[dropcap]J[/dropcap]e répondrai à ma question dans le dernier paragraphe de cet écrit.  Pour le moment, je me contenterai de retracer l’histoire de la violence politique en Guinée tel que je l’ai connue.  

Ma mère, feu Hadja Fanta Sow, était une des personnes convaincues que l’Indépendance allait nous permettre de créer et développer une Guinée capable de s’élever au firmament de la prospérité.  Je me rappelle avec quelle fierté elle me parlait d’un Koumandian Keita et autre Faramoi Bérété (de Siguiri) qui étaient des hommes capables d’aider le pays.  Elle était une teinturière qui fut fortune rubis sur ongles.

Notre concession familiale de Dixinn (où la tante de mon cousin Alpha Condé passa une partie de sa vie) était en danger d’être brûlée en mai 1958[1].  N’eut été Hadja Almamy Fatou qui indiqua que nous étions RDA (je ne savais pas ce que cela signifiait à mon âge de cinq ans), peut être que je n’aurais pas pu écrire ces lignes aujourd’hui.  Nous avions échappé à la mort in extremis. Certains de nos voisins n’ont pas eu la même chance.

Vint l’Indépendance !  Sous la bannière de l’unité nationale[2], plusieurs intellectuels guinéens et dirigeants de partis politiques acceptèrent de s’unir pour faire de la Guinée un pays capable de se gérer et d’être une pépinière de Travail, Justice et Solidarité.  Hélas !  Nous savons tous ce qui se passa dès 1961. La dérive qui s’en suivit est l’objet de plusieurs ouvrages dont des témoignages de personnes qui furent victimes de la révolution totale et globale qui engloutie le pays tout entier dans la misère. La Révolution ou la mort a apporté plus la mort que le développement du pays.  La première République décapita avec zèle l’élite intellectuelle, commerciale et militaire du pays.[3]

En 1984, après la mort subite du premier président de la République, le pays bascula dans les mains de l’Armée Guinéenne.  Contrairement à Sékou Touré qui était vindicatif, Lansana Conté se montra comme un président «éclairé » particulièrement après l’effort de Diarra Traoré et un petit groupe de cadre « malinké » (à ne confondre avec la majorité des Malinkés qui sont des individus très paisibles et croyants) qui essayèrent de le renverser. Par malheur et par association, certains individus qui participèrent au coup manqué de Diarra Traoré et sa clique étaient en majorité des  malinkés.  Ce qui conduit dans un moment de douleur et peut être de mécontentement, feu président Lansana Conté à la déclaration de « Wo Fatara » après son retour triomphal de Lomé, Togo.  Cependant, Conté évita de faire de cette affaire un « complot Malinké » contrairement à Sékou Touré qui parla de « complot Peul » en 1976.

Des sbires avec peux d’éducation et aux visions rétrécies se saisirent de cette occasion pour déclarer que les « malinkés » devaient un jour prendre revanche de cette « humiliation. »  Quoique que Lansana Conté accepta de choisir Lansana Kouyaté, un Malinké comme Premier Ministre pendant la crise de 2007, une fraction dirigeante et des faiseurs d’opinions «malinkés » pensaient qu’il fallait relever le défi de leur honneur bafoué suite à l’échec du coup Diarra en 1985.  Le décès du président Conté et l’irruption inattendue du bouillant Dadis Camara sur la scène politique Guinéenne ne fit que renforcer le sentiment de cette clique qui pensait que les « malinkés » vont être humiliés une seconde fois. Nonobstant les faits que le CNDD n’avait aucune intention de stigmatiser aucun groupe ethnique en particulier, ce spectre fut utilisé pour mettre la pression sur Sékouba Konaté pour accepter la promotion de Alpha Condé (2010) au second tour au-devant de Sidya Touré afin de prévenir l’élection de Cellou Dalein Diallo. Tous contre un fut leur slogan.

Dix ans après, la clique qui avait servi et encouragé Lansana Conté à emprisonner Alpha Condé et à l’empêcher d’accéder à la magistrature suprême de la Guinée découvre une brèche qui leur est utile. Le désir de certains « malinkés » de laver ce qu’ils considèrent comme une souillure sur leur ethnie est monnayé contre un partage du pouvoir avec une frange d’individus corrompus et incompétents (qui ont échoué de par le monde), pour créer une équipe unie autour d’un objectif commun : empêcher une alternance démocratique en Guinée[4].

Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une crise qui risque de plonger le pays dans le labyrinthe d’une violence fratricide à cause de ses mêmes individus qui ont encouragé l’action de Diarra et qui continuent à pleurer son échec. Le président Alpha Condé s’est associé à cette version des choses et a clairement exprimé son sentiment en cette direction lors de la campagne électorale de 2020[5]. La seule raison pour cette manipulation ethnique à des fins électoraux est liée à l’échec de la gestion des choses publiques durant la dernière décennie. Oui, nous avons quelques barrages hydroélectriques ici et là. Cependant, la Guinée est encore classée 29eme sur cinquante pays de l’Afrique par l’indice du Produit intérieur brut. Malgré nos immenses potentialités humaines et naturelles, notre peuple souffre de malnutrition, de manque d’eau potable,  d’hôpitaux, d’école et de routes. La deuxième place après le Nigeria n’est pas pour demain. L’Afrique du Sud et certains pays maghrébins, sans compter le Botswana, ont certainement un mot à dire.

Les fausses promesses faites à nos compatriotes de césarienne gratuite, d’un étudiant une tablette électronique, un tailleur une machine à coudre,  un Guinéen une maison ne vont rien changer aux conditions de vie précaires des Guinéens. Le gouvernement actuel a échoué et doit faire valoir une transition apaisée pour une autre équipe. Le pays en a besoin.

Evidemment, l’arrivée potentiel au pouvoir de Abé Sylla, Faya Millimono, Makalé Traore ou Camara, de Dr. Ousmane Kaba, Dieu nous garde, de Cellou Dalein Diallo, pourrait ouvrir la voie à une justice indépendante qui aura les coudées franches pour engager une véritable enquête sur les 60 dernières années de l’histoire de la Guinée pour rétablir la vérité de notre histoire mitigée. Un tel développent mettra à nu les exactions dont furent victimes plusieurs Guinéens. Le régime actuel n’a aucun intérêt à examiner les crimes politiques et économiques dont le pays a souffert.  Conséquemment, son entêtement à s’accrocher au pouvoir à tout prix.  Cependant, la marche inexorable vers la justice, quoique lente, nous conduira un jour vers la vérité.  Peut-être durant notre temps ou celui de nos enfants.

Pourrons-nous sauver la Guinée ?  Oui, si nous reconnaissons nos erreurs et cherchons à nous débarrasser des truands qui rodent autour du pouvoir. Plus facile à dire et écrire qu’à réaliser.  Cependant, notre destin commun le demande.  Le premier pas requiert que toute nos classe politique, intellectuelle, civile et religieuse s’expriment, de manière pacifique, pour dire que le changement c’est maintenant.  Nos frères Maliens nous ont donnés l’exemple.  Comme le disent nos frères et sœurs Malinkés : « Mo di Allah Ye Ime Djan » !

Dr. Abdoulaye BAH
Professeur d’université aux Etats-Unis

[1] http://www.webguinee.net/bibliotheque/droit_politique/sscamara/lttPDGopp.html

[2] Sékou Touré au cinéma Vox : « L’unité politique est scellée et nous demandons à tous les responsables du PDG d’oublier ce qui les a opposés au PRA et dans les Comités de quartier, dans les sous sections de chaque cercle comme sur le plan national, nous leur enjoignons de fraterniser, côte à côte, afin que le programme de la jeune Nation soit rapidement traduit en réalités concrètes. » https://web.archive.org/web/20141118020945/http://www.campboiro.org/bibliotheque/koumandian_keita/ecole_dictature/tdm.html

[3] Le président actuel fut lui-même condamné à mort par contumace.

[4] Le gouvernement utilise tous les leviers de l’état pour se  maintenir au pouvoir.  Les ministres de la République agissent comme des directeurs de campagne du président de la République dans sa campagne.

[5] https://www.africaguinee.com/articles/2020/09/20/alpha-conde-ce-que-j-attends-de-la-haute-guinee-audio