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Pourquoi il faut sauver le soldat Bazoum…

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On savait le Niger fragile politiquement. On savait également que les pratiques démocratiques du pouvoir y étaient embryonnaires ; que, malgré la parenthèse Issoufou, la hiérarchie militaire n’avait en rien perdu sa faculté de déstabiliser l’exécutif, de le contrôler et de le dominer.

Pourtant, en 2021, une alternance pacifique avait nourri l’espoir de voir le pays consolider ses maigres acquis démocratiques et la sphère politique s’affranchir définitivement de la tutelle des militaires. Le coup d’État du 26 juillet 2023 sonne le glas de cette espérance. En posant ses bottes sur l’ordre constitutionnel, l’armée confirme sa « désinstitutionnalisation », et entend défendre ses privilèges et ses alliances informelles.

Au fond, la chute de Mohamed Bazoum, si elle devenait définitive, ne serait que l’illustration du rapport de domination qu’entretient la hiérarchie militaire avec la société, et sa vocation à entrer dans le champ politique. À long terme, donc, il ne suffira pas d’instituer et de rendre opérationnelle une force anti-coup d’État. Une réflexion de fond, portant sur l’autonomisation de la sphère politique, sur l’établissement et le respect de frontières entre la classe politique et les militaires, devra être engagée.

L’État, c’est l’armée

En ce qui concerne le Niger, il ne fait aucun doute que toutes les voies de la diplomatie doivent être explorées pour éviter que le pays bascule définitivement dans un régime militaire. Cela implique que des discussions approfondies soient engagées avec les hommes en treillis. Elles seront forcément difficiles. Même si les institutions sous-régionales et la communauté internationale exerçaient des pressions suffisamment fortes pour que l’autorité des civils soit rétablie, le problème de la captation de la vie politique par le corps militaire demeurerait entier. Par sa longue prédominance, l’armée a en effet fini par émasculer toutes les institutions politiques et judiciaires, de sorte qu’elle incarne à la fois le pouvoir et les contre-pouvoirs.

Au Niger, comme dans une grande majorité de pays africains, un président ne peut être assuré de finir son mandat de manière normale s’il ne cherche une légitimité auprès des militaires. Dans la plupart des cas, les élections donnent de manière purement formelle à leur vainqueur une légitimité internationale. Elles n’adossent pas pour autant le pouvoir politique à une souveraineté populaire. En ce sens, nombre de pays africains n’ont pas rompu avec les régimes militaires, même là où le président est un civil. Car, dans les faits, c’est moins le droit et les dispositifs constitutionnels qui garantissent le pouvoir que l’art de fondre l’État dans le corps militaire.

Cette « désinstitutionnalisation » du pouvoir politique plonge ses racines dans la période postcoloniale. Est-ce là une pathologie du politique en Afrique ? Pas vraiment : dans les pays où l’exercice du pouvoir n’est pas clairement dissocié de la sphère militaire, où le pouvoir civil se consolide au gré de dépendances et de circuits de récompenses attribuées aux militaires, l’armée ne peut cesser de se politiser et les détenteurs du pouvoir, de chercher la confiance et la garantie des hommes en treillis.

C’est cette logique de dépendance, maintenue très souvent par la hiérarchie militaire, qui a eu raison du président Bazoum, lui qui, démocratiquement élu, a, en maintes occasions, exprimé sa répulsion à l’endroit des régimes militaires et qui, ces derniers mois, tenait à affirmer son autorité et son autonomie face à la garde présidentielle.

Or, la quête d’autonomie du président Bazoum représentait une menace directe pour les intérêts vitaux du général Tiani et de ses hommes, dont les conditions de vie matérielles étaient étroitement liées à leurs relations avec le pouvoir et qui couraient le risque de voir s’effondrer les privilèges énormes associés à leur statut.

Nuisibles transitions

Ainsi, contrairement aux arguments que le Conseil national de sauvegarde de la patrie (CNSP) a avancés pour justifier son putsch (dégradation de la situation sécuritaire, mauvaise gouvernance), la survie économique et politique des militaires semble être le motif principal de ce coup d’État qui déstabilise un pays déjà confronté à une situation critique tant sur le plan sécuritaire et que sur le plan humanitaire. Les Nigériens ne méritaient pas cette nouvelle crise politique, qui est de trop pour le pays, pour la sous-région et pour l’Afrique. Et le président Bazoum, en dépit des défis sécuritaires et économiques auxquels le pays est confronté, incarnait un leadership prometteur pour l’avenir du Niger.

À mon sens, ce coup d’État constitue un test final pour la crédibilité de la Cedeao. En acceptant le fait accompli après la chute du président Kaboré, au Burkina, l’institution sous-régionale avait, à certains égards, donné raison aux militaires, malgré l’instauration de quelques sanctions, dont l’impact réel sur les autorités de la transition reste discutable.

Il faudra agir autrement dans le cas du Niger. La Cedeao doit envoyer un message fort, susceptible d’avoir un effet dissuasif à l’avenir, l’objectif ultime étant de rétablir le président Bazoum dans ses fonctions. Cela peut sembler utopique au regard de l’histoire des coups d’État en Afrique et des marges de manœuvre limitées de la Cedeao. Mais c’est justement dans les situations complexes, éprouvantes et dangereuses qu’il faut oser braver les limites. On peut déjà se satisfaire de voir la Cedeao répéter que Mohamed Bazoum demeure le président légal et légitime du Niger.

Reste à l’institution, dont le Nigeria occupe la présidence tournante, à déployer d’intenses efforts diplomatiques, tant à l’échelle continentale que sur le plan international, pour empêcher l’instauration d’une transition au Niger, et ce sans rompre les discussions avec l’armée. Le président Bola Tinubu et la diplomatie ouest-africaine doivent s’emparer de tous les leviers d’influence et de dissuasion possibles pour ne pas se retrouver devant le fait accompli.

Le principe de subsidiarité ne doit pas limiter la Cedeao à engager une action multilatérale de haut niveau afin de rétablir l’ordre constitutionnel au Niger. Certes, il faudra passer des compromis avec l’armée, et le président Bazoum sortira affaibli de cette crise. Mais, dans l’immédiat, c’est l’établissement d’un régime de transition qu’il faut à tout prix empêcher. Si tel n’était pas le cas, autant laisser l’armée gouverner le Niger et s’accommoder des coups d’État dans la sous-région ! Pour ma part, je ne comprendrais pas le sens d’une transition qui nous conduirait à organiser des élections si, en définitive, ce sont les militaires qui détiennent et contrôlent véritablement le pouvoir.

Par Amadou Sadjo Barry
Philosophe et chercheur en éthique des relations internationales

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