La célérité avec laquelle la décision de mettre fin aux fonctions de M. Mandian Sidibé à la tête de l’Office guinéen de publicité (O.G.P) pour « mauvaise gestion » présumée contraste fortement avec l’absence de sanctions contre les personnes directement ou indirectement responsables de la survenue de drames ayant provoqué la perte de plusieurs vies de citoyens guinéens. Sujet ô combien important, la place accordée à la vie humaine dans la société guinéenne semble aujourd’hui banalisée, reléguée à une place secondaire et anecdotique.
Le fâcheux précédent du 5 septembre
Depuis l’arrivée de la junte militaire du CNRD au sommet de l’État guinéen, une caractéristique dramatique se dégage nettement de sa gestion du pays : la banalisation progressive et continue de la vie humaine.
Cette caractéristique s’est manifestée dès le coup d’État. Si les putschs perpétrés ces cinq dernières années sur notre continent se sont caractérisés, pour l’essentiel, par l’absence de violence et de pertes en vies humaines, la Guinée s’est malheureusement distinguée dans le mauvais sens.
En effet, le coup d’État du 5 septembre 2021 s’est soldé par un véritable carnage. Des personnes proches de la coalition autour du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG Arc-en-ciel) avancent que plus d’une centaine de personnes auraient perdu la vie lors de la prise du palais de Sekhoutoureya. Ainsi, pour la première fois de l’histoire de notre pays, des Guinéens sous la conduite de Mamadi Doumbouya ont ouvert le feu sur d’autres Guinéens dans le seul but de s’accaparer du pouvoir politique.
Le cynisme de la junte militaire, sans aucun égard pour la vie humaine, s’est surtout illustré lorsque ces militaires ont opposé une fin de non-recevoir aux demandes des familles des victimes de disposer des corps de leurs proches pour procéder à leurs inhumations. Ce refus a eu pour conséquence que ces corps ont disparu sans qu’on ne sache ce qui leur a été fait. Cette pratique devient ainsi la marque de fabrique du CNRD qui cherche systématiquement à empêcher les familles de faire leurs deuils. Le but caché serait d’atténuer l’émotion suscitée dans l’opinion publique par ces tueries à travers des cérémonies d’enterrement qui se multiplient tout en évitant de faire de ces victimes des martyrs identifiables et ancrés dans nos mémoires.
La confirmation de la banalisation de la vie humaine est intervenue pendant la transition avec plus de 60 jeunes guinéens abattus à bout portant par les forces de l’ordre en totale impunité. Pour l’heure, impunité également concernant les causes de l’explosion, dans la nuit du 17 décembre 2023, du dépôt de carburant de Coronthie, qui a fait au moins 25 morts.
Le pompon du drame de N’Zérékoré
Le comble du cynisme a été atteint à N’Zérékoré. Tout d’abord, sous l’égide du gouvernement de transition et de la présidence, ce tournoi de football a été organisé de manière inconséquente et irresponsable pour rallier des milliers de jeunes guinéens à la cause du maintien de Mamadi Doumbouya au pouvoir. Cet événement s’est déroulé dans un stade en rénovation, ne disposant que d’une seule voie d’accès et ne respectant pas les normes minimales de sécurité. La catastrophe qui en a résulté se monte à 135 personnes tuées et 50 autres disparues, selon le collectif régional des organisations de défense des droits humains. Le Haut conseil de la diaspora forestière lui fait état de plus de 300 citoyens guinéens tués lors de cette tragédie.
Ensuite, la cruauté du CNRD a refait surface à travers les nombreux témoignages qui estiment que des corps de certaines victimes auraient été directement transportés au camp militaire de N’Zérékoré, sans doute pour les soustraire du décompte final des victimes. En tout état de cause, de nombreuses familles sont encore à la recherche d’un des leurs et des vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux montrent des pères ou mères de familles inquiets de ne pas pouvoir être situé sur le sort de leurs proches. Le procédé reste ainsi le même, le CNRD ferait disparaitre les corps des victimes. Toujours dans le même but malsain d’atténuer l’émotion suscitée au sein de l’opinion publique.
