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Leçon publique, malaise national : quand l’État choisit d’enfoncer sa presse   

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L’ouverture du Forum sur l’avenir des médias, lundi 19 mai à Conakry, devait être l’occasion d’un dialogue apaisé et constructif entre les pouvoirs publics et les professionnels des médias. Ce rendez-vous, attendu dans un contexte de tension persistante entre l’État et les organes de presse, promettait un moment d’introspection partagée. Mais très vite, l’espoir d’un débat équilibré s’est dissipé.

Le Premier ministre Bah Oury, le président du CNT Dansa Kourouma, et le président de la HAC Boubacar Yacine Diallo ont donné le ton : celui de la sévérité, de la dénonciation, parfois de la stigmatisation. À leurs yeux, le diagnostic est sans appel : les médias seraient devenus un facteur de désordre, infiltrés par des agendas cachés, animés de dérives éthiques, de désinformations constantes, de manipulation de l’opinion, et d’une absence totale de professionnalisme. Une charge lourde, assénée sans nuance ni contrepoids.

Il ne s’agit pas ici de nier les manquements d’une partie de la presse guinéenne. Ils existent. Certains contenus dérapent. Certains journalistes cèdent à la facilité, à la précarité ou à l’activisme. Les failles de déontologie sont réelles et doivent être corrigées. Mais une introspection lucide ne peut être un procès à charge. Or, ce que le Forum a offert en ouverture, c’est une entreprise de fragilisation systémique, appuyée par des hautes personnalités de l’État.

Où était la volonté de compréhension mutuelle ? Où était l’effort d’équilibre dans le propos ? Où étaient les responsabilités partagées ? Rien ou presque n’a été dit sur les restrictions infligées aux médias depuis plusieurs mois, sur le musellement de certaines voix critiques, sur le brouillage des radios et télévisions, sur le blocage de sites web et des réseaux sociaux mais aussi sur la fermeture de grands médias audiovisuels du pays, envoyant plus de 500 employés au chômage. Rien sur la pression économique asphyxiante exercée sur les rédactions. Aucun mot sur la rupture brutale de confiance, ni sur les décisions administratives souvent prises sans concertation ni recours.

Ce forum aurait pu marquer un tournant. Il restera peut-être comme un rendez-vous manqué. Celui où ces hauts commis de l’État, plutôt que de reconnaître aussi leur part de responsabilité dans la crise actuelle de l’information, ont choisi de sermonner un secteur déjà affaibli. Un moment où l’on aurait pu parler beaucoup plus de régulation, formation, éthique, accompagnement. Mais le curseur a trop penché du côté de l’accablement.

Le contexte rend cette posture d’autant plus regrettable. La presse guinéenne traverse une période de grande fragilité. Les conditions de travail sont de plus en plus précaires, la survie économique des médias est menacée, les journalistes travaillent souvent sans sécurité sociale, sans contrats stables, parfois sans formation continue. Dans cet environnement difficile, il est légitime de s’interroger sur la responsabilité des uns et des autres. L’État n’est pas un observateur neutre dans cette crise. Il est un acteur central. Il a, depuis des mois, accentué la pression, et donné le signal d’un recul de la liberté d’informer.

Que dire aussi de l’image projetée à l’extérieur ? Des participants venus de plusieurs pays d’Afrique ont assisté, dès l’ouverture, à une mise en accusation publique de la presse nationale par ses propres dirigeants. Plutôt que de faire preuve d’élégance institutionnelle et d’ouvrir un espace d’écoute, l’État guinéen a offert le spectacle d’un pouvoir sûr de lui, sourd aux critiques, et visiblement peu enclin au dialogue.

Certes, Bah Oury, Dansa et Yacine ont évoqué du bout des lèvres la nécessité d’une presse plus responsable, plus utile à la Nation, et plus respectueuse de l’éthique. Mais cet appel, bien que légitime dans le fond, est resté noyé dans une rhétorique punitive. Car on ne renforce pas un secteur en le stigmatisant. On ne redonne pas confiance à des journalistes en les humiliant publiquement. Et on ne construit pas une démocratie inclusive en isolant l’un de ses piliers.

Il y a quelque chose d’injuste dans ce traitement réservé à la presse. Quelque chose d’inélégant, surtout venant de personnalités qui, hier encore, sollicitaient les mêmes médias pour faire entendre leurs voix. La reconnaissance ne devrait pas disparaître une fois le pouvoir acquis. La critique, elle, peut être ferme sans être destructrice. Elle peut exiger sans écraser.

La Guinée a besoin d’une presse forte, formée, libre et responsable. Mais elle a aussi besoin d’un État qui protège la liberté d’informer, qui régule avec justice, qui écoute avec humilité. La transition se veut refondatrice : elle ne réussira pas sans une presse debout, respectée, pleinement impliquée dans le projet républicain.

Le Forum continue. Il peut encore changer de cap. Mais pour cela, il faut plus qu’un agenda : il faut un esprit de dialogue. Et ce dialogue ne peut être à sens unique.

AD Thiank, Journaliste  

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