Le cap des législatives guinéennes est passé, le Parlement installé, le gouvernement remanié. Ça y est, le pays peut avancer. Ce n’est qu’en avril que commencera le vrai travail parlementaire pour les 113 députés guinéens – le 114e refusant de siéger – avec l’examen des projets de loi transmis par le gouvernement, les débats, l’audition des ministres en sessions plénières ou en commissions.
Mais l’installation de l’Assemblée nationale mi-janvier a déjà donné le ton de la législature. Qu’ils soient dans la majorité ou dans l’opposition, les députés ne feront pas de leur institution une simple chambre d’enregistrement ou un appendice de l’exécutif.
Cette étape qui, trois ans après l’élection d’Alpha Condé, candidat du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) au sein de l’Alliance Arc-en-Ciel, parachève l’édifice institutionnel du pays, ouvre surtout des perspectives de consolidation du cadre démocratique. L’opposition, emmenée par l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) de Cellou Dalein Diallo et l’Union des forces républicaines (UFR) de Sidya Touré, n’aura plus besoin de faire descendre ses militants dans la rue. Elle dispose désormais de la tribune parlementaire pour interpeller le gouvernement, auditionner de hauts fonctionnaires, procéder à des enquêtes… En un mot, exercer ses prérogatives constitutionnelles. Quoi de plus normal, même en Guinée, où la loi fondamentale consacre le régime présidentiel.
S’occuper des vraies urgences du pays
Pourtant, le grand bénéficiaire de l’apaisement du climat social et politique devrait être l’exécutif. Libéré des pesanteurs de sa rivalité avec ses opposants, il pourra enfin s’occuper des vraies urgences du pays. Et Dieu sait qu’elles sont partout : eau, électricité, éducation, forces de sécurité, économie… En trois ans, des progrès ont été accomplis dans la gestion des deniers publics, avec le retour de l’unicité de caisse (avant, chaque ministère avait la sienne), et dans la passation des marchés publics et des contrats miniers. Une performance pour un pouvoir qui n’a trouvé que 400 dollars (300 euros) dans les caisses de la Banque centrale de Guinée lors de son installation. Toutefois, le chemin pour remettre le pays sur les rails est encore long. D’où la formation d’une “équipe de choc’’ autour de Mohamed Saïd Fofana, lors du remaniement gouvernemental du 20 janvier.
C’est sans doute plus pour sa loyauté que pour son bilan ou son leadership que le chef de l’État a reconduit le Premier ministre. Dans le cas des ministres en revanche, l’obligation de résultats a joué. Les méritants ont été maintenus ou promus, comme François Lonsény Fall, qui reste aux Affaires étrangères, ou Kerfalla Yansané, qui passe des Finances aux Mines. D’autres ont été remerciés. C’est le cas de Papa Koly Kourouma (Énergie) et Ousmane Bah (Travaux publics). La profondeur du remaniement semble traduire une volonté d’accélérer la cadence des réformes, avant que le pays ne soit rattrapé par ses vieux démons. Objectif : des résultats, des résultats et encore des résultats, qui seront portés au bilan de l’exécutif à l’orée de la campagne pour la présidentielle de 2015. Le gouvernement Fofana II devrait pouvoir s’appuyer à cet égard sur le dégel des aides internationales – en particulier celle de l’Union européenne, qui a annoncé fin janvier la reprise de sa coopération avec la Guinée -, ainsi que sur le retour des investisseurs étrangers.
En politique ‘’impossible’’ n’est pas guinéen
Reste que les divergences entre la majorité et l’opposition sur l’organisation des élections, certes surmontées, n’ont pas été réglées. Si elle a accepté les résultats des législatives après la médiation internationale, l’opposition demande toujours une composition plus équilibrée de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), une révision transparente des listes électorales et un opérateur technique plus neutre que le tandem guinéo-sud-africain retenu pour les législatives. Ces désaccords pourraient réapparaître dès les élections locales, prévues cette année, et se durcir lors de la présidentielle de 2015. Un scrutin qui s’annonce plus disputé que le précédent.
En effet, les législatives ont équilibré le rapport de force entre la majorité (60 sièges) et l’opposition (54) au Parlement. De toute évidence, il ne reste plus grand-chose de l’Alliance Arc-en-Ciel qui a porté Alpha Condé au pouvoir en 2010. Le RPG demeure certes la première force politique du pays avec 53 députés, mais ses alliés n’ont remporté que 7 sièges. En face, l’UFDG (37 sièges) et l’UPR (10) ont confirmé leur avancée, suivis, de loin, par l’Union pour le progrès de la Guinée (UPG, de Jean-Marie Doré, 2) et par le Parti de l’espoir pour le développement national (PEDN, de Lansana Kouyaté, 2).
Mais l’opposition semble désunie. La bataille dans ses rangs entre Jean-Marie Doré et les autres candidats pour la vice-présidence de l’Assemblée a montré leur difficulté à s’entendre. Autre inconnue : la mise en œuvre de l’accord du 3 juillet 2013, signé sous l’égide de l’Algérien Saïd Djinnit, le facilitateur nommé par le secrétaire général des Nations unies, et qui avait permis la tenue des législatives.
Des difficultés persistent, mais soyons optimistes car, en politique, ‘’impossible’’ n’est semble-t-il pas guinéen. On se souvient des quatre mois douloureux entre les deux tours de la présidentielle de 2010, des deux années de reports des législatives… Élections que l’opposition n’a finalement pas boycottées, et dont elle a admis les résultats pour, enfin, siéger dans l’hémicycle. Les Guinéens trouveront toujours des compromis pour faire avancer la démocratie. Mais ils perdent un temps précieux et devraient s’attaquer aux urgences.
Par Seidik ABBA (Jeune Afrique)