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Petite autopsie d’une interview présidentielle

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[dropcap]V[/dropcap]oilà ma petite réflexion autour de la dernière interview d’Alpha Condé face aux confrères de la presse guinéenne. Au-delà d’une quelconque polémique sur le professionnalisme des collègues, il s’agit pour moi de porter un regard critique, en me servant de quelques outils d’analyse de discours.

C’est une analyse rapide qui se contente de pointer quelques éléments que j’estime pertinents et qui méritent un petit arrêt sur images. Il n’a ni la prétention d’être exhaustif, ni l’arrogance de donner des leçons. Il ne s’agit là que furtives observations d’un modeste communicant sur un objet complexe de communication.

  1. L’espace du discours

Le premier élément à regarder est le dispositif. Le dispositif, c’est la matrice dans laquelle le discours prend forme et corps. Cet espace a trois caractéristiques : physique, psychologique et d’interlocution. Ces trois éléments sont préexistants au discours. Cela veut dire qu’il conditionne en amont le contenu et surtout l’attitude des instances de production et de réception.

Ici, la caractéristique physique du discours (l’interview dans le cas présent) est le palais présidentiel. Un journaliste qui interroge son invité dans ce cadre entre dans ces lieux portant dans le cœur et le corps un gros bagage d’intimidation. Il ne se comporte pas de la même manière que s’il s’agissait d’un terrain neutre, ou dans les locaux du média. Dans les deux derniers cas, il y a une assurance de la part du journaliste.

Il ne faut pas oublier que tout l’environnement du palais, y compris les gardes du corps et les collaborateurs d’Alpha Condé, au nombre desquels le ministre de l’information (autorité de tutelle des medias), tout le dispositif physique concourt à la mise en place insidieuse d’une pression sur les intervieweurs.

La caractéristique psychologique est de toute évidence l’interview antérieure conduite par les confrères de TV5, RFI et Le Monde. Le caractère violent de cet entretien joue comme une force coercitive sur la psychologie des journalistes. Il s’agira pour eux de tout faire pour ne pas avoir le résultat de ceux qui étaient venus avant eux, pour ne pas déraper. Il faut éviter de heurter, au risquer d’irriter, d’énerver l’interlocuteur.

C’est un parcours de funambule, une recherche tendue d’équilibre entre les contraintes du métier et la protection de soi. C’est donc une bataille dans la tête du journaliste entre deux « moi » qui se confrontent, qui se surveillent, qui se censurent, qui s’étirent.

La troisième caractéristique de l’espace est évidemment l’interlocution. Toute communication, comme on le sait, met en relation un émetteur et un récepteur. Cette relation qui précède la communication va influencer le type de discours et la manière dont celui-ci va se déployer. On ne parle pas de la même manière à ses parents qu’à ses frères ou ses amis.

Dans le cas qui nous intéresse, on s’adresse à un Président de la République avec tout ce que le personnage revêt comme puissance et ascendance, comme symbolique et mythique. Personne n’est dupe pour savoir que cet entretien est perçu comme un privilège, un honneur pour les journalistes.

D’ailleurs, l’animateur à la fin de l’interview dit combien ils ont été honorés. Les quatre confrères, tirés à quatre épingles, sont presque dans une disposition de confirmation de leur statut supérieur sur ceux qui n’ont pas eu le mérite d’être les heureux élus.

Au regard de ces trois éléments, les protagonistes de l’entretien prennent le départ avec une avance significative de celui qui interviewé sur ses intervieweurs. Cette supériorité, à la fois symbolique et réelle, est accentuée par un élément séparateur entre les deux instances de communication : la table basse. Elle vient renforcer la distance entre deux sous-espaces. Le contact frontal (que les journalistes de TV5 avaient) est barré, cassé, distanciée, comme pour dire que les uns ne sont pas autorisés à pénétrer dans l’espace de l’autre.

  1. Le déroulement du discours

Questions ouvertes et orientées : dès l’introduction, l’animateur principal indique la direction du vent. Les premières questions, des questions ouvertes sont posées avec une certaine implication subjective des locuteurs, notamment par l’utilisation d’adjectifs : faste, grandiose, etc. Il en est de même de l’appréciation positive des « progrès réalisés » par Alpha Condé. Toute la charnière des questions est construite sur un type d’entretien ouvert : « Quel regard portez-vous ? Quelle appréciation ? Quelle est votre opinion ? ». Parfois on est même dans l’ordre de la flatterie : « vous semblez inusable ».

