Il me plaît de rappeler que la constitution que nous avons souffre de sa faible légitimité. Elle est le fait d’amis, de copains et de coquins réunis au sein du Conseil National de la Transition, comme l’ancien CTRN du CMRN.
Quel régime politique pour la Guinée ? Telle est la question au centre du présent article. Si vous voulez, je me demande si le régime politique actuel de la Guinée (un régime présidentiel avec un premier ministre constitutionnalisé) est le plus adapté à la réalité sociologique de la Guinée ?
C’est pour rouvrir le débat, obliger la classe politique, les élites et amener les citoyens à discuter que je prends le risque de cette publication. Cette question je la pose publiquement et j’apporte ma réponse. Ce risque je le prends dans l’espoir de susciter un débat et d’amener les Guinéens à s’approprier de la question, car depuis l’indépendance nos constitutions ont été faites sans débats publics.
Je sais aussi que beaucoup de Guinéens pourraient me dire que mon interrogation est anachronique, car la Guinée a une constitution et un régime politique en place. A toutes ces personnes, il me plaît de rappeler que la constitution que nous avons souffre de sa faible légitimité. Elle est le fait d’amis, de copains et de coquins réunis au sein du Conseil National de la Transition, comme l’ancien CTRN du CMRN.
En plus, cette constitution a été validée par un décret d’un putschiste qui ne représente que lui-même et les soldats qui l’ont mis à la place où il était. Pour ces raisons et d’autres que je vais soulever tout au long de mon argumentaire, j’ai décidé de faire de rouvrir ce dossier d’autant plus que la Constitution est l’acte juridique fondamental qui se trouve au sommet de la hiérarchie des normes définie comme tel par le juriste autrichien Hans Kelsens.
Je prends et je l’assume tout en sachant que je ne suis pas constitutionnaliste de formation. Est-il nécessaire d’avoir fait des enseignements de droit pour parler des lois ? Manifestement, non. D’autant plus que depuis très longtemps, on sait que la source du droit n’est pas la transcendance. Ce que nous refusons en sociologie, c’est cette démarche des juristes qui ont vis-à-vis du droit un commentaire respectueux, exégétique, abstrait et détaché de son contexte.
Je sais que le rôle des juristes dans la vie du droit est central, car c’est eux qui assurent l’agencement des articles de lois et qui transforment les choix idéologiques et doctrinaires en formulations juridiques. Cependant, la loi, même celle fondamentale, n’est pas seulement du formalisme. C’est aussi « l’esprit de la loi », c’est-à-dire ce qui serait le mieux en fonction des réalités sociologiques des populations et de ses élites à un moment donné de son histoire. La loi c’est aussi la prise en compte de la réaction du milieu à la règle du droit.
Mon intention est donc de dépasser la suspicion mutuelle entre sociologue et juriste. Car, depuis fort longtemps, on peut, à la suite de Henry Lévy-Bruhl, dire que : « le droit est l’ensemble des règles obligatoires déterminant les rapports sociaux imposés à tout moment par le groupe auquel on appartient ».
Les incohérences et les contradictions du formalisme juridique seront dans mes propositions. Je les assume et espère que les « gens de droit » participeront à la formalisation de mes propositions en évitant de faire le « Guinéen », c’est-à-dire n’être d’accord qu’avec ce qui vient de soi.
Vous l’aurez donc compris, mon propos n’est pas de dire que les rédacteurs successifs des constitutions guinéennes, mais souvent les mêmes, ignorent la réalité sociologique de la Guinée. Ce serait faire insulte à leur intelligence. Je veux tout simplement dire que la prise en compte de la « sociologie de la Guinée » n’a pas toujours été centrale dans les choix qui ont été faits. Si non comment expliquez la répétition continue du régime de type présidentiel en dépit des échecs et des dictatures que ce type de régime a eu dans l’histoire politique de la Guinée ?
Avant de vous présenter mes propositions, permettez-moi de présentez quelques critiques de la constitution actuelle. Ces critiques portent sur quelques principes et règles qui organisent l’État et les rapports entre les institutions et non pas sur la reconnaissance des droits et libertés.
A l’article 52, il est dit que « le Premier Ministre, Chef du Gouvernement est nommé par le Président de la République qui peut le révoquer. Il est chargé de diriger, de contrôler, de coordonner et d’impulser l’action du Gouvernement ». Cette disposition me semble contradictoire avec l’article 45 qui stipule que c’est « le Président de la République qui détermine et contrôle la conduite de la politique de la Nation ». On peut donc se demander s’il n’y a pas de contradiction entre le fait de dire que « le Premier ministre dirige et contrôle l’action du gouvernement » alors que c’est le président qui dirige la politique nationale.
