Le 5 septembre 2021, les rues vibraient d’espoir. On croyait, naïvement moi le premier, qu’un homme en treillis, sorti des casernes, descendait du ciel pour délivrer le peuple des dérives d’Alpha Condé et de ses acolytes. Il parlait de justice et d’honneur, il était séduisant ; on l’a cru.

Aujourd’hui, je baisse les yeux, honteux devant ceux qui m’avaient prévenu. Je pense à mon ami Ibrahima Bah, à Berlin. Lorsque je lui disais que Doumbouya me rassurait en citant Rawlings, il m’avait répondu : « Il y en a qui se sont fait passer pour Mandela avant lui, mais qui se sont révélés des imposteurs. »

Le temps, ce juge qui ne trahit jamais, lui a donné raison. Avec le recul, je me sens ridicule à ses yeux.

Peu à peu, on découvre que cet « envoyé de Dieu » n’avait pas pour seule mission de renverser les institutions du pays, qui étaient devenues depuis longtemps des propriétés privées d’Alpha Condé, lui-même, d’ailleurs, considéré comme un saint de son temps.

Il a aussi renversé l’autorité du peuple et s’est octroyé une délégation du pouvoir de Dieu sur la Guinée. Il décide de la parole et du silence, de la richesse et de la ruine, de la vie et de la mort. Il accorde la grâce à qui il veut et la condamnation à qui il veut.

Dans ce pays où tout passe désormais par lui, où imams, prêtres et charlatans nous prêchent la soumission sous prétexte qu’il serait un « cadeau de Dieu » qu’il ne faut pas fâcher, la question que je me pose est simple : Faut-il encore prier Dieu ou Mamadi ?

Son image s’impose dans ses médias, dans l’espace public et même privé comme une icône, ses paroles se citent comme des versets. Certains le regardent avec une ferveur qu’ils n’ont plus pour le divin.

Ils murmurent le nom de Dieu dans la peur et l’hypocrisie, tandis qu’ils chantent celui de Doumbouya avec ferveur lors des mamayas organisées par ses prophètes.

Oui, Mamadi a fini par croire que le destin lui avait tout autorisé et tout confié. Mais n’est-ce pas peut-être parce qu’un peuple éprouvé en est venu à confondre la main du pouvoir avec celle de Dieu.

Aujourd’hui, la soumission qu’impose la force du pouvoir semble l’emporter sur la ferveur de la foi.

Dans nos foyers, la peur a pris le visage du silence. Les pères ne parlent plus, les mères prient en secret. Certaines familles espèrent retrouver leurs proches disparus dans un commissariat, d’autres dans une morgue.

Les plus malchanceuses, celles que Dieu semble avoir oubliées, ne les retrouveront peut-être jamais.

Je plains ces familles qui pleurent à voix basse. Condamnées au chagrin à perpétuité, elles murmurent dans leurs insomnies : « Dieu, fais que nos proches soient en prison, car c’est mieux que de ne pas savoir s’ils vivent encore. »

Le peuple, apparemment très croyant, est désormais désorienté, il ne sait plus s’il doit s’adresser à Dieu ou à celui qui règne à Sa place.

Pendant que le pouvoir décerne des médailles, les familles distribuent des photos d’enfants disparus. La Guinée est devenue un pays où la peur a pris la place de la foi, où l’on se prosterne par réflexe plutôt que par croyance, où l’on prie sans espérer, et où l’on chante le nom d’un homme pour s’assurer d’être épargné ou récompensé.

Pourtant, Dieu, Lui, ne règne ni dans les casernes ni dans les palais. Il ne gouverne pas par décret. Il vit dans la vérité, la justice, le courage et la compassion.

Aussi longtemps que le nom de Dieu restera murmuré, et celui d’un homme entonné, aussi longtemps que les mères prieront pour des prisons comme seul refuge pour protéger leurs enfants du pire, aussi longtemps que les vertueux seront traqués et que les pervers glorifiés,
Aussi longtemps que la peur remplacera la foi, la Guinée restera un pays sans horizon.

Car Dieu le vrai ne tombe jamais, mais ceux qui veulent s’asseoir à Sa place et leurs complices finissent toujours par tomber plus bas que terre.

Moustapha Ditinn Barry
Citoyen Guinéen