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Libres propos sur les relations tumultueuses entre la CEDEAO et l’AES : le contexte actuel serait-il favorable à un rapprochement ?

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Les dernières ruptures démocratiques dans la sous-région ont révélé les limites de l’organisation  communautaire en matière de gestion des crises. La CEDEAO est dotée d’un levier politique, diplomatique et coercitif important pour prévenir et sanctionner les changements anticonstitutionnels de gouvernement dans ses Etats membres.

Traditionnellement, elle s’implique aussi dans les processus de transition pour le retour rapide à l’ordre constitutionnel en cas de coup d’Etat de militaire. Aujourd’hui, il est regrettable de constater que l’organisation a du mal à affirmer son autorité. La mise en œuvre de sa politique coercitive rencontre d’énormes difficultés, entrainant parfois la radicalisation des autorités des Etats sanctionnés.

La réaction de la CEDEAO aux différents coups d’Etat intervenus dans la sous-région (Mali, Guinée, Burkina Faso, Niger) par l’adoption des sanctions n’a pas favorisé le retour à l’ordre constitutionnel dans ses Etats respectifs. Par contre, le délai pour restaurer la situation normale s’est rallongé au fil des années. L’action communautaire a surtout accentué la crispation des positions entre les Etats cibles de sanctions et les Etats censeurs, regroupés au sein de la CEDEAO.

C’est dans ce contexte de tension que trois de ses Etats membre ont  conjointement dénoncé le traité fondateur de la CEDEAO et ont annoncé leur départ de la Communauté. Ainsi, le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont décidé de mettre sur pied une nouvelle architecture de sécurité collective et d’assistance. Elle est dénommée ‘‘Alliance des Etats du Sahel’’ et a pour objectif principal de faire face aux défis sécuritaires dans la région Liptako-Gourma. Admettons–le : la Charte du Liptako-Gourma du 16 septembre 2023 met en place une alliance de sécurité collective de ‘‘circonstance’’.

Le sommet extraordinaire de la CEDEAO prévu, à la fin de l’année, sera – à n’en point douter – déterminant pour l’avenir de l’Organisation en particulier et de l’intégration en général. Les enjeux sont énormes pour la diplomatie ouest africaine.

La CEDEAO sera-t-elle en mesure de trouver les moyens politiques et diplomatiques pour maintenir les Etats du Sahel précités dans la Communauté ou sera-t-elle dans l’obligation d’acter la rupture entre elle et ses trois pays ?

Il faut en convenir, la réponse n’est pas aisée. L’avenir de ce couple aux relations tortueuses ne dépendra pas seulement du sommet annuel à venir des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Organisation sous régionale. La prise en compte de la reconfiguration géopolitique régionale et internationale ne doit pas être occultée. Néanmoins, plusieurs facteurs peuvent concourir à un éventuel rapprochement entre la CEDEAO et l’AES.

Au prochain sommet de la CEDEAO, la situation politique et sécuritaire dans l’espace communautaire sera au centre des préoccupations. Evidemment, les processus de transition au Mali, en Guinée, au Burkina Faso et au Niger seront à l’ordre du jour, sans toutefois exclure d’autres questions. L’instance communautaire doit mettre en œuvre tout son arsenal politique et diplomatique pour éviter la désintégration et la sortie des Etats du Sahel, qui sont désormais regroupés au sein de l’AES, de la CEDEAO.

Pour ce faire, la Conférence doit, d’abord, suivre la récente ouverture politique au Mali (la libération des prisonniers politiques, acteurs principaux du processus de transition du pays) et le changement de gouvernement au Burkina Faso pour encourager la relance des processus politiques dans ces pays. Elle doit accompagner ces Etats pour amorcer un nouveau  calendrier de sortie de crise, à la fois inclusif et  crédible.

En effet, la CEDEAO n’a pas une position figée. Son action évolue de manière graduelle en tenant compte des facteurs pluriels. Certes, au début de son engagement contre les putschs militaires, elle a employé la contrainte pour restaurer l’ordre démocratique. Mais, la situation actuelle dans la sous-région et dans le monde, marquée par les luttes d’influences, les guerres de positionnement et surtout  l’instrumentalisation de la diplomatie coercitive régionale et multilatérale, exige le pragmatisme et l’adaptation aux évolutions des relations internationales.

Ensuite, l’instance décisionnelle de l’Organisation, à savoir la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement, doit mettre à son profit la décrispation diplomatique entre les Etats de l’AES et leurs voisins directs. C’est le cas du rapprochement entre Niamey et Cotonou. Il a été noté la libération des agents pétroliers nigériens qui étaient détenus au Bénin, la réouverture des frontières entre ses deux pays et la reprise des relations diplomatiques concrétisée par la nomination d’ambassadeurs dans l’un comme dans l’autre. Tous ces éléments peuvent être favorables à un dialogue sincère entre la CEDEAO et l’AES. Il faut privilégier le palabre.