Les contradictions les plus graves existent dans les dispositions déterminant certaines des attributions du Président de la République avec celles du Premier Ministre. En effet, en dépit des dispositions de l’article 46 qui dispose que le président : « nomme en conseil des Ministre aux emplois civils dont la liste est fixée par une loi organique », il y a aussi l’article 58 qui dit que : « Le Premier Ministre dispose de l’administration et nomme à tous les emplois civils, excepté ceux réservés au chef de l’Etat ». En effet, c’est l’Assemblée Nationale qui sortira des urnes qui sera en charge de l’élaboration et de l’adoption de cette loi organique. Dans l’hypothèse d’une victoire de l’opposition guinéenne aux prochaines élections législatives, la liste des emplois civils réservée au président aura de fortes chances d’être courte, très courte.
Dans le cas d’une confirmation de la majorité présidentielle aux élections législatives, la Guinée va se doter légalement d’un président de la République aux pouvoirs étendus qui fera de son premier ministre, comme l’actuel, le « premier des ministres ». Avec sa majorité, il n’aura de compte à rendre qu’à lui-même. Il sera un « monarque » constitutionnalisé.
Dans cette configuration, les cadres guinéens auront le choix entre l’allégeance et leur disparition du circuit administratif. Le décret présidentiel, comme maintenant, sera l’arme fatale. Avant la fin du quinquennat, il va se créer un parti-Etat ou si l’on veut un Etat du parti, celui au pouvoir.
Pour moi, ces dispositions et la culture des acteurs politiques qui ont une tendance à considérer l’élection comme un jeu à somme nulle ou la totalité des gains de l’un correspond à la perte totale de l’autre expliquent, pour une large part, le retard dans la tenue des élections législatives.
Sur un autre aspect, à l’article 3, il est dit « qu’ils (les partis politiques) présentent seuls les candidats aux élections nationales ». Cette disposition est en faite une reprise de la Constitution du 23 décembre 1990, dans sa première version, dans sa version révisée de 2001. Dans tous les pays de la sous-région, la Guinée est le seul pays qui fait des partis politiques les seuls qui ont le droit de présenter des candidats tant aux élections législatives que dans celle présidentielle. Cette limitation au droit d’être candidat est excessive et déraisonnable.
Le Niger fut un autre pays qui avait tenté la même discrimination envers ses citoyens. Mais la Cour suprême de ce pays, par son avis du 24 septembre 1992, affirma que : « le fait pour l’article 84 du Code électoral d’éliminer les candidatures indépendantes aux élections présidentielles constitue une atteinte aux droits et libertés fondamentaux des citoyens notamment le droit pour tout citoyen d’être éligible, la liberté pour tout citoyen d’adhérer librement au parti politique de son choix et l’égalité de tous les citoyens devant la loi [ ]».
Traditionnellement, il est de coutume dans les constitutions d’admettre certaines conditions d’exercice du droit d’éligibilité, notamment les exigences liées à la nationalité, à l’âge, à la résidence, au niveau d’instruction, au certificat médical, à la jouissance des droits civils et politiques, à l’incompatibilité des fonctions, etc., mais il est déraisonnable et totalement discriminatoire de limiter le droit d’éligibilité par sa seule appartenance à un parti politique.
Certaines mauvaises langues de Conakry disent que cette disposition n’a été faite que pour empêcher Ibrahima FOFANA, le défunt secrétaire général de l’USTG de se porter candidat. Les plus fervents défenseurs de cette disposition mettaient de l’avant la nécessité de ne pas permettre à des candidats financés par des narcotrafiquants de se porter candidat. Dans tous les cas, ceux qui le disaient étaient des dirigeants d’un parti avec une seule personne, eux. Et aucun leader politique en Guinée n’a jamais produit des documents précisant les sources des revenus utilisés lors des différentes campagnes électorales.
Pour couronner la main mise absolue de la classe politique guinéenne sur l’espace public, elle se donne, collectivement, le droit d’être la seule à solliciter le suffrage des citoyens et majoritairement celle qui organise le scrutin à travers la CENI.
Dans le code électoral, la classe politique, pour bien subordonner la société guinéenne, ne donne aux citoyens le droit de n’élire directement que le tiers des députés de l’Assemblée Nationale (36 sur les 112 députés). Les autres, les deux tiers, sont élus sous le parapluie du leader qui détermine, seul ou avec ses copains, le rang sur la liste électorale et donc les chances de devenir député. Ces dispositions sont celles du code électoral du CTRN et du CNT.
