Le général Doumbouya face à l’héritage de ses devanciers : quelles leçons à tirer au profit de la Guinée ?
Devant la ferveur et l’enthousiasme suscités par l’accession à la souveraineté nationale, les populations adhérèrent massivement aux idéaux de travail, justice et solidarité (la devise nationale) véhiculés par les pères fondateurs. Naturellement, l’espoir était permis, vu la détermination de bâtir une nouvelle société libre, digne et fière comme motivation à cette adhésion populaire.
Cependant, la nouvelle donne semblait moins clémente à la propagande, au griotisme et à l’adulation. L’héritage des décennies de colonisation, dans la perspective de la construction d’une nouvelle nation, était lourd, les défis à relever immenses et les responsabilités à assumer titanesques dans un monde nouveau aux challenges presque insurmontables.
Il fallait se mettre vite au travail, sans distraction, pour répondre aux besoins légitimes des citoyens, enfin libres de toute domination coloniale étrangère. Faire émerger une mentalité nouvelle, avec un nouveau type d’hommes et femmes jouissant de leur pleine citoyenneté sous le leadership de leurs semblables, s’avéra ardu.
Les nouveaux maitres auréolés de l’étoffe de combattants de l’indépendance et de la liberté ne vont pas tarder à tomber vite dans le délire de la nouvelle puissance politique dont ils sont désormais les détenteurs en replacement du colon blanc.
Face à l’impuissance, aux faiblesses et limites à accomplir le rêve du peuple sans encombre dans le contexte qui prévalait, les dirigeants d’alors se lancèrent dans des campagnes de lavage de cerveaux, sous fond de glorification d’un homme, responsable suprême de la révolution, en instaurant un régime despotique, d’intimidation, de terreur et de cruauté sans précédent. Le culte de la personnalité est né. Partout dans le pays, les effigies et citations de Sékou Touré étaient affichées. La pensée unique du chef imposée comme idéologie et ligne à suivre.
Mais, tout ce mythe et la légende qui l’entourait s’effondrèrent comme un château de cartes, en avril 1984 avec la prise du pouvoir par le CMRN, a sa tête, le colonel Lansana Conte. Ce dernier résumant éloquemment la chute du PDG et de son leader dans son discours programme du 22 décembre 1985 en affirmant que « le 3 avril 1984, nous avons abattu une dictature sanglante ».
Lansana Conté réussira, certes, à réorienter la Guinée vers un système de gouvernance nouvelle caractérisé par le libéralisme économique, et plus tard le multipartisme. Mais son règne ne fut pas un long fleuve tranquille. De nombreuses dérives ont laissé une tâche noire sur son héritage comme président de la Guinée. Il échoua aussi à solidifier les acquis démocratiques obtenus pendant son règne, refusant de céder le fauteuil face la déception et la colère populaires contre son régime. Il mourra, affaibli, malade, déçu, avec certainement le sentiment d’avoir échoué dans sa mission originale. Déçu aussi de ceux qui le faisaient croire qu’il était immortel. Il laissa le pays dans une faillite totale.
Le successeur de Lansana Conté, le capitaine Dadis Camara n’a pas eu de temps pour peser sur le destin de son pays au même titre que ses prédécesseurs. Son pouvoir, bref, restera comme l’un des chapitres les plus douloureux dans l’histoire récente de la Guinée. Ayant voulu s’accrocher au trône, pensant être dans le cœur et l’esprit de ses concitoyens, il découvrit brutalement les réalités des coulisses de la politique, malgré la fougue et l’excitation qu’il affichait. Lui, qui disait, que le « destin était phénoménal », pensant avoir ses soutiens comme boucliers contre toute tentative de déstabilisation, a failli perdre sa propre vie dans le tourbillon sociopolitique de l’époque, caractérisé par de sombres intrigues, de luttes souterraines pour le pouvoir.
Néanmoins, pour un homme de sa trempe, on peut considérer qu’il est un exemple de résilience face aux obstacles de la vie. Il a vécu la gloire, la déchéance, un exil forcé, arrêté et emprisonné par la nouvelle junte, exfiltré ou évadé de prison, jugé publiquement et condamné à une lourde peine par la justice de son pays, enfin bénéficiaire d’une grâce présidentielle. C’est un remarquable exemple vivant des tumultes et mystères du pouvoir.
Le général Sékouba Konaté, a, lui, eu le mérite de conduire une courte transition pour rendre le pouvoir aux civils, mais ses qualités de leadership n’ont jamais convaincu et son magistère n’a presque laissé aucune trace significative comme héritage indélébile. Au lieu d’être le héros d’une ère nouvelle pour la Guinée en imposant des garde-fous pour la préservation de la démocratie à la fin de la transition qu’il a pilotée, l’officier militaire s’est effacé sans laisser aucune influence. Il est aujourd’hui presque relégué aux fins fonds de l’oubli de la mémoire collective.
Alpha Condé, qui s’est défini comme étant le premier président démocratiquement élu dans l’histoire de la Guinée, a vite montré ses limites dans la gestion d’un Etat. L’homme a manqué de vision, de tact et de compétence, jouant surtout la carte ethnocentriste teintée d’une vicieuse politique politicienne, se croyant plus futé et doué que tout le monde. Il n’a jamais cessé d’être l’opposant historique, pour devenir un vrai homme d’Etat. Poussé et encouragé par les louanges, les murmures et conseils des « sirènes révisionnistes », il acta lui-même son propre suicide politique dans sa quête d’un troisième mandat inopportun.
Ayant fait ce petit parcours rétrospectif de ces anciens dirigeants de notre pays, que peut-on s’attendre, maintenant, du général Mamadi Doumbouya ? Saura-t-il apprendre des erreurs et des fautes de ses prédécesseurs pour ne pas en commettre les mêmes ? Evitera-t-il de succomber sous le charme ensorcelant de ses actuels soutiens à une future candidature pour la présidentielle ? Mettra-t-il fin à toutes ces campagnes propagandistes de culte de la personnalité en sa faveur ? Sonnera-t-il la fin de la récréation et du divertissement qui battent leur plein en son nom ? refusera-t-il d’être la marchandise des chercheurs de privilèges et autres pseudo cadres qui excellent dans la démagogie, la manipulation, le mensonge et la fabrique des dictatures ?
Dans tous les cas, la Guinée a un besoin impératif de changement global pour amorcer un nouveau départ prometteur et durable, débarrassé des tares qui ont jalonné son parcours depuis 1958.
Doumbouya a toutes les cartes dans sa main, il a aussi l’histoire récente de son pays comme référence et guide dans ses intimes ambitions avouées ou non pour son peuple. Le reste réside dans l’inconnu que nous réservent les surprises du temps.
Almamy Kemo