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Les Assises nationales de la réconciliation : une autre faute du Président de la transition 

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Le Colonel Mamadi Doumbouya [dropcap]L[/dropcap]a mémoire collective divise en Guinée. L’Etat guinéen ne s’est jamais doté de politiques mémorielles. Au contraire, il s’est toujours doté de politiques d’oubli de commandement à travers plusieurs actions.

Les Assises nationales de la réconciliation

L’une d’elles est le changement de nom du Camp Boiro et la démolition de l’univers concentrationnaire en son sein, la rénovation du pont des pendus de 1971. Les actions les plus récentes de décret de l’oubli est le changement de nom de l’aéroport International de Gbessia en lui donnant le nom du défunt du premier Président du pays (pas qu’il ne le mériterait pas, mais la décision a divisé les Guinéens et a ravivé les tensions sur le sens à donner à notre histoire ; elle a même aggravé la fracture mémorielle).

Pendant plus de 60 ans, le temps n’a pas permis le travail de deuil et de mémoire. Il nous a imposé le silence et les oublis. Pendant longtemps, on n’a pas voulu poser les questions mémorielles, nous les avons tues. Nous avons couvert de voile publique notre histoire depuis l’accession à l’indépendance, celle d’avant a été ressassée au besoin pour justifier ou appeler la paix.

Notre histoire est faite de violences et est donc douloureuse. Peut-être est-ce bien pour cela que l’avions couverte de voile pudique !  Un peuple qui n’affronte pas son passé n’y tire aucun enseignement. Il court le risque de répéter indéfiniment ses erreurs et d’aller les yeux bandés vers l’avenir imprédictible. La lumière du passé devrait nous éclairer. Un pont aurait dû exister entre notre passé et notre avenir.

Dans son allocution de fin d’année à la nation, le Président de la Transition a  proposé les Assises Nationales sur les questions mémorielles : dénommées  journées de Vérité et  pardon. Elles doivent, a-t-on compris, permettre aux Guinéens de rechercher la vérité sur les violations des droits humains, leurs causes et conséquences. Aussi, elles doivent permettre   aux membres de la nation d’opposer leurs variantes historiques, les confronter, discuter  et  se mettre d’accord sur ce qui nous divise tant dans la perception du fait historique que dans son interprétation.  Peut-être pourront-elles aussi donner un sens à notre histoire depuis l’indépendance.

Les Assises Nationales sur les questions mémorielles ressemblent aux Conférences Nationales tenues dans les années 1990 dans certains pays du continent (le Bénin, la République Démocratique du Congo, le Congo, le Togo, le Tchad, etc.,). Celles-là ont été des farces  tant elles ont échoué dans leurs ambitions : les anciens  régimes ( ceux qui les ont organisées ou ceux à qui les demandes ont été faites par les  groupes d’opposition) ont conservé le pouvoir en  manipulant les conférences souveraines  ou en fraudant  dans les élections, les constitutions qu’elles ont permis de faire adopter n’ont pas tenu compte des réalités et aspirations des peuples même si elles ont institué les limitations des mandats devant favoriser  les alternances démocratiques.

Le CNRD et son président se tromperaient en croyant que les Assises sur la Réconciliation Nationale permettraient de solder le contentieux historique opposant les Guinéens (du moins un certain nombre) et leur Etat et l’Etat et ses propres valeurs proclamées.  Les raisons en sont :

  • Premièrement, les assises nationales sur les questions mémorielles  seront des cadres de rencontres formelles entre   quelques personnes supposées détenir une certaine vérité sur notre histoire.  Celles-là viendraient y dire leurs vérités. Les  vraies victimes  ou celles supposées, les vrais protagonistes de l’histoire y manqueraient pour le plus grand nombre à  y livrer leurs récits. Ces assises seraient une sorte de capture des paroles muettes. Or la priorité doit être donnée aux victimes, ce qui aurait double vertu : la reconnaissance de leur dignité d’hommes et de femmes, la quête de la catharsis.
  • Deuxièmement, concernant certaines périodes de notre histoire, les vrais témoins et acteurs sont soit décédés ou frappés par le poids de l’âge les exposant aux défauts de la mémoire individuelle. Qui viendra y dire leurs vérités, leurs témoignages ?  Avec la surabondance du  nombre de récits sur notre histoire, le problème de récits authentiques se pose.
  • Troisièmement, la liberté de ton accordée aux personnes opposées  sur le sens à donner à notre histoire depuis l’indépendance, la mémoire collective va avec les risques de dérapages verbaux. Certaines formes de violences peuvent y avoir lieu : celles symboliques et verbales.  Il est difficile que les Guinéens se mettent d’accord sur la mémoire collective  par les joutes oratoires, les narrations ou leurs confrontations. Ce serait très facile sur certaines autres  questions : l’éducation, la justice, la santé, etc. Les Assises auraient-elles d’autres vocations que celles évoquées ?
  • Quatrièmement, certaines vérités ne se disent pas dans un espace public. Comment une femme viendra-t-elle dire en public comment elle fut violée ? D’ailleurs, voudrait-on que de tels récits s’y tiennent ? Certaines formes de vérités  doivent avoir un cadre d’expression approprié : le huis clos, ce qui est contraire au principe des Assises qui voudrait que tout soit dit et publiquement.
  • Cinquièmement, les vérités à découvrir sur notre histoire ne  sont pas que celles individuelles ou celles issues de leurs confrontations (que je qualifie de dialogiques) ; elles sont  aussi factuelles et essentiellement celles-là : proviennent d’archives, de preuves matérielles (charniers, les échanges épistolaires, etc.,).
  • Sixièmement, les Assises réduisent l’idée de la réconciliation nationale. Elle ne saurait reposer sur les seules  recherches et manifestations de la vérité. Sans la justice, les réparations que vaudra-t-elle ? Une farce !
  • Septièmement, les Assises se veulent courtes et inclusives. Or la brévité n’est pas gage de l’inclusion et donc de l’efficacité.