Sourires crispés : C’est par ici qu’on perçoit le mieux le caractère tendu des confrères. Des petits sourires furtifs, serrés, disent à quel point ils semblent être sur le tranchant d’un couteau.

Monologue du Président : Sur 1h20’, on peut noter en moyenne 4 à 5 minutes de parole à sens unique. L’interviewé a le temps de développer son argumentaire (celui qu’il veut), sans être interrompu, même lorsqu’il élude la question pour aller dans le sens qu’il veut.

Absence de relances : Même lorsque les réponses sont manifestement contraires à la vérité (signature des accords, les opposants qui tirent sur leurs manifestants), les journalistes restent de marbre, presque jamais de réactions, de contradictions. Là où ils se  doivent d’être agressifs, sans être irrespectueux, ils restent silencieux. Alpha fait son show, professant ses vérités.

Attaques pernicieuses du Président : Si les journalistes sont tendus, c’est parce qu’ils connaissent la bête. Ils se gardent de le sortir de ses gongs, de sa tanière. L’intimidation fonctionne d’autant plus que l’interlocuteur ne se prive pas de lancer des piques à la corporation, comme il en a l’habitude : « si vous êtes un bon journaliste », « c’est vous les journalistes qui devez poser ces questions », « Ce n’est pas vrai », « mais où j’ai dit ça madame ? Où j’ai dit ça ? Non, non ! » « Ecoutez, c’est vous qui dites que la population s’impatiente », « mais évidemment comme les journalistes guinéens ne font leur travail… ce ne sont pas des journalistes d’investigations, des journalistes qui racontent n’importe quoi ». Toutes ces flèches ont pour conséquence directe la mesure, la prudence, la précaution pour se mettre à l’abri du rugissement du lion.

Angoisse perceptible : Les plans serrés permettent de lire l’inquiétude. Cette « peur » est particulièrement lisible dans l’attitude et le masque de la consœur de la RTG. Le malaise et l’inconfort de Maféring Camara s’expriment dans sa respiration, de forts et réguliers souffles, de récurrentes expirations. Les confrères acquiescent, accompagnent même parfois les réponses du Président pour marquer leur accord avec son discours. Maféring rit nerveusement pour masquer sa fragilité, comme dans cette chute, ultime expression de sa nervosité, où elle lâche : « D’accord M. Le Président. Il est toujours bien d’entendre son Président », dans une mimogestualité à la limite de l’obséquiosité.

Pour conclure, sur une durée totale d’1mn 21’, le Président déploie son message. Ce discours n’a pas vraiment évolué. Il ressasse la même litanie. Il est décousu, ne répondant presque jamais aux questions. Cette interview a de forts relents de communication. L’objectif était de rectifier la sortie ratée avec la presse étrangère.

Les confrères se sont, d’une certaine manière, débarrassés de leurs costumes de journalistes pour revêtir des habits de communicants. Même le bureau de presse de la Présidence de la République n’aurait pas mieux faire. Le Président a déroulé son message, sans obstacle, comme sur un boulevard qu’on lui a laissé.

De mon point de vue, cette nouvelle sortie médiatique est un échec. Et pour les journalistes (qui n’ont pas su contrôler leur interview) et pour le Président qui s’est contenté d’avoir en face de lui des interlocuteurs presque impassibles. Si j’avais un conseil à donner à Alpha Condé, le ratage avec TV5 ne serait pas arrivé. Mais si cela arrivait quand même, j’aurais attendu que la bâclée sortie disparaisse de l’actualité, ensuite demandé aux mêmes journalistes, des mêmes médias, de refaire l’émission. Mais ça, c’est s’il savait écouter ou j’avais été son conseiller en communication. Malheureusement, pour lui, je suis celui de Cellou Dalein Diallo.

Souleymane BAH

Docteur en Sciences de l’Information et de la Communication

Licencié en Journalisme

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