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Qui est le véritable peuple de Guinée et qui ne l’est pas ? (Par Dr Ibrahima Chérif)

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Soutra

En Guinée, le mot « peuple » a perdu sa clarté pour devenir une notion élastique, malléable selon les besoins des acteurs politiques. Chacun s’en réclame, le brandissant comme un sceau de légitimité morale. Les gouvernants s’en servent pour justifier leurs politiques, les opposants pour légitimer leurs revendications, et les mouvements sociaux pour défendre leurs causes. Ainsi, le mot « peuple » n’est plus l’expression d’une communauté souveraine, mais une arme discursive maniée au gré des circonstances.

Pourtant, cette saturation du discours politique traduit une profonde crise de représentation. Le peuple invoqué dans les discours officiels n’est pas celui qui vit la réalité quotidienne. Le peuple réel, celui des marchés, des villages profonds et des quartiers périphériques, n’est ni consulté ni écouté. Il se réveille seulement quand les élites en ont besoin pour remplir les places, brandir des pancartes ou donner une apparence populaire à des décisions déjà prises. Une fois la scène politique refermée, ce même peuple est relégué à l’ombre du silence et de la résignation.

Ce décalage entre le peuple que l’on invoque et celui qui vit au quotidien traduit le malaise d’une démocratie guinéenne encore en quête de sincérité et de sens. En théorie, le pouvoir appartient au peuple ; en pratique, il est confisqué par ceux qui prétendent agir en son nom. La légitimité démocratique se mesure alors non plus à la participation du citoyen, mais à la capacité de s’autoproclamer « représentant du peuple ». Cette dérive crée un climat politique où le mot

« peuple » est à la fois omniprésent et absent : omniprésent dans les discours, absent dans la gouvernance.

Or, comme le rappelle Jean-Jacques Rousseau dans Du Contrat social, « la souveraineté ne peut être représentée, pour la même raison qu’elle ne peut être aliénée ». Cela signifie que le peuple ne délègue pas sa volonté : il l’exerce. Dans cette logique, aucun acteur qu’il soit politique, religieux ou militaire ne peut se réclamer seul dépositaire de la volonté générale. Le peuple guinéen ne se réduit pas à une voix uniforme, mais à une pluralité de consciences qui doivent être entendues et respectées.

De son côté, Frantz Fanon dénonçait dans Les Damnés de la Terre la tendance des élites postcoloniales à se substituer au peuple après l’indépendance. Il écrivait : « Les dirigeants parlent au nom du peuple, mais ne vivent plus avec lui. » Cette fracture demeure visible en Guinée, où l’État semble parfois éloigné des réalités sociales qu’il prétend servir. Les promesses se multiplient, les mots résonnent, mais la vie du citoyen ordinaire reste inchangée.

Enfin, Kwame Nkrumah, figure du panafricanisme, insistait sur la nécessité d’un peuple conscient, c’est-à-dire formé, informé et capable d’exiger des comptes à ses dirigeants. Le peuple guinéen, pour redevenir souverain, doit donc être éclairé et organisé, non manipulé. Sa libération politique passe par la connaissance et la participation, non par la soumission à ceux qui détournent son nom à des fins personnelles.

La Guinée doit aujourd’hui réhabiliter le peuple dans sa dimension humaine et citoyenne. Le peuple, ce n’est ni une foule, ni une masse ou une

mamaya, ni une formule creuse ou démagogique. C’est une entité vivante, faite de citoyens dignes, porteurs de droits et de devoirs, capables de penser par eux-mêmes et d’exiger des gouvernants des politiques justes.

Le véritable peuple n’est donc pas celui que l’on invoque pour conquérir le pouvoir, mais celui qui exige la vérité, la justice et la dignité. Il n’a pas besoin de porte-parole autoproclamé ; il parle par ses actes, ses choix et sa conscience.

Tant que cette distinction ne sera pas comprise, le mot peuple restera une fiction commode, servant à couvrir les dérives de la domination. Mais le jour où le peuple guinéen se reconnaîtra comme sujet de son propre destin, il ne sera plus question de savoir qui parle en son nom car il parlera lui-même.

Dr Ibrahima CHERIF

Soutra
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