L’inéligibilité du militaire en activité : une exigence constitutionnelle absolue et un impératif républicain de neutralité
L’affirmation selon laquelle un militaire en activité, fût-il Chef d’État en transition, pourrait se porter candidat à la magistrature suprême sans démissionner procède d’une lecture dévoyée du droit constitutionnel, entachée d’un relativisme dangereux pour l’ordre républicain.
Sous couvert d’une interprétation « souple » du droit, cette thèse sape en réalité l’un des fondements essentiels de tout État de droit : la distinction organique entre le pouvoir armé et le pouvoir civil.
Cette prétendue flexibilité n’est pas seulement incongrue sur le plan juridique, elle est antinomique avec l’esprit républicain et antipatriotique dans ses implications, car elle autoriserait, sous des motifs conjoncturels, la confusion des genres entre la fonction militaire et la fonction politique, ouvrant la voie à la captation du pouvoir par la force.
I. La neutralité des forces armées : une norme constitutionnelle à portée impérative
L’article 186 de la Constitution guinéenne dispose sans ambages que : « Les Forces de défense et de sécurité sont républicaines et apolitiques. Elles disposent du droit de vote. Elles sont au service de la Nation et soumises à l’autorité civile légalement établie. Nul ne peut les détourner à ses propres fins. »
Ce texte constitutionnel, d’une clarté sans équivoque, institue une interdiction absolue de toute implication politique du militaire en activité.
En limitant explicitement ses droits politiques au seul « droit de vote », la Constitution opère une délimitation organique : le militaire ne peut ni participer au débat partisan, ni briguer une fonction élective tant qu’il demeure sous statut militaire.
Cette disposition n’est pas supplétive, mais impérative. Elle fonde l’architecture républicaine guinéenne sur un principe de subordination de l’armée au civil, corollaire du monopole démocratique de la légitimité politique. À ce titre, aucun texte ordinaire ne saurait y déroger, et aucune circonstance transitoire ne peut en suspendre l’effet.
II. La hiérarchie des normes ne peut justifier la violation du principe de neutralité
Certes, l’article 45 de la Constitution consacre le droit fondamental pour tout citoyen de se porter candidat à la Présidence de la République. Mais la jouissance de ce droit est conditionnée à la qualité de citoyen pleinement dégagé de toute obligation statutaire incompatible avec l’exercice du pouvoir civil.
Le militaire en activité n’est pas privé de ce droit : il en diffère simplement l’exercice jusqu’à sa démission. Ce n’est donc pas une négation du droit, mais une régulation conforme à la logique républicaine.
Assimiler la démission à une atteinte à un droit fondamental revient à méconnaître la conformité interne de la Constitution elle-même. Celle-ci articule la liberté politique avec les devoirs statutaires et c’est en vertu de cette articulation que la neutralité de l’armée prévaut. L’argument hiérarchique avancé par le tenant de la thèse contraire se retourne donc contre eux : la norme suprême, en consacrant l’apolitisme militaire, interdit toute candidature sans démission.
III. Les précédents africains : la démission comme passage obligé de la légalité et de la légitimité
L’histoire constitutionnelle récente du continent atteste que la démission du militaire candidat constitue une exigence constante et universelle.
En 2025, le Gabon a offert une illustration éclatante de cette exigence : le général Brice Clotaire Oligui Nguema, avant d’annoncer sa candidature à la présidence, a d’abord formalisé sa démission de l’armée. Ce geste n’était pas un simple acte symbolique, mais la reconnaissance juridique que la légitimité politique ne peut s’adosser à un statut militaire actif. Il s’agissait de rétablir la neutralité institutionnelle de l’armée, condition sine qua non de la sincérité du scrutin, comme l’exigent les lois gabonaises.
De même, la Guinée elle-même offre un précédent éclairant. Après le coup d’État de 1984, le président Lansana Conté n’a pu consolider son pouvoir civil qu’en abandonnant progressivement son statut militaire, marquant ainsi la distinction entre l’homme d’armes et l’homme politique. Dans ces deux trajectoires, la démission a constitué le passage obligé de la légalité et de la légitimité, signe d’un patriotisme supérieur à l’ambition personnelle.
IV. Le droit africain et international : une interdiction à valeur contraignante
Bien au-delà du cadre interne, les normes africaines et régionales consacrent la neutralité militaire comme une obligation juridique.
La Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance consacre expressément le principe de la neutralité des forces de défense et de sécurité, et condamne toute ingérence de celles-ci dans le jeu politique.
De même, le Protocole additionnel de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance interdit explicitement la participation des militaires en activité aux compétitions électorales.
Ces instruments, régulièrement ratifiés par la République de Guinée, s’imposent à l’ordre interne en vertu de la Constitution, qui confère aux traités dûment ratifiés une autorité supérieure à celle des lois ordinaires.
Par conséquent, toute interprétation visant à relativiser cette interdiction serait manifestement contraire à l’ordre juridique interne et international.
V. La confusion entre transition et dérogation : une erreur de raisonnement
L’argument consistant à invoquer la transition comme régime d’exception autorisant la candidature d’un militaire en activité relève d’une confusion conceptuelle.
La transition est un moment d’instauration, non de dérogation à la norme républicaine. Elle vise à rétablir l’ordre constitutionnel, non à le subvertir. Permettre à un militaire en activité de se porter candidat reviendrait à consacrer l’arbitraire au cœur du processus de restauration démocratique.
La doctrine constitutionnelle majoritaire considère que le contexte transitoire n’efface pas les principes républicains fondamentaux. L’État de droit ne connaît pas de parenthèse : il ne souffre que d’interruptions politiques que le droit doit précisément encadrer.
Ainsi, la démission du militaire en activité est le point de passage obligatoire de la restauration de la souveraineté populaire.
La démission : une exigence de loyauté constitutionnelle
La thèse selon laquelle un militaire en activité pourrait briguer la magistrature suprême sans démissionner se heurte à l’évidence juridique, à la logique républicaine et à la morale publique. Elle constitue une analyse biaisée, incongrue, partisane, touffue et anti-républicaine, car elle confond les droits du citoyen avec les prérogatives de l’État, et substitue à la norme constitutionnelle une lecture opportuniste du contexte.
La démission du militaire candidat n’est pas une contrainte formelle : elle est l’acte de loyauté par excellence envers la République. Elle sépare l’uniforme de l’urne, l’obéissance hiérarchique du choix démocratique, la discipline militaire du suffrage libre. C’est dans ce passage et dans ce passage seulement que s’accomplit la véritable conversion du soldat en citoyen.
Abdoulaye Bademba DIALLO Juriste légaliste,
Partisan de la République


Je suis persuadé que le Général Doumbouya respectera le statut militaire et la constitution du 21 septembre 2025.