Enfin, l’absence totale d’empathie et de compassion dont a fait preuve le général Mamadi Doumbouya à l’égard des victimes de N’Zérékoré est sans doute le sentiment qui illustre le mieux cette banalisation de la vie humaine. Aucune prise de parole pour dire son émotion et exprimer son regret. Le mutisme est total. Son « silence est d’or » selon le général Amara Camara. Comme pour dire que ces vies ne valent aucunement la peine d’être mentionné. Aucun déplacement non plus pour se rendre sur place à N’Zérékoré afin de partager le deuil de cette ville et se porter au chevet des familles endeuillées ainsi que de réconforter les nombreuses victimes blessées encore alitées pour certaines. Qu’on nous dise que Mamadi Doumbouya aurait des cailloux à la place du cœur ne surprendrait plus personne en Guinée.
Une honteuse supériorité des crimes économiques et financiers sur les crimes de sang.
Cet exemple du rapide limogeage de M. Mandian Sidibé à la suite de la levée de bouclier et des menaces de grève du personnel de l’OGP n’est qu’une dernière illustration de la scandaleuse hiérarchie désormais établie en Guinée en faveur des crimes économiques et financiers sur les crimes de sang. Des sanctions peuvent être prises par le général Mamadi Doumbouya dès lors qu’une mauvaise gestion ou une accusation de corruption est alléguée contre un haut responsable de la transition. Pour preuve, il n’y a qu’à citer les exemples de la décision de limoger en novembre 2022 M. Yaya Sow, ex-ministre des infrastructures, et sept cadres de son ministère pour corruption présumée ou celle de limoger en mars 2024 M. Amadou Doumbouya, directeur de la société nationale des pétroles (SONAP).
Mais jamais, aucune sanction n’est prise contre ceux qui tuent des Guinéens ou créent les conditions pour permettre la survenue des tragédies qui emportent nos concitoyens. L’impunité leur est garantie parce que la vie humaine n’a aucune valeur aux yeux de ceux qui nous dirigent.
Dans la tête des autorités de transition, les crimes économiques et financiers prévalent sur les crimes de sang. C’est cette logique qui a présidé dès les premières heures de la transition à la mise en place d’une Cour de répression des infractions économiques et financières (CRIEF) sans jamais penser à instituer un tribunal spécial pour juger les différentes tueries qui ont précédé la transition et celles qui se produisent pendant la transition.
Seulement deux semaines après la tragédie de N’Zérékoré, un autre tournoi de propagande est déjà annoncé à Conakry sans qu’aucune responsabilité ne soit encore située sur le drame de N’Zérékoré. Le Premier ministre, M. Amadou Oury Bah, qui est censé présider le comité de crise du drame de N’Zérékoré est aussi le président d’honneur du tournoi de Conakry. Tout ça pour dire que les responsabilités ne seront jamais situées. Le conflit d’intérêt est manifeste et apparent. Ils prennent les Guinéens pour du bétail qu’il est possible d’abattre par centaines sans lendemain et sans aucune justice pour les victimes. C’est immoral et scandaleux, de surcroit dans un pays qui pratique largement les religions monothéistes (l’islam en grande majorité et le christianisme pour une minorité).
Au peuple de rétablir l’ordre des choses
Jamais les autorités de transition ne prendront aucune disposition pour garantir le caractère sacré de la vie humaine dans notre pays. Elles sont désormais directement impliquées dans de nombreux cas de mort de nos concitoyens.
Il revient par conséquent à nous Guinéens de réaffirmer qu’il est inacceptable de banaliser à ce point la vie humaine dans notre pays. Il est de notre devoir, nous Guinéens, de signifier aux autorités de transition que nous attendons d’elles qu’elles respectent les âmes de nos compatriotes partis à jamais et que nous attendons d’elles que des responsabilités soient situées et que des têtes tombent enfin.
Faute de quoi, nous verrons se poursuivre dans notre pays cette honteuse prééminence des crimes économiques et financiers sur les crimes de sang.
Guillaume BANGOURA