Massacre du 28 septembre, un témoin charge Tiègboro : ‘’Des gendarmes qui étaient avec lui ont tiré et deux personnes sont mortes’’
Après la comparution des accusés, le procès du massacre du 28 septembre entre ce mardi dans sa phase de témoignages. Comme premier témoin, Oury Bailo Bah, assis dans un fauteuil roulant, raconte les circonstances du décès de son jeune frère au stade. Extraits…
« Mon frère Elhadj Hassane Bah devait assister au mariage d’un de ses amis (…). Le 28 septembre aux environs de 9h, je l’ai appelé parce que je savais qu’il y avait une manifestation. Il n’a pas l’habitude d’aller assister à des manifestations. Quand je l’ai appelé, il m’a dit qu’il était en attente de son ami quand la foule est venue à son niveau et il a suivi le mouvement. Il m’a dit qu’il est en route pour le stade du 28 septembre. Une fois sur place, je l’ai appelé, il m’a dit qu’il y a une grande foule et des gendarmes, ils se regardaient.
Un instant après, il m’appelle pour me dire que les gendarmes ont lancé du gaz lacrymogène mais il y a eu la pluie et les gens se sont dispersés. Les gens sont rentrés dans les quartiers de Landreah et Dixinn. Après la pluie, les gens sont revenus. Il m’a informé que les gendarmes ont tiré du gaz et qu’il y a eu des premiers morts. Pour lui, deux personnes sont tombées à l’esplanade qu’il a personnellement vues. Des gendarmes qui étaient avec Tiègboro ont tiré et deux personnes sont mortes, m’a-t-il dit. Et il m’a dit qu’il y a eu des tractations avec les leaders.
Après, les militants et les leaders ainsi que des gendarmes se sont dirigés vers le stade et ils ont ouvert le portail. Après un certain moment, je l’ai rappelé, il m’a dit que tout se passait bien. J’entendais en fond sonore des discours, puis j’ai coupé. Mais à chaque 5 minutes, on s’appelle.
Aux alentours de 12h, je l’appelle et il me dit : ‘ils sont rentrés, les bérets rouges sont rentrés, ils tirent’. Et j’entendais au téléphone le crépitement des balles et les cris des gens qui cherchaient à fuir. Et j’entendais son essoufflement parce qu’il courait aussi. Je lui ai dit de tout faire pour sauver sa peau. Il m’a dit : ‘C’est ce que je suis en train de faire’. Puis, d’un coup, je ne sais pas si c’est le téléphone qui est tombé mais je ne l’entendais plus. Mais le téléphone fonctionnait, j’entendais les bruits despas, les crépitements de balles. Ça m’a inquiété. Après, je ne sais pas si c’est quelqu’un qui a pris le téléphone, ça s’est coupé. Depuis, je n’ai plus eu de contact avec lui. D’où l’inquiétude.
Toute la famille cherchait à m’appeler pour savoir si je n’ai pas de nouvelles de lui. A 13h, un ami m’a dit qu’ils ont commencé à transporter certains blessés aux urgences notamment à Donka et Ignace Deen. Immédiatement, je me suis transporté d’abord à Ignace Deen où on a fouillé partout et on ne l’a pas trouvé. A 14h, en compagnie de ma femme, on s’est transportés à l’hôpital Donka. Là, j’ai vu arriver certains corps qu’on a débarqués. Et il y avait certains blessés, même dans des magbanas. Mais à l’urgence, il y a tellement de cacophonie qu’on ne pouvait rien comprendre. Mais, j’ai vu du sang coulé comme si on était à la boucherie. Là aussi, on a fouillé sans le retrouver.
Vers 16h à la morgue de Donka, on a vu des bérets rouges arriver pour chasser tout le monde. Et j’entends que le ministre de la santé est là (…). Je suis resté sur place et aux alentours de 18h, j’ai reçu la nouvelle fatidique. Au bout du fil, une personne qui était au stade m’a dit : ‘Mon frère, sois courageux. J’ai vu Hassane parmi les morts. Pour être sûr, je me suis approché de son corps. J’ai bien vu que c’était lui. Pour avoir une preuve, j’ai fouillé dans sa poche, il y avait une clé et 7 000 GNF. Donc, j’ai pris ça. Mais je n’osais pas faire l’annonce’. Dès qu’il a envoyé la clé, mon beau-frère est parti ouvrir chez lui.
Mon papa et ma maman étaient en ce moment à Pita. Très inquiets, ils étaient à chaque moment au bout du fil. Mais on ne pouvait pas leur donner la nouvelle immédiatement (…). On ne pouvait pas y croire. Le lendemain, on a continué les recherches, soit son corps ou s’il est vivant.
On a été au camp parce qu’on avait des frères militaires. Ils nous ont dit : ‘Ecoutez, il y a des manifestants qui ont été envoyés au camp ici mais, nous ne pouvons rien faire. Allez-y voir chez Pivi et Tiègboro, peut-être que vous allez les voir là-bas’. Ces gens sont devenus des colonels aujourd’hui. A l’époque, ils disaient qu’ils avaient les mains liées et qu’ils n’osaient pas. Au camp, mes deux grandes sœurs sont rentrées, moi, je suis resté dans le véhicule. Elles entendaient des cris desgens. On nous a dit qu’il faut héler la personne, s’il est à l’intérieur il va répondre. A l’intérieur, il y avait des personnes qui appelaient. Elles ont appelé mon frère par son nom, il n’y a pas eu de réponse. Chez Tiègboro et Pivi, il y avait des gens qui demandaient de l’aide. Mes soeurs ont dit qu’elles sont aussi à la recherche de quelqu’un.
Cinq jours après, il y avait des camions qui venaient faire descendre les corps à la mosquée Fayçal. Des corps commençaient à pourrir, des visages méconnaissables. On était obligés d’enlever le linceul pour chercher une trace, un signe pour pouvoir reconnaitre quelqu’un. N’ayant pas pu retrouver mon frère, on était obligés de partir à Pita retrouver nos parents.
Le corps de mon petit frère a été retrouvé au stade avec d’autres. J’en ai même la preuve [il brandit les photos]. Son corps a été vu, filmé mais il a tout simplement disparu. Les personnes qui l’ont vu au stade m’ont dit qu’il a reçu un coup à la nuque. Mais le corps a disparu. Ce qui fait que nous n’avons même pas une tombe où nous recueillir [en larmes] ».
Par Abdoulaye Bella DIALLO, pour VisionGuinee.Info
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