement historique sur toute l’étendue du territoire. La Guinée tout entière est meurtrie, endeuillée et profondément chagrinée par la perte d’un de ses fils les plus brillants.

Dimanche dernier, 5 novembre 2017, Dacontah était noir de monde ; une foule impressionnante venue des quatre coins de la Guinée l’accompagner dans sa dernière demeure. Je veux saluer ici la mémoire de ce haut fonctionnaire qui fut à la fois un homme de pensée et d’action, un humaniste, un pacifiste, un rassembleur et un visionnaire. Ce slogan résumerait mieux, selon ma très modeste opinion, son brillant parcours politique : un fédérateur au service d’un idéal commun : l’essor de la Guinée. Je ne saurais achever cet hommage sans demander à Allah Tout Puissant de lui accorder le paradis.

Par Makandé COUMBASSA
655 34 54 71 / 621 43 73 74
mcoumbassa1@yahoo.fr

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1 commentaire
  1. ELBANGOU dit

    juste pour des reactions

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