Pour Moussa Doumbouya, dit Petit Tonton, le conte est bien plus qu’un divertissement : c’est un miroir de la société et un véhicule essentiel des valeurs humaines. Fondateur de La Grande Nuit du Conte, cet artiste médaillé aux Jeux de la Francophonie œuvre à la transmission de la mémoire collective et à la restauration de l’art oral en Guinée. Alors qu’il prépare la 6ᵉ édition de son événement, il nous éclaire sur sa mission de conteur, les défis de l’organisation et l’urgence de préserver des valeurs comme l’honnêteté et la dignité.
VisionGuinee : Comment êtes-vous venu au conte ? Y a-t-il eu un moment déclencheur dans votre parcours ?
Moussa Doumbouya : J’ai fait 15 ans de carrière dans le théâtre avec plusieurs compagnies en Guinée. Ensuite, en 2017, j’ai été sélectionné pour représenter la Guinée aux huitièmes Jeux de la Francophonie. Je suis revenu avec la médaille d’argent, et tout est parti de là. C’était à un moment où je me questionnais sur mon engagement : est-ce que je défendais vraiment notre culture ? Je jouais jusque-là dans des pièces d’auteurs européens, américains ou asiatiques. Puis j’ai découvert que le conte est un élément essentiel de notre culture : c’est l’école de la vie dans la tradition africaine. A partir de là, j’ai fait ma reconversion vers le conte.
Vous préparez la 6ᵉ édition de “La Grande Nuit du Conte”. Qu’est-ce qui a motivé la création de cet événement ?
Le conte était en train de disparaître avant ma médaille aux Jeux de la Francophonie, car il n’y avait pratiquement plus de conteurs à Conakry. Après les Jeux, nous avons créé une association appelée Koumakan, qui signifie la parole en malinké.
Cette association a initié plusieurs activités, dont Le Café des Conteurs, de petites veillées de conte dans une cour, avec une vingtaine à une cinquantaine de personnes. Pendant un an, nous avons organisé ces soirées, puis nous avons décidé d’élargir le concept : rendre notre culture “chic”, montrer que le conte n’est pas qu’une histoire pour endormir les enfants.
Le conte est un outil démocratique : tout le monde peut l’utiliser. Les imams, les prêtres, les politiciens, les vendeurs s’en servent. L’idée, c’était donc d’amener le conte à un autre niveau, un art de la scène fréquenté par un public varié, y compris les “VIP”.
Quelles sont les nouveautés prévues pour cette édition ?
La sixième édition vient après une année de pause. Nous avons organisé cinq éditions, mais il fallait repenser notre modèle économique. Car si le conte reste un acte social, il doit aussi être viable financièrement.
Cette année, nous proposerons un tout nouveau spectacle, avec de nouveaux conteurs et conteuses. Le spectacle vivant, c’est comme un match de football : le terrain est le même, mais chaque partie est différente. Le contenu, la scénographie, la décoration et les invités changeront. On peut s’attendre à un très beau spectacle.
Quels défis rencontrez-vous dans l’organisation d’un tel événement ?
Comme dans tout projet culturel, les principales difficultés concernent la collaboration avec les sponsors et partenaires. En Guinée, il faut repenser la relation entre acteurs culturels et partenaires.
Lors de la cinquième édition, certains sponsors exigeaient trop de places au lieu de se concentrer sur la visibilité et l’image de marque. Le jour du spectacle, je stressais plus pour les places que pour le show ! Nous devons revoir les bases de ces collaborations.
Pensez-vous que les réseaux sociaux et les médias numériques peuvent aider à faire revivre l’art du conte ?
Bien sûr ! Il y a un proverbe qui dit : si tu n’as personne pour parler de toi, tu mourras inconnu. Sans médias ni réseaux sociaux, nos actions passent inaperçues. Aujourd’hui, une communication qui ne passe pas par les réseaux sociaux ne touche pas une large audience. Même dans les villages, les gens y sont connectés. Les médias et les artistes ont besoin les uns des autres.
Quelle est la responsabilité du conteur dans la préservation de la mémoire collective ?
C’est une mission essentielle. Les conteurs sont les gardiens de la mémoire, les passeurs d’histoires. Ils transmettent les valeurs, les émotions, les leçons de vie. Même si les griots et les conteurs n’ont pas le même statut, on naît griot, on devient conteur, ils partagent la même responsabilité : préserver et transmettre notre patrimoine matériel et immatériel.
Où puisez-vous vos histoires ? Ce sont des contes hérités ou des créations originales ?
Je puise mes histoires dans notre patrimoine. Nous avons tellement de richesses orales à exploiter qu’il n’est pas nécessaire d’en inventer. Je discute souvent avec des anciens, ici même à Conakry.
Avec mon équipe, nous actualisons les contes d’antan pour qu’ils parlent aux jeunes générations. Le conte, c’est le miroir de la société. Il doit aussi refléter nos réalités contemporaines.
Quel est le message que vous cherchez le plus souvent à transmettre à travers vos contes ?
Je ne cherche pas à faire passer un seul message. Chaque conte contient plusieurs leçons de morale, et chacun y trouve son propre sens.
J’ai une sensibilité particulière pour les valeurs humaines : l’honnêteté, le respect de la parole donnée, la solidarité, la dignité. Ce sont des piliers de notre société qu’il faut rappeler.
Aujourd’hui, on banalise la parole donnée et la dignité. Or, chez nous, on disait : je préfère mourir que de perdre ma dignité. L’artiste, c’est celui qui interpelle, qui réveille les consciences, sans donner de leçons. C’est ce rôle que j’essaie de jouer.
Merci beaucoup de nous avoir accordé cet entretien.
C’est moi qui vous remercie.
Abdoulaye Bella DIALLO, pour VisionGuinee.Info
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