Les Assisses Nationales, bien que nobles par leurs intentions, ne conviennent pas à la réconciliation nationale.  Elles déboucheraient à une fabrication du consensus mou, velléitaire et abscons sur les questions mémorielles. Alors que faudrait-il faire ? Il faut, et cela urge, mettre en place une Commission de Réconciliation Nationale.

Elle aura pour mandat se recueillir sur la période de 1958 à nos jours les faits et récits sur les violations de droits humains (causes, conséquences, acteurs). Elle nous proposera des formes de justice à privilégier selon les sous-périodes correspondant aux mandats des différents régimes. Elle proposera les formes de réparations et les réformes à appliquer. Elle devra avoir des sous-commissions : d’auditions (publiques ou à huis clos) et d’enquêtes, de réparations, de communication et de réformes.

En 2011, le Président Alpha Condé a mis en place une Commission Provisoire de Réflexion sur la Réconciliation Nationale(CPRN) présidée par le premier Imam de la Mosquée Fayçal, Elhadj Mamadou Saliou Camara, et l’Archevêque de la Ville de Conakry, Monseigneur Vincent Koulibaly.

Le 15 décembre 2011, elle a initié une journée de réflexion sur la réconciliation nationale ; les organisations de défense des droits humains, les associations des victimes des violations des droits humains et quelques personnes ressources y avaient pris part. Puis, la CPRN a recueilli sur tout le territoire national et dans la diaspora les avis et les souhaits des Guinéens sur la réconciliation nationale.

L’une des conclusions de son rapport rendu le 27 juin 2016 au Président de la République, de plus de 241 pages, était : la mise en place d’une commission Vérité-Justice- Réconciliation par voie législative. Il faut rappeler que la commission avait   recueilli les avis des Guinéens sur la réconciliation nationale à travers des enquêtes auprès d’un échantillon de 4 898 personnes, 56 rencontres communautaires, 732 interviews individuelles et 104 focus group.

La Charte de la Transition a assigné au CNT la poursuite du processus de réconciliation : « contribuer à la réconciliation nationale », (article 57).  Etant le CPRN avait recommandé que la Commission de Réconciliation soit créée par voie législative, il est incompréhensible que le CNRD ait trahi l’idée de la Charte qui voulût que le CNT mît en place par voie législative une Commission de Réconciliation en instituant les Assises Nationales de la Réconciliation.

La façon par laquelle le CNRD traite les questions mémorielles est préoccupante tant il multiple les maladresses aussi bien au niveau de la pensée que dans les actions.  On en vient à se demander qui pense  pour lui.  Le CNRD doit se garder d’importer des modèles aussi bien de réconciliation que de transition.  Les réalités des pays ne sont pas interchangeables.

Le Mali dont il semble s’inspirer n’a pas fait les Assises Nationales de la Réconciliation, mais de la Refondation. Il y  existe une Commission de Réconciliation, celle-là poursuit ses auditions. Au Mali, avec le changement de la trajectoire de la transition,  tout devait y changer. Or le peuple malien devait dire ce qu’il pensait, d’où l’idée d’instituer les Assises Nationales de la  Refondation.

En Guinée, le CNRD a déjà consulté les Guinéens, il s’est refusé de se prononcer sur la durée de la transition. Le CNT nous la dira. Il doit aussi  poursuivre le processus de réconciliation nationale déjà entamé depuis 2011 à travers la mise en place de la CPRN.  Il ne faut pas dépouiller le CNT de ses prérogatives, il ne faut pas aussi mimer les institutions d’ailleurs.

Ibrahima SANOH
Citoyen et écrivain

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