Enfin, le nouveau ordre mondial qui se profile rend impératif le rapprochement des positions sur des questions internationales : sécurité, défense, environnement ou le commerce international. Quelles soient  régionales ou internationales, les Etats de la  CEDEAO et les Etats de l’AES doivent s’unir pour défendre leur intérêt.

Comment parvenir à cet éventuel rapprochement ?

La CEDEAO doit impérativement réintégrer les processus de transition dans ces Etats en crise constitutionnelle. Le nouveau président de la Conférence qui sera élu ou reconduit à l’issue du sommet doit tout faire pour relancer le dialogue entre les forces en présences. Dans ce cadre, il peut désigner un émissaire ou un envoyé spécial commun pour ces Etats ‘‘rebelles’’.

Il peut également nommer un médiateur pour chaque pays si la situation l’exige en prenant en compte la réalité de chaque situation. Il faut redéfinir un nouveau plan de sortie de crise pour ses pays avec une feuille de route crédible, transparente et inclusive. L’organisation doit accompagner ces Etats pour la mise en place d’un processus lisible avec un délai concerté et accepté par tous les acteurs. Certains acteurs ou puissances régionales peuvent jouer un rôle central dans cette perspective de rapprochement entre la CEDEAO et l’AES.

Premièrement, le Sénégal compte tenu de son poids diplomatique et de la légitimité démocratique de ses nouvelles autorités, Dakar a un bon profil auprès des autorités en transition afin de faciliter les pourparlers pour le retour à l’ordre constitutionnel dans ces États susmentionnés. En effet, il y a une convergence de vue sur certaines questions entre Dakar, Bamako, Niamey et Ouagadougou.  Il s’agit principalement des questions de souveraineté, du panafricanisme, de la présence des forces étrangères en Afrique, de la nécessité de reformer les institutions internationales comme le Conseil de Sécurité. C’est un aspect non négligeable dans le contexte africain.

Au regard de leur légitimité démocratique, les autorités sénégalaises pourront enfin porter la voix de l’instance politique de la CEDEAO pour régler définitivement le problème de la candidature des autorités militaires en vue d’un retour à l’ordre constitutionnel. Cette question est centrale pour la prévention des changements anticonstitutionnels de gouvernement en Afrique, ainsi que pour sanctionner ses auteurs. Certes, étant une question sensible, mais il faudra briser le tabou pour sortir ces différents pays dans cette crise constitutionnelle qui a trop duré.

Deuxièmement, la Guinée entretient des relations particulières aussi bien avec la CEDEAO que les Etats de l’AES. Conakry  à l’image des autres capitales des Etats de l’AES est sous sanction de la CEDEAO avec des degrés différents. Les autorités guinéennes maintiennent le flou sur leur intention de quitter ou non de la CEDEAO. Du côté d’Abuja, on exclut toute possibilité de prendre des mesures de contraintes contre les militaires au pouvoir en Guinée. Ce statuquo rend la situation guinéenne très singulière. C’est pourquoi, la diplomatie guinéenne peut constituer un relais entre la CEDEAO et les pays de l’AES. Elle doit plaider pour le renouement du dialogue, le rapprochement entre les parties et défendre les causes des Etats en transition.

Troisièmement, le Togo peut être utile pour la conciliation entre la CEDEAO et l’AES. En effet, depuis le début de différentes crises, Lomé se singularise par sa neutralité contrairement à d’autres pays de l’Organisation qui avaient ouvertement pris position en condamnant les coups d’Etat. La diplomatie togolaise a des actifs concernant les relations entre les Etats de la CEDEAO et ceux de l’AES.

Pour rappel, c’est sous l’égide de la diplomatie togolaise que la crise ouverte entre le Mali et la Cote d’Ivoire a été résolue avec la libération des soldats ivoiriens. Dernièrement, Lomé a œuvré pour la libération des deux gendarmes ivoiriens détenus au Burkina Faso. Tous ses éléments nourrissent l’espoir d’un renouveau de la diplomatie sous régionale. Il faudra que tous les acteurs s’impliquent pour renouer la confiance et le dialogue entre la CEDEAO et l’AES. Envisager une fracture au sein de la Communauté dans un monde caractérisé par la lutte d’influence et la guerre des positionnements est un grand risque pour la sauvegarde et la défense des intérêts des pays africains.

C’est le moment de conclure et de partager l’avis du professeur Abdoulaye Soma, selon lequel, les relations entre AES-CEDEAO, marquées par des antagonismes, mais également par une complémentarité nécessaire, doivent donc passer du « je t’aime, moi non plus » à « je t’aime malgré moi ».

Amadou Lamarane BAH et Ibrahima Alhousseyni SALL
Diplômés en Relations internationales
Doctorants en Droit Public : FSJP/UCAD
Contacts : amdoulemaire@yahoo.fr
sallfode@gmail.com

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