Dans une configuration pareille, on ne doit pas s’étonner de l’accroissement exponentiel des partis politiques. Et personne ne doit s’étonner de la toute puissance des leaders des partis politiques qui possèdent, à travers le code électoral, la possibilité de faire la carrière d’une élite politique qui veut gouverner en se cachant du peuple. Si vous ne croyez pas à mon argumentaire, demandez aux dirigeants des partis politiques qui gravitent autour de leur leader d’oser se présenter à l’uninominal.
La disposition la plus critiquable de la constitution du point de vue de la « sociologie » guinéenne est la non prise en compte de l’instrumentalisation ethnique par les acteurs politiques.
Au regard des caractéristiques de chaque régime politique, de l’histoire politique de la Guinée, des modes de fonctionnement des acteurs politiques actuels et des réalités sociologiques de la Guinée, l’unique régime politique qui serait à déconseiller serait le régime présidentialiste, c’est-à-dire justement celui en vigueur. La culture du Landho, du Mansa et du Mangué conduit tout droit la Guinée vers un autre homme providentiel.
Pour moi, la configuration ethnique de la Guinée, le passé politique et la qualité de la classe politique et des acteurs non étatiques (les sous-marins de la société civile) devraient amener le législateur à proposer une constitution qui brouille le repérage ethnique en choisissant entre deux formules.
Un régime présidentiel à l’américaine ou à la nigériane avec un ticket (un président et son vice président) sans premier ministre serait la meilleure formule pour la Guinée. Dans une configuration institutionnelle pareille, il est impossible aux candidats actuels et à venir de choisir leur colistier au sein de leur communauté. Ainsi, il devient difficile pour les manipulateurs de la « chose ethnique » de trouver la faille à partir de laquelle ils pourraient l’instrumentaliser. On peut même imposer, dans les dispositions constitutionnelles, que le ticket ne puisse regrouper ni des candidats de la même région (au sens région naturelle) ni de la même ethnie.
Ce type de régime aurait pour mérite de brouiller les logiques ethniques qui se rattachent à la candidature singulière d’un homme qui demande le suffrage du peuple. Dans ce cas, il sera difficile de coller des étiquettes ethniques facilement à des candidatures doubles.
Dans ce régime que je propose, la bonne formule serait une élection à un tour pour un mandat de 7 ans non renouvelable. Les coûts d’une élection chaque 5 ans, qui réduit le mandat réel à 3 ans en raison de la précampagne et de la post-campagne, est un sérieux gaspillage pour des économies faibles comme celle de la Guinée.
L’autre type de régime politique qui fonctionnerait mieux que le régime présidentiel actuel serait un régime parlementaire. Dans ce type de régime, le président serait un monarque qui incarne la continuité de l’État et ne participe pas à l’exercice du pouvoir en dehors de la nomination du chef du Gouvernement. N’ayant pas, en principe, de rôle actif, il serait politiquement irresponsable. En revanche, le chef du Gouvernement et ses ministres assumeront la conduite de la politique nationale sous le contrôle des assemblées parlementaires.
Deux possibilités s’offrent à Nous. Si l’on souhaite prendre en compte la dimension ethnique et/ou régionale, on pourrait opter pour une chambre bicamérale (une Chambre haute et une Chambre basse) avec une chambre basse qui prendra la place des coordinations régionales et ethniques et une chambre haute dont les membres seront désignés au suffrage universel à deux tours.
Pour éviter le refus des élites à solliciter le suffrage des populations et réduire la main mise des fondateurs des partis politiques sur la vie nationale, on devrait supprimer l’élection à la proportionnelle sur la liste nationale. Pour parvenir à cette disposition, il faudra refaire le découpage électoral en tenant compte du nombre d’électeurs afin d’en déterminer la répartition des circonscriptions.
Ou pourrait aussi opter pour un régime parlementaire bicaméral avec une chambre basse élue à la proportionnel sur une liste locale et une chambre haute élue au suffrage universel direct à deux tours.
Je n’exclue pas aussi, si les Guinéens le souhaitent, un régime fédéral avec une présidence tournante comme la Suisse. Quelque soit la préférence des Guinéens, il est temps d’en discuter, de refaire notre Constitution et de refaire un nouveau Contrat Social plus conforme à la réalité guinéenne ; en fait ce qui peut marcher le mieux dans les conditions actuelles.
Alpha Amadou Bano BARRY (Ph.D ; Sociologie,
Maître de Conférences, Citoyen)