Massacre du 28 septembre : le journaliste Amadou Diallo révèle comment il a été exfiltré par la BBC de Conakry vers Dakar
L’ancien correspondant de la BBC en Guinée, Amadou Diallo, assure qu’il était traqué par des éléments de la garde de Dadis Camara après la diffusion de son reportage sur les antennes de la station de radio britannique. Lors de sa déposition ce mardi 17 octobre dans le cadre du procès sur les évènements du 28 septembre, le journaliste a relevé comment il a quitté Conakry pour se réfugier à Dakar avec sa famille. Extraits.
« J’ai produit mon reportage dans lequel on entendait des coups de feu, parce que j’avais enregistré tout cela dans la débandade. Ce reportage, lorsqu’il a été diffusé dans les éditions du matin sur la BBC, mon calvaire s’est poursuivi.
La diffusion de ce reportage m’a créé d’autres ennuis. Parce que c’est à partir de là que la garde présidentielle a commencé à me chercher, à me traquer. Ils se sont dit qu’il faut mettre la main sur moi. J’ai commencé à recevoir des appels téléphoniques. J’ai reçu au moins trois appels. Le premier venait d’un militaire de la garde du capitaine Dadis Camara qui me connait et qui était ami à mes enfants. Il a appelé mes enfants pour demander si je suis à la maison, ils lui ont dit oui. Il leur a demandé de me dire de quitter, parce qu’on a parlé de lui.
J’ai appelé un colonel qui m’a aussi demandé de quitter ma maison. Il m’a dit : ‘Votre sécurité n’est pas assurée à la maison’. Le troisième appel venait d’un ancien ministre du dernier gouvernement du général Lansana Conté. Il m’a appelé le mardi 29 septembre à 23h pour me demander je suis où. J’ai répondu que je suis chez moi. Il m’a dit : ‘Tu ne dois pas être chez toi. Il faut quitter’. J’ai demandé pourquoi, il m’a dit de quitter. Je ne voulais pas partir. Il m’a rappelé 30 minutes après pour demander si je suis toujours chez moi. J’ai répondu Oui. Il a insisté pour que je quitte. Mon épouse que je remercie, a géré toute cette situation.
Je vivais avec ma mère qui avait 90 ans dans cette maison. Elle ne devait pas savoir que son fils a des problèmes avec les autorités. Mes enfants ne pouvaient pas comprendre. Le plus grand était au lycée. C’était difficile pour mon épouse de gérer tout ça. Je décide avec elle de quitter. Il était presque minuit. Nous étions dans un environnement funeste, dangereux. Personne dans la rue. Tout le monde se terre.
Ma femme m’a conduit chez mon ami Alhassane Sylla qui était le correspondant du service anglais de la BBC. Il logeait derrière l’ambassade des Etats-Unis à Koloma. Elle a repris le chemin toute seule pour rentrer à la maison. Il fallait prendre des dispositions pour que la famille quitte la maison. J’ai demandé à tout le monde de quitter. Mon épouse a amené ma maman à Ratoma chez mon frère ainé. Les autres sont sortis de la maison et ont pris la direction de Lansanayah pour se réfugier dans une famille amie.
On a quitté le quartier sans que personne ne le sache, sans dire au revoir à personne. Car nul ne devait savoir que nous avons quitté et où nous sommes cachés. Après quelques jours chez Alhassane Sylla, la BBC a décidé de m’envoyer dans un hôtel à Taouyah sous une fausse identité. Je ne pouvais pas dévoiler mon identité. Une dizaine de jours après, je suis sorti de l’hôtel. Je me suis concerté avec la famille, on est rentrés à la maison, mais pas pour longtemps, parce que la situation était difficile. Ma femme ne pouvait pratiquement pas partir au marché. Les enfants ne sortaient plus. On était barricadés. Des gens venaient dans le quartier en tenue civile pour demander où j’habitais.
Depuis le lendemain du massacre, je suis rentré dans la clandestinité jusqu’au jour où la BBC a décidé de nous exfiltrer pour aller à Dakar, au Sénégal. C’était compliqué. Il fallait partir par quelle voie ? La route ou l’aéroport. Avec la BBC, on a étudié la question et jugé qu’il fallait passer par l’aéroport, parce qu’on pouvait m’arrêter à la frontière par la route. Ça pouvait être une arrestation sans témoin. A l’aéroport, si on m’arrête, il y a des gens qui vont être témoins. Puisque je devais aller avec toute la famille, sauf ma mère. A cause de son âge, on a jugé que ce n’était pas nécessaire d’aller avec nous. Elle m’a demandé de la ramener au village. Mon épouse a pris le risque de la ramener au village. Une année après, elle est morte. J’étais déjà parti. Je n’ai pas pu vivre les derniers instants de ma maman. J’étais revenu en 2010 pour couvrir l’élection présidentielle. J’ai profité de l’occasion pour aller la saluer au village à Labé. Après ça, je n’ai plus eu la possibilité de la revoir.
Le jour où nous devions quitter Conakry pour Dakar, il était question de passer par l’aéroport. La famille devait être séparée. Il ne fallait pas qu’on sente que je sortais du pays avec ma famille. Ma famille est allée en première position pour faire les formalités. Je suis allé en dernière position. Des instructions fermes avaient été données à toute la famille pour que quand j’arrive à l’aéroport, personne ne vienne vers moi. Même à mon garçon qui n’avait que 3 ans, on avait dit de ne pas venir vers moi.
Quand je suis arrivé à l’aérport, le petit garçon a dit à sa maman : ‘Papa est arrivé’. Elle lui a dit ‘tu sais que tu ne dois pas aller vers lui’. Il a dit qu’il sait. Chacun est resté là où il était. J’ai fait les formalités et je suis rentré. Dans la salle d’attente, je me suis installé derrière, eux, ils étaient devant. C’est quand on s’est retrouvés à bord du vol que les enfants sont venus vers moi. Ils étaient contents ».
Abdoulaye Bella DIALLO, pour VisionGuinee.